
Peu importe leurs armes, leurs équipements de protection, tout ce que nous pouvions trouver à notre portée finissait dans leur tronche. Je me rappelle avoir ramassé une grenade lacrymogène à main nue et l’avoir glissé sous le masque de protection d’un cochon. Le flic était immobilisé par d’autres manifestants, et pressant le gaz sur son visage, les soubresauts de ses membres entravés, les cris d’encouragement des autres Sans-Riens, les vibrations, les sensations que je sentais dans ma main droite qui tenait la grenade, le ressentit de la souffrance du flic, son agoni, ça c’était, et ça reste, une expérience incroyable pour moi. Je sentais l’extrême chaleur qui se dégageait de la grenade, cette chaleur se dissipait en pleins dans le visage du cochon, la chaleur et le gaz asphyxiant, j’étais en train de tuer une personne qui en avait tué d’autres, tué des personnes comme moi. Je jubilais, je l’avoue. Ôter la vie d’un homme sous les encouragements d’autres hommes, la vengeance, le sentiment de contrôle, de pouvoir, de force, de haine qui se traduisait par mon action, ça, le meurtre d’un porc, c’est peut-être la meilleure sensation que j’ai eu de toute ma vie. Être amoureux, être aimé, faire l’amour, c’est jouissif, les endorphines envahissent votre cerveau, il l’irrigue, c’est ça le bonheur, de la chimie. Mais tuer cet autre être humain qui, de mon point de vue, le méritait, c’était encore plus plaisant que ça.
Éventuellement, le cochon arrêta de gesticuler. Sa poitrine fit un soubresaut, puis deux et plus rien.
Les bruits de la bataille s’estompaient tout autour de nous, pas un flic n’était venu à la rescousse de leur collègue. Je ne sais pas si c’était par lâcheté ou par le simple fait que la foule avait réduit à néant les forces d’intervention.
Je pensais que c’était le fait d’avoir tué un homme, l’état de choc potentiel dans lequel j’étais qui me faisait l’impression que tout, autour de moi, était silencieux. Mais non, simplement le calme après la tempête. Des corps gisaient, la plupart casqués, avec leurs armures fracassées, à nos pieds.
Il y avait évidemment les corps de Sans-Riens qui avaient perdus la vie, mais beaucoup moins que les flics.
C’était peut-être une première dans l’histoire du monde super-moderne et civilisé. Une foule de démunies avait anéanti des troupes de choc anti-émeutes.
Le silence régna pendant un court instant, puis, ayant réalisé notre victoire, nous éclatâmes de joie, le bonheur, enfin, d’avoir vengé les nôtres. Et cette victoire, elle fit le tour du monde. Notre monde super-connecté n’avait pas perdu de temps pour partager les images de notre triomphe.
C’étaient surtout les bons petits citoyens, terrorisés, effrayés et outrés qui avaient filmé et prit en photo l’événement. C’étaient eux, nos frères et sœurs ennemis, qui, sans le vouloir, sans le savoir, avaient été nos messagers.
Ceux d’entre-nous qui avaient des smartphones nous montraient comment l’Internet mondial réagissait. Au-delà des gentils citoyens respectueux et utiles, nous avions redonné espoir à tous les Sans-Riens du monde entier.
Rien de tout cela n’avait été prémédité, la Providence, ou quelque chose s’y appareillant, nous avait offert les conditions idéales pour déclencher une révolte mondiale.
À partir de ce moment, le monde civilisé, trop civilisé, ou pas assez, à vous de choisir, réalisa qu’une partie de l’humanité refusait cette nouvelle société.
Les citoyens modèles, enfin, réalisaient combien nous étions nombreux, combien nous n’avions pas peur d’affronter quiconque voulait nous priver de notre liberté. Mais, au lieu d’ouvrir une discussion sur la situation, notre situation précaire, au lieu de nous laisser la parole, de nous donner une voix, une place dans le Gouvernement Uni, les gens bien décidèrent de se barricader, de nous éviter. Réactions normales, après tout, nous avions massacré, sous les yeux du monde entier, des flics censés être l’ultime rempart contre la modernité, l’avancée technologique à outrance.
Mais ce n’est pas en nous claquant, encore une fois, la porte de la société au nez qui nous aura fait changer de comportement. Au contraire. Nous redoublâmes d’efforts, de violence, de protestations, de saccages, de pillages. Le monde était à nous.
Mais le Gouvernement Uni ne nous lâcha pas pour autant. La police, qui s’était rapidement transformée en une armée, s’opposa à nous, une guérilla s’ensuivit.
Tout le monde en eut pour son grade, qu’importe qui vous pouviez être, personne n’était à l’abri de notre hubris.
Nous pourrions parler de guerre civile, oui, c’en était une, et s’en est encore une à l’heure où j’écris ces derniers mots.
Je m’apprête à me faire exploser à côté d’un des représentants du Gouvernement Uni. Je vais partir en martyr.
Je laisserai le soin à mes camarades de vous parler de cette guerre fratricide que nous avons déclenchée sans vraiment le vouloir.
Que je tue ce représentant ou non, le monde verra que nous ne reculerons pas, qu’absolument personne n’est à l’abri.
Si des honnêtes citoyens meurent dans l’explosion, peu m’importe, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Qu’ils redoublent de violence contre nous, ou continuent à nous marginaliser, mon acte de sacrifice résonnera dans le monde entier.
Nous ne lâcherons rien. Une place à une table de négociation n’est pas, n’est plus ce que nous voulons. Nous voulons le chaos, l’anarchie. La fin.
Adieu.
FIN
Jaskiers
Bonjour Jaskiers 🙂
Félicitations pour votre chapitre final !
Je voulais vous remercier pour vos visites sur mon site 🙂
C’est toujours motivant 😉
J’espère à bientôt
Belle soirée à vous
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Merci à vous pour votre commentaire, ça fait plaisir !
J’aime beaucoup votre blog !
Un bon week-end à vous.
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Oh vraiment merci ! ça me touche beaucoup 🙂 Bon week-end !
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👏🏻👏🏻👏🏻👏🏻
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Merci Filipa, toujours là, même pour les récits les plus durs !
Dis moi, avec quel appareil photo prends tu tes photos de street-art ? Je suis intéressé par la photo en ce moment…
J’espère que tu vas bien quand même, bise Filipa !
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Bravo pour tes récits Sébastien ! ❤️ Je prends toutes mes photos avec mon portable : Samsung A13. Avant j’avais un meilleur portable, mais il a été volé. Mon père a travaillé longtemps chez Canon et pendant ma jeunesse j’ai eu de bons appareils. Je vous embrasse tous les deux. 🐕😘😘
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