
Un homme, grand, avec des longs cheveux brun aux reflets châtains, comme sa longue barbe, arborant un léger embonpoint, fait le funambule au bord d’une fenêtre.
Tous ses voisins, sont habitués. Il n’est pas suicidaire, quoique… mais il ne va pas sauter. Il fait cela car il aime peut-être flirter avec la grande faucheuse et surtout, se faire remarquer jusqu’à à provoquer des réactions chez les passants. Mais à Paris, on ne regarde pas en l’air, on regarde devant soi ou ses chaussures. Aucun passant ne daigne regarder, ni s’inquiéter du funambule chevelu. Même dans le cas contraire, ils n’ont pas le temps d’être inquiets. Car à Paris, tout le monde est pressé.
Cette nuit, ses voisins ont entendu une énième dispute éclater entre lui et sa concubine, ou plutôt sa régulière, Pam. Une petite rousse très belle, très charmante à l’air fragile et mutine.
L’un des deux était saoul, voir carrément les deux. Ça gueulait en anglais. Les « fuck », « bitch », « asshole », « son of a bitch » et autres joyeusetés de la langue anglaise avaient raisonné dans tout l’immeuble.
Un voisin de palier regrette Zozo, la mannequin qui habite cet appartement et qui l’a prêté au couple d’américain. On dit qu’elle le leur a loué mais que ses locataires oublient souvent de payer.
L’homme serait un poète, à ce que la rumeur dit. Il doit être connu outre-Manche voir outre-Atlantique pour se permettre un train de vie si spécial. Qu’il paît son appartement ou non, les bitures qu’il se met avec ses ami(e)s sont régulières. On ne parle pas que d’alcool, ça sent parfois l’herbe dans le hall de l’immeuble. On voit parfois un jeune homme, dans la vingtaine, plutôt beau garçon, bien habillé, rentrer et sortir de l’immeuble. On dit qu’il est un comte, il a un nom en « de », un garçon d’une famille bourgeoise pour sûr. Certains voisins ont mené leur petite enquête. Ce jeune homme deal de la drogue dure, de l’héroïne venue de Chine, fournit par les truands marseillais.
Les voisins sont des voyeurs, tout le monde l’est un peu quand on vit si proche les uns des autres. Et certains ont remarqué que le jeune comte venait souvent quand le grand barbu n’était pas là.
Après tout, on sait que lui aussi la trompe. On l’a vue amener des filles, parfois plusieurs en même temps, dans l’appartement. C’est donc de bonne guerre que Pam se tape leur jeune dealer.
Le grand brun est descendu de son perchoir étroit et fume une cigarette, puis une autre. Une n’est presque pas finie qu’il en allume une autre. Il a le regard dans le vide, il semble perdu. On peut même voir une lueur de désespoir, quelque chose de spirituel, comme un appel à l’aide à un Dieu quelconque au fond de ses yeux bleus fatigués.
Pas de cris ce matin, la dispute s’est arrêtée au milieu de la nuit. On a entendu des bruits sourds, des coups, sûrement. Les deux se battent comme des chiffonniers et ne se cachent pas pour s’échanger quelques baffes dans le hall d’escalier quand ils rentrent tard, ensemble, souvent le soir, complètement défoncés.
Personne n’appelle jamais les flics, on se mêle de ses affaires. Et se grand type, qui ne semble faire de mal à personne excepté à lui même et à sa régulière, n’est pas quelqu’un qui cherche la bagarre avec les voisins. Mais mieux vaux ne pas attiser la colère d’un alcoolique.
En parlant de colère, l’homme reparaît à sa fenêtre et crie :
« Have you ever broken throught ? Through the other side ? »
Le silence parisien lui répond. Une réponse qui ne semble pas le satisfaire. Il rétorque donc :
« If the doors of perception were cleansed every thing would appear to man as it is, infinite ! »
Pas de réponse là encore. Quelque seconde plus tard, après s’être allumé une nouvelle cigarette, il se penche dangereusement sur la rambarde. Ceux qui l’aperçoivent prient intérieurement pour que la rambarde soit solidement fixé au mur mais restent muets.
« William Blake anyone ? »
Silence.
« Huxley ? Aldous ? »
Quelques coups de klaxon résonnent au loin pour toute réponse.
« Andale ! Andale ! Français ! »
Retour du silence.
« I did broke broke through the other side, not as easy as it appeared. And man, I wish I didn’t see the infinite. Fuck no. Please god, help me. »
Il jette sa cigarette à moitié consumée par la fenêtre. Habituel, là aussi. Heureusement, le hasard fait qu’il n’y a jamais personne qui passe sous sa fenêtre au même moment. Et, surtout, quand quelqu’un gueule de sa fenêtre, on change de trottoir.
« Do not pick up hitchhiker ! Their’s a killer on the road ! »
Et la litanie recommence.
« Father ? Father ? Père ? »
Silence.
« I want to kill you !… MOTHER ? Mama ? »
Silence.
« I want to… fu… fuck you ! »
Quelques pigeons roucoulent.
« The whisky-à-gogo, the original one, you know it’s just in the area ? Well, try to kick me out again ! »
Silence.
« Guess the French are okays with their oedipus complexes. Alright. »
Une voiture de police passe dans la rue, elle ralentit au niveau de Jim, on peut voir les deux policiers penchés sur le tableau de bord, le regard rivé sur Jim.
Jim leur fait un salut amical.
« Bonjour police ! Eat my ass yes ! »
Les deux gendarmes se regardent, échange de regard confus entre eux, puis redémarrent et s’en vont.
« Au revoir ! Au revoir ! Révolution ! Au revoir. »
Un cri derrière Jim, il est difficile de distinguer les mots, mais le ton, lui, est autoritaire.
Pamela tire son régulier, l’écarte dès la fenêtre et la ferme.
Silence.
C’est un spectacle étrange dont les voisins du poète sont témoins presque chaque jour depuis l’arrivée du couple tumultueux.
Certains, inconsciemment, ont parfois l’impression d’être comme happé par les discours de l’homme barbu à sa fenêtre. Comme le prêche d’un gourou. D’ailleurs, ils ressemblent à ce type américain qui avait une « famille ». Famille qu’il a poussé à tuer Sharon Tate, enceinte.
L’Amérique, on ne sait plus quoi en penser. La France non plus à vrai dire. Mai 68 est finie depuis 3 ans, mais est-ce que quelque chose a vraiment changé ? Les jeunes ont-ils forcé les vieux à les écouter ou a encore plus les haïr ?
Les temps ont changé. Beaucoup, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. D’ailleurs, des jeunes Américains, pauvres pour la plupart, dont beaucoup de Noirs, qui vivent dans des ghettos, partent tuer et se faire tuer à des milliers de kilomètres de chez eux dans une guerre qu’ils ne comprennent pas vraiment et qu’ils trouvent inutile et injuste ; le Vietnam. Comment ils chantaient déjà ces quatre types avec leurs cheveux longs ? Mais si, ces Américains… « Four dead in Ohio/ how many more ? »
Parce que oui, en Amérique, le Summer Of Love, les hippies, c’est presque du passé. Mais la National Guard tire sur des étudiants pacifique.
En fait, tout change… mais tout se répète.
Voici Agnès Varda qui s’apprête à rentrer dans le bâtiment de Jim et Pam. Tout est calme quand elle leur rend visite. Peut-être est-ce le bon moment pour quitter cette rue et continuer notre vie.
Jaskiers
❤️❤️❤️
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Merci Filipa !
J’espère que tu vas bien, Roméo te fait un gros bisous et moi aussi !
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Merci Sébastien ! Ça va. J’ai adoré lire ton texte! Je vous embrasse tous les deux.
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Jim devait être très spécial à l’approche du club des 27…
En tout cas il aura vécu avec intensité 😂.
Sympa ton texte. En tant que fan des Doors, j’apprécie. J’imagine les voisins de Jim et Pam :)..
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Si ça t’intéresse, y’a un documentaire sur ses derniers jours sur Amazon Prime. C’est ce qui a inspiré ce texte.
Merci pour ton commentaire ! J’aurai bien aimé être son voisin… enfin je pense…
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