Ce texte fait un peu plus de 3 000 mots. Je n’ai pas trouvé judicieux de le diviser en chapitre. Je vous conseille de le lire à votre rythme.
Inspiré par le livre intitulé « Flash où le grand voyage » de Charles Duchaussois et par la chanson intitulée « The Needle and The Damage Done » de Neil Young : https://youtube.com/watch?v=Hd3oqvnDKQk
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Flic dans une banlieue aisée d’Amérique, c’était mon job. Depuis tout petit, je rêvais de devenir policier.
Le badge, le pistolet, évidemment, l’uniforme et les collègues.
J’ai grandi dans cette banlieue, Mots-Bleue, j’ai eu la chance de pouvoir y travailler, je connaissais tout le monde, ou presque, et tous les recoins, pour sûr.
Cela s’avère une bonne chose pour un flic de connaître les moindres recoins de sa zone d’action, et ça l’est ! Mais connaître toutes les personnes est une autre pair de manche. En faite, c’était même une erreur.
J’écris ce témoignage pour exorciser l’histoire que j’apprête à partager. Peut-être servira-t-elle de leçon à un futur flic, ou à n’importe qui en faite.
J’ai donc grandi dans Mots-Bleues, une banlieue paisible de la classe moyenne américaine. J’ai, comme tous les jeunes, vécus à peu près tout ce qu’un jeune homme peut vivre, ou plutôt faire l’expérience.
Mes années primaire, collège et lycée se sont faites dans cette banlieue. J’ai fait les premières fêtes, premières petites amies, premières cuites, premières (et dernière) expérience avec la drogue, premier job, enfin tout ce qu’un jeune peut découvrir. Je suis partie quelque temps à l’université, qui franchement ne m’as pas vraiment réussis. Comme beaucoup d’étudiant. C’est le moment où l’on réalise parfois que nous ne sommes pas forcément faits pour les grandes études.
Toujours est-il que j’ai décidé de rentrer à l’académie de police, vieux rêve d’enfance, j’ai passé les examens, haut la main si je puis me permettre. J’étais vraiment dans mon univers. Plus que punir, protéger et parfois guider les citoyens, c’était cela mon truc.
J’ai réussi mes examens, finissant premier de ma promotion. J’eus donc l’opportunité de choisir où je voulais être stationné. J’ai choisi tout naturellement le commissariat de ma bourgade d’enfance. Mes mentors m’ont dit à quel point mon potentiel serait gâché à faire le policier dans un quartier sans grands problèmes. New-York, Los Angeles, Chicago, c’était là-bas que mes talents seraient le plus utiles. Mais je répondis que c’était un petit tour d’essai, j’avais envie de protéger ma communauté, de faire mes premières armes dans mon fief.
J’ai commencé ma carrière officielle de sergent à Mots-Bleus.
J’y ai rencontré un vieux policier qui m’avait arrêté durant mon adolescence avec un joint à la main. Il rigola tellement fort quand il m’a vu arriver, tiré à quatre épingles. Il a tout de suite arrêté quand il a vu que j’étais plus gradé que lui. C’était sa dernière année en tant que flics, je le tenais en grand respect. À l’époque où il me chopa le joint à la main, il le confisqua et me fit jurer de ne plus recommencer. S’il m’avait amené au poste et déclaré mon méfait, cela aurait pu nuire à mon futur et à mes parents. Il me le fit bien comprendre en me gueulant dessus. Je n’avais plus recommencé et maintenant, peut-être un peu grâce à lui, j’étais officier de police.
Je lui demandais de me montrer un peu les locaux, propres, mais pauvrement équipés, au final, le crime ici n’était vraiment pas monnaie courante. Il me fit un topo sur les cas que je rencontrerai dans cette banlieue. Souvent des groupes de jeunes, fumant de la marijuana, parfois de la drogue plus dure, cocaïne, extasie, amphétamine, mais cela restait rare. Je lui demandais où ces jeunes se fournissaient.
Il s’avérait qu’à environ 30 km d’ici, dans la ville la plus proche, Seattle, la drogue tournait à plein régime, pas vraiment de gang, mais tout se passait dans « l’underground ». C’était difficile de suivre le circuit de la drogue car il n’était pas organisé dans notre petite banlieue par les gangs mais des particuliers qui, de temps en temps, faisaient tourner leur petit business puis arrêtaient dès qu’ils en avaient assez ou se sentaient menacés.
Les cambriolages, qui se déroulaient surtout l’été, les disputes familiales qui pouvaient vite tourner aux drames étaient les cas d’interventions les plus fréquents. Chaque foyer, ou presque, avait un calibre ou deux par personne. C’est l’Amérique après tout.
Et puis, parfois, des problèmes liés à la drogue, overdose principalement. La drogue tournait comme partout ici, même si tout cela restaient relativement discrets et ne concernaient qu’une partie de la population, les adolescents et jeunes adultes
Il fallait surtout jouer le diplomate plus que le cow-boy, éviter de faire trop de vague, la réputation de la petite banlieue tranquille était la priorité.
C’est ce qui me poussa à la faute.
Après quelques bonnes années de service agréables , un événement changea tout dans ma vie. J’en ai honte et cela reste dur à avaler. J’ai fauté.
Durant une de mes patrouilles, je repérais un jeune homme blond, grand et athlétique, fumant un joint juste derrière le lycée.
Je m’arrêtai à quelque mètres de lui, pour lui faire penser que je ne l’avais pas vu. Mais je descendis promptement, il se retourna, prêt à détaler.
« – Arrête-toi là gamin ! Pas la peine de courir, je ne vais pas te mettre les bracelets tranquille, je veux juste te parler. »
À demi rassuré, il resta sur place, me fixant du regard, le regard de notre vieux côté reptilien qui consiste à fixer une personne que nous considérons comme un danger.
« – T’inquiète promis, je veux juste te parler.
- De quoi ?
- Tu le sais très bien.
- Non non.
- Tu fumais quoi à l’instant ?
- Une clope.
- Évidemment, ils font les cigarettes saveur cannabis maintenant ? »
Il jeta son joint, l’écrasa du pied.
« – Tu sais, je pourrai t’emmener faire un tour au poste pour un dépistage, pas besoin d’effacer les preuves. »
Je le vis encore inquiet.
« – Tu t’appelles comment ?
- Corey.
- Et ton nom de famille ?
- Torcezk.
- Torcezk ! Mais je connais sûrement ton père. Il ne s’appellerait pas Will ton paternel ? »
Il ouvrit de grand yeux.
« – Bah si.
- J’étais avec lui au lycée, au même lycée que le tient, celui-là. Lui dis-je en lui montrant le bâtiment derrière lui.
- Ah ouais ?
- Ouais ! Tu veux que j’te dise un secret ?
- Allez-y…
- J’ai fumé mon seul et unique joint avec ton vieux père ! »
Son visage s’illumina.
« – Hey oui gamin ! On n’était pas des saints non plus quand on était jeune. Je me rappelle, il t’a eu très jeune d’ailleurs. Il était pétrifié à l’idée d’être déjà père !
- Mon père y fumait des joints ?
- Moi j’en ai fumé qu’un seul de toute ma vie, c’était avec lui. Je sais qu’il a vite arrêté quand son vieux père l’a appris et quand il a appris qu’il allait devenir papa.
- C’est fou.
- La vie est un éternel recommencement, n’est-ce pas ?
- P’tetre mais je n’aurai jamais pensé qu’un flic me parlerait d’un truc comme ça !
- Ah ! On n’est pas là pour sanctionner et punir tout le temps. On est tranquille ici.
- Ouai…
- Dis gamin, tu fumes beaucoup ?
- Non…
- Dis-moi la vérité sérieusement.
- Vous allez tout dire à mon père…
- Non, ça reste entre toi et moi, tu fumes beaucoup ?
- Ça m’arrive. Je vais être honnête, ça m’aide à me détendre.
- Bah, c’est un peu le but non ?
- Et puis… les cours, les examens, l’université, à la maison, il y a quelques soucis…
- Je comprends. Sérieusement, on passe tous par là gamin. Je voudrais qu’on fasse un marché d’accord ?
- Ouai… enfin ça dépend.
- Je te pose le deal sur la table, tu acceptes ou pas.
- Allez-y balancez.
- Tu promets d’arrêter de fumer des joints et je ne dirai rien à ton paternel, à personne. Sinon… je vais devoir t’emmener au poste, remplir de la paperasse avec tes méfaits. Ce ne sera pas bon pour l’université et ça n’arrangerait rien à la maison. On a un deal ?
- Ouai… ouai. J’suis désolé.
- T’as pas à être désolé. Pas envers moi, mais envers toi. C’est à toi que tu fais du mal principalement.
- Ouai j’sais…
- Il y a encore un psy au lycée ?
- Ouai… mais c’est la honte quoi.
- Il y a aucune honte à demander de l’aide. Imagine, tu as une cheville foulée. Tu va voir le médecin et tu marches avec une béquille jusqu’à ce que tu ailles mieux. C’est pareil avec un psy, ce sera ta béquille jusqu’à ce que les choses s’arrangent d’accord ?
- Ouai. Promis j’arrête la fumette, je ne promet rien pour la psy.
- D’accord, on a un deal.
- Ok…
- Allez gamin, ne ruine pas ton futur. »
Je répartis, le sourire aux lèvres. Je pensais avoir fais le nécessaire pour éviter à ce gamin une vie de débauche et tout ce qui s’en suit.
J’étais jeune, naïf, je pensais que tous les jeunes pensaient comme moi quand j’avais leur âge.
Durant mes rondes, je ne croisais plus le jeune homme, j’espérais qu’il avait compris la leçon.
J’avais plus ou moins réussis à créer des relations avec les habitants, les anciens et les nouveaux. Renouer des liens avec les premiers était simple, j’étais un gars du pays, partit pour revenir policier. J’avais le droit à quelques railleries de bonne guerre. Pour les nouveaux, l’exercice était un peu plus difficile. Il me fallait me montrer ferme, mais aussi amical, j’étais là pour les aider et pas nécessairement pour punir.
J’appris un jour de la bouche d’une ancienne petite amie, maintenant marié avec un enfant, que Will Torczek avait des soucis avec son fils Corey. Le père ayant divorcé de la mère, Corey ne supportait pas sa belle-mère et passait son temps dehors à « faire des choses pas très très légales ».
Je fus peiné d’entendre cela et je me sentais coupable. Peut-être aurai-je dû avertir au moins son père, ou peut-être que cela aurait empiré les choses, mais j’avais manqué à mon devoir, protéger les citoyens que j’avais sous ma responsabilité.
Un jour, je décidais de m’arrêter devant la maison de Will. Il avait bien réussi sa vie, sa maison était belle, un grand jardin, une petite fontaine, quelques belles statues, une maison à étage avec un balcon.
Tandis que j’hésitais encore sur la marche à suivre, Je vis Will sortir en trombe par la porte d’entrer et se précipiter vers moi. Je descendis immédiatement de ma voiture.
« – Qu’est-ce qu’il a fait ?
- Will… enfin Monsieur Torczeck, qu’est-ce qui se passe ?
- Vous avez trouvé mon gamin ?
- Corey ?
- Oui !
- Non… désolé. Il…
- Ça fait deux jours qu’il n’est pas rentré !
- Deux jours ?! Vous pensiez nous avertir quand ?
- Je pensais que c’était encore une de ses fugues !
- Il fugue souvent ?
- Pas mal ces temps-ci oui.
- Et combien de temps dure ses fugues ?
- Pas plus d’une journée…
- Montez avec moi, il faut faire un signalement au poste, il est encore mineur, c’est grave.
- Nan nan, j’veux pas qu’on… vous voyez, que ça s’ébruite. Si les flics si mettent, je vais avoir l’air de quoi moi ?
- Et si votre gamin est retrouvé mort de froid au bord de la route, vous aurez l’air de quoi ?
- Hey ! Ce n’est pas un flic qui va m’apprendre à m’occuper de mon gamin. J’ai pas besoin de vous, j’vais le retrouver tout seul !
- J’entends… mais… tu te rappelles de moi Will ?
- De quoi… putain oui votre tronche me dit quelque chose.
- Arthur C. Lark.
- Oui… mais attends ! Mais oui ! Arthur la biture !
- Oui, c’est moi Will l’anguille !
- Putain de merde !
- Ça tu l’as dit !
- T’es devenu un poulet toi !
- La vie est pleine de surprise non ?
- Ça tu peux le dire…
- Je vois que pour toi les affaires marchent bien ?
- J’ai repris l’entreprise de paysagiste de mon père, tu sais, les petits banlieusards fortunés aiment à avoir leur gazon bien tondu !
- Ça, on dirait bien.
- Putain, désolé de t’avoir parlé comme ça.
- Tu sais… j’ai vu Corey il y a deux mois de ça environ.
- Putain il a fait une connerie ?
- Je l’ai coincé en train de fumer un joint…
- Oh le petit enfoiré !
- J’lui ai fait la leçon, je voulais surtout pas l’amener au poste et tu vois… son avenir, la réputation comme tu as dit tout à l’heure…
- Merci, merci. Oh merde…
- Il se passe des trucs à la maison ?
- On dit quoi dans le patelin sur moi ?
- On dit… enfin Corey me l’a dit aussi, que depuis ton divorce, les relations avec ton fils et ta nouvelle compagne ne sont pas très bonnes.
- Ça oui… il supportait pas de vivre avec sa conne de mère, il a décidé de vivre avec moi. J’ai rencontré Jennifer, bonne fille, secrétaire de direction, mais le courant passe pas entre elle et le gamin.
- T’as remarqué un changement dans son comportement… genre…
- Il a l’air déconnecté tu vois ? Il revenait les yeux rouges depuis quelques mois, je savais qu’il fumait, mais tous les jeunes fument tu vois, et là il commençait à plus manger, pas autant qu’avant. Tu vois on a un beau soleil et tout et il avait toujours ses pulls à manches longues… il a maigrit. Y’a un truc qui va plus avec lui depuis quelque temps.
- Écoute Will, c’est le flic et aussi l’ancien ami qui te parle, je te conseille de venir au poste et de faire un signalement de disparition. Il est mineur encore non ?
- 18 ans dans pas longtemps…
- Oui, donc il est mineur, les patrouilles auront sont signalements et on le retrouvera bien.
- Mais ça va s’ébruiter ?
- Sûrement, mais s’il est vraiment en danger, mieux vaux que le plus de personnes possibles sachent non ?
- Ouai… vas-y je te suis. Vieux Will va ! »
Will Torczeck m’a suivis jusqu’au poste, nous avons fait une déclaration de disparition. Son signalement à, comme je l’avais prédit à Will, était donné à tout les autres postes de polices du comté. Et même de l’état quand sa disparition dépassa les quatre mois.
Chaque jour, Will passait au poste pour nous demander si nous avions du nouveau et téléphonait le soir au cas où nous aurions eu des pistes dans la journée. Durant ces mois de torture, Will dépérissait à vue d’œil, il pleurait parfois quand il venait à mon bureau.
Aucune information, rien ne nous était parvenue concernant ne serait-ce qu’une suspicion ou un signalement erroné. Le gamin avait disparu sans que personne l’aie aperçu.
Je décidais un jour d’aller faire un tour à Seattle. J’avais besoin de jeter un coup d’œil à la situation là-bas, sur la criminalité et les réseaux de drogues.
En arrivant au poste de Seattle, un collègue policier m’interpella :
« – C’est vous l’officier qui vous occupez de la disparition d’un gamin de Mots-Bleus ?
- Oui, je suis en charge de l’affaire.
- Je crois avoir vu votre gamin dans un squat de camé.
- Vous croyez ou vous en êtes sur ?
- Ça je ne peux pas en être sûr, mais le gamin que j’ai vu ressemblait un peu à son signalement.
- D’accord donnez-moi l’adresse. Je vous remercie.
- Je ne suis pas sûr que vous aurez vraiment envie de me remercier…
- C’est-à-dire ?
- Bah… le gamin, si s’est lui… c’est vraiment plus qu’une brindille. Il n’a plus rien sur les os.
- Merde… écoutez… merci quand même.
- J’ai voulu envoyer un message pour vous signaler ma suspicion…
- Pourquoi ne l’avez-vous pas fais ?
- Rien de sûr et puis c’est pas facile de vous joindre, vous n’êtes pas aux normes niveau technologie…
- Ouai… enfin tout de même, un coup de téléphone c’est rien. C’est plutôt une histoire de rivalité, de subvention à la noix qui gâche notre coopération. C’était il y a longtemps ?
- Je dirais… deux bonnes semaines oui.
- Deux semaines !
- Oui. J’espère pour vous que ce n’est pas lui, car il était dans un état lamentable.
- Et vous n’aidez pas ces gens ?
- À quoi bon ? Vous les amenez en détox, la plupart se barrent avant la fin, ou il n’y a aucune institution ni associations ayant les moyens de les aider.
- Donc, vous les laissez crever comme des chiens.
- On fais ce qu’on peut sergent.
- Oui, je me doute. Toujours une question de moyens et d’argent. La prochaine fois, prêtez mains-forte aux collègues des petits comtés. Au revoir. »
L’agent m’avait noté l’adresse sur un bout de papier, j’entrais les coordonnées sur mon gps.
Je m’arrêtai quelques rues avant, pour ne pas attirer de suspicions. La drogue rend paranoïaque, je ne voulais pas faire fuir Corey ou des gens qui le connaissaient. J’avais aussi troqué ma tenue d’officier pour des habits civils tout en gardant mon calibre et ma radio bien planquée dans un sac à bandoulière. Juste au cas où.
J’approchais de la rue en question. Le Skid-Row de Seattle. Des toiles de tentes de sans-abris, des cadis, des déchets partout, des hommes et femmes, certains dans un état catatoniques, ne bougeant pas, comme figés, fixant devant eux le néant.
Je marchais aussi rapidement que possible jusqu’aux squats de drogué que l’on m’avait indiqué. Un bâtiment délabré, j’y entrais comme ci je connaissais les lieux, meilleurs moyens de passer sans avoir l’air suspect.
L’intérieur du bâtiment était à l’image de l’extérieur. En un mot, délabré. Aucun papier-peint, des trous dans les murs et dans le sol, toutes les vitres éclatées, certaines bouchées par des vieux journaux, on pouvait, juste en levant la tête, voir ce qui se passait à l’étage supérieur. Des déchets partout, canettes de bières, mégots de cigarettes, seringues, cuillères, briquets, réchauds, des tables démontées, des chaises en morceau, des bouts de vitres éparpillés sur le sol. De la moisissure sur tous les murs. Des tuyaux arrachés, des magazines, de vieux draps et matelas de camping éviscérés.
Dois-je vraiment d’écrire l’odeur ? Je ne pense pas, aucun mots pour décrire une odeur pareille.
Je visitais les étages, jetant un coup d’œil à chaque junkie allongé en faisant attention de ne pas tomber dans un trou et finir à l’étage inférieur. J’étais extrêmement tendu. Certains drogués m’interpellaient pour me demander de l’argent ou de la drogue, un me proposa même de la marijuana. Une femme se jeta sur moi et proposa de m’offrir son corps pour 5 dollars. Je n’avais qu’une hâte, sortir, mais arrivé à l’avant-dernier étage, je vis un corps, allongé, les cheveux blonds m’attirèrent, je savais que c’était Corey.
Quand je m’approchai, il était inerte. La vision de ce gamin est de celle que je n’oublierai jamais.
On aurait dit le Christ. Le Christ, les cheveux longs, blonds, gras et sales, une barbe fournie. Il était torse nu. Ses côtes étaient saillantes, ainsi que ses pommettes. On pouvait voir chaque os de son corps. Mais il avait le visage du Christ.
J’essayais de le réveiller. Il ouvrit ses yeux bleus pâle et fit un petit sourire. Avec le recul aujourd’hui, je comprends cette chose qu’il avait dans le regard à ce moment-là, il savait qu’il allait mourir à cet instant.
J’ai faits des formations pour reconnaître et aider les personnes addicts à la drogue dure. les gestes de premiers secours, qui étaient là presque inutiles, me vinrent en tête mais je décidai d’appeler d’abord une ambulance à la radio. Il avait tenu jusqu’ici pour que son père sache ce qu’il lui était arrivé. Il avait atteint le point de non-retour, il avait décidé que c’était la fin. C’était peine perdue mais je pensais qu’il avait encore une chance. Tant qu’il y a de la vie…
Je le redressais, le regarda dans les yeux, je sentis ses épaules et ses bras bouger. Je répondais à ma radio qui me demandait mon identification et de plus amples informations sur la situation quand le jeune martyr bougea. Je pensais qu’il allait m’enlacer, mais je vis qu’il avait une seringue plantée dans son pieds. Les gros addicts n’ont souvent plus de veine au bras, ils se piquent là où ils peuvent trouver la moindre nervure.
Je n’eus pas le temps de réagir, je n’ai pas compris tout de suite ce qu’il faisait à son pied tellement le sol était crasseux et jonché de débris, je réalisai au dernier moment qu’il avait poussé le piston d’une seringue. Il souriait. Je le pris dans mes bras, et je le sentis partir à jamais.
Tout c’est déroulé dans un calme, un silence absolu.
Après l’enterrement de Corey, je déposais ma démission des forces de Police. J’ai décidé de reprendre mes études pour devenir psychologue.
Jamais je ne me pardonnerai d’avoir laissé Corey aller à sa mort. Will et moi avons gardé contact, nous sommes redevenus des amis comme durant notre adolescence. Mais pas de reproches entre nous deux, nous avons tous les deux fauté envers le jeune Corey. Moi en tant que flic et lui en tant que père. J’ai ma part de responsabilité, comme tous ceux qui l’ont connus. Mais la mienne, de responsabilité, était peut-être la plus importante. Protéger et servir… je n’ai fait aucun des deux.
J’ai gardé mon arme de service, souvent, des idées noires m’assaillent. Je mérite peut-être de rejoindre Corey.
Jaskiers