Jim et Pam, rue Beautrellis, 1971

Un homme, grand, avec des longs cheveux brun aux reflets châtains, comme sa longue barbe, arborant un léger embonpoint, fait le funambule au bord d’une fenêtre.

Tous ses voisins, sont habitués. Il n’est pas suicidaire, quoique… mais il ne va pas sauter. Il fait cela car il aime peut-être flirter avec la grande faucheuse et surtout, se faire remarquer jusqu’à à provoquer des réactions chez les passants. Mais à Paris, on ne regarde pas en l’air, on regarde devant soi ou ses chaussures. Aucun passant ne daigne regarder, ni s’inquiéter du funambule chevelu. Même dans le cas contraire, ils n’ont pas le temps d’être inquiets. Car à Paris, tout le monde est pressé.

Cette nuit, ses voisins ont entendu une énième dispute éclater entre lui et sa concubine, ou plutôt sa régulière, Pam. Une petite rousse très belle, très charmante à l’air fragile et mutine.

L’un des deux était saoul, voir carrément les deux. Ça gueulait en anglais. Les « fuck », « bitch », « asshole », « son of a bitch » et autres joyeusetés de la langue anglaise avaient raisonné dans tout l’immeuble.

Un voisin de palier regrette Zozo, la mannequin qui habite cet appartement et qui l’a prêté au couple d’américain. On dit qu’elle le leur a loué mais que ses locataires oublient souvent de payer.

L’homme serait un poète, à ce que la rumeur dit. Il doit être connu outre-Manche voir outre-Atlantique pour se permettre un train de vie si spécial. Qu’il paît son appartement ou non, les bitures qu’il se met avec ses ami(e)s sont régulières. On ne parle pas que d’alcool, ça sent parfois l’herbe dans le hall de l’immeuble. On voit parfois un jeune homme, dans la vingtaine, plutôt beau garçon, bien habillé, rentrer et sortir de l’immeuble. On dit qu’il est un comte, il a un nom en « de », un garçon d’une famille bourgeoise pour sûr. Certains voisins ont mené leur petite enquête. Ce jeune homme deal de la drogue dure, de l’héroïne venue de Chine, fournit par les truands marseillais.

Les voisins sont des voyeurs, tout le monde l’est un peu quand on vit si proche les uns des autres. Et certains ont remarqué que le jeune comte venait souvent quand le grand barbu n’était pas là.

Après tout, on sait que lui aussi la trompe. On l’a vue amener des filles, parfois plusieurs en même temps, dans l’appartement. C’est donc de bonne guerre que Pam se tape leur jeune dealer.

Le grand brun est descendu de son perchoir étroit et fume une cigarette, puis une autre. Une n’est presque pas finie qu’il en allume une autre. Il a le regard dans le vide, il semble perdu. On peut même voir une lueur de désespoir, quelque chose de spirituel, comme un appel à l’aide à un Dieu quelconque au fond de ses yeux bleus fatigués.

Pas de cris ce matin, la dispute s’est arrêtée au milieu de la nuit. On a entendu des bruits sourds, des coups, sûrement. Les deux se battent comme des chiffonniers et ne se cachent pas pour s’échanger quelques baffes dans le hall d’escalier quand ils rentrent tard, ensemble, souvent le soir, complètement défoncés.

Personne n’appelle jamais les flics, on se mêle de ses affaires. Et se grand type, qui ne semble faire de mal à personne excepté à lui même et à sa régulière, n’est pas quelqu’un qui cherche la bagarre avec les voisins. Mais mieux vaux ne pas attiser la colère d’un alcoolique.

En parlant de colère, l’homme reparaît à sa fenêtre et crie :

« Have you ever broken throught ? Through the other side ? »

Le silence parisien lui répond. Une réponse qui ne semble pas le satisfaire. Il rétorque donc :

« If the doors of perception were cleansed every thing would appear to man as it is, infinite ! »

Pas de réponse là encore. Quelque seconde plus tard, après s’être allumé une nouvelle cigarette, il se penche dangereusement sur la rambarde. Ceux qui l’aperçoivent prient intérieurement pour que la rambarde soit solidement fixé au mur mais restent muets.

« William Blake anyone ? »

Silence.

« Huxley ? Aldous ? »

Quelques coups de klaxon résonnent au loin pour toute réponse.

« Andale ! Andale ! Français ! »

Retour du silence.

« I did broke broke through the other side, not as easy as it appeared. And man, I wish I didn’t see the infinite. Fuck no. Please god, help me. »

Il jette sa cigarette à moitié consumée par la fenêtre. Habituel, là aussi. Heureusement, le hasard fait qu’il n’y a jamais personne qui passe sous sa fenêtre au même moment. Et, surtout, quand quelqu’un gueule de sa fenêtre, on change de trottoir.

« Do not pick up hitchhiker ! Their’s a killer on the road ! »

Et la litanie recommence.

« Father ? Father ? Père ? »

Silence.

« I want to kill you !… MOTHER ? Mama ? »

Silence.

« I want to… fu… fuck you ! »

Quelques pigeons roucoulent.

« The whisky-à-gogo, the original one, you know it’s just in the area ? Well, try to kick me out again ! »

Silence.

« Guess the French are okays with their oedipus complexes. Alright. »

Une voiture de police passe dans la rue, elle ralentit au niveau de Jim, on peut voir les deux policiers penchés sur le tableau de bord, le regard rivé sur Jim.

Jim leur fait un salut amical.

« Bonjour police ! Eat my ass yes ! »

Les deux gendarmes se regardent, échange de regard confus entre eux, puis redémarrent et s’en vont.

« Au revoir ! Au revoir ! Révolution ! Au revoir. »

Un cri derrière Jim, il est difficile de distinguer les mots, mais le ton, lui, est autoritaire.

Pamela tire son régulier, l’écarte dès la fenêtre et la ferme.

Silence.

C’est un spectacle étrange dont les voisins du poète sont témoins presque chaque jour depuis l’arrivée du couple tumultueux.

Certains, inconsciemment, ont parfois l’impression d’être comme happé par les discours de l’homme barbu à sa fenêtre. Comme le prêche d’un gourou. D’ailleurs, ils ressemblent à ce type américain qui avait une « famille ». Famille qu’il a poussé à tuer Sharon Tate, enceinte.

L’Amérique, on ne sait plus quoi en penser. La France non plus à vrai dire. Mai 68 est finie depuis 3 ans, mais est-ce que quelque chose a vraiment changé ? Les jeunes ont-ils forcé les vieux à les écouter ou a encore plus les haïr ?

Les temps ont changé. Beaucoup, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. D’ailleurs, des jeunes Américains, pauvres pour la plupart, dont beaucoup de Noirs, qui vivent dans des ghettos, partent tuer et se faire tuer à des milliers de kilomètres de chez eux dans une guerre qu’ils ne comprennent pas vraiment et qu’ils trouvent inutile et injuste ; le Vietnam. Comment ils chantaient déjà ces quatre types avec leurs cheveux longs ? Mais si, ces Américains… « Four dead in Ohio/ how many more ? »

Parce que oui, en Amérique, le Summer Of Love, les hippies, c’est presque du passé. Mais la National Guard tire sur des étudiants pacifique.

En fait, tout change… mais tout se répète.

Voici Agnès Varda qui s’apprête à rentrer dans le bâtiment de Jim et Pam. Tout est calme quand elle leur rend visite. Peut-être est-ce le bon moment pour quitter cette rue et continuer notre vie.

Jaskiers

Publicité

La loterie nucléaire – chapitre 6

Sabine s’approchait de son mari et le tirait par la chemise.

« – Benjamin, calme toi merde ! On as pas besoin de ça, arrête ça tout de suite !

  • Laisse-moi ! J’aime pas qu’on parle dans mon dos, et j’aime encore moins que ceux qui le font n’aient pas le courage d’assumer ! Venez !
  • Arrête, tu vas attirer la sécurité avec tes conneries !
  • Sécurité ? Sécurité de quoi ? Rien que des planqués ! Qu’ils viennent et je leur dirai leurs quatre vérités !
  • Si tu continues, c’est moi qui vais les appeler !
  • Tiens donc !
  • Benjamin arrête ! »

Sabine avait lâché ses derniers mots avec autorité, comme une mère rappelant son fils difficile à l’ordre. Et Benjamin se retourna vers sa femme, passa son bras autour de ses épaules et l’emmena sur un banc. Il suffisait de parler à son mari comme une mère parlerait à son enfant pour le ramener à la raison. Complexe d’oedipe ou, là encore, l’explication se cache t’elle dans les recoins les plus reculés de notre instinct ?

Après ce moment de tension, retournons vers Thomas, qui avait enfin trouvé une place assise. Il avait assisté, mais pas entendu, l’altercation du couple avec les voyageurs sur le quai d’à côté, par la vitre contre laquelle il avait posé sa tête, l’alcool pesant sur le cerveau, sur les muscles et, trop imbibé, le corps miné a besoin de soutien.

« – L’amour, à cette époque ? Des projets ? Des enfants ? Une maison ? Les crédits ? Les disputes ? Les violences verbales et physiques ? Les enfants qui tournent mal ? Le divorce ? Les avocats ? Les coups bas ? Qui en sortira avec le plus d’argent ? La bataille pour la garde des gamins ? Une famille recomposée ? Non ! Peu pour moi, je cède ma place ! Jamais ! À cette époque croire en l’amour ? C’est niais. Croyez en une mort certaine, ça, tout le monde y passe, riche ou pauvre, idiot ou génie (les deux sont d’ailleurs parfois en une même personne, le génie de la connerie, et la connerie du génie), gros ou maigre, chômeur et travailleur, enfin… la liste pourrait continuer indéfiniment. Tiens… je me demande si ceux qui balancent les bombes arrivent à dormir et à se regarder dans la glace le matin. Ils sont sûrement chargés de drogues, ou ça ne m’étonnerais pas qu’ils soient manipulés jusqu’à croire qu’il joue à un jeu-vidéo. Je divague… J’ai envie de vomir mes tripes… Plus je vieillis, plus je picole et moins je tiens l’alcool… s’est pas normal ça. Sûrement un cancer, un truc au foie ou à l’estomac. Tiens, je devrai me mettre à fumer, histoire de viser le cancer du poumon ou de la gorge. J’aurai une chance de me voir mourir, de passer de l’autre côté, au lieu que ma vie finisse en un clin d’œil. Si on réfléchit bien, fumer et boire, c’est un peu comme un suicide lent. Ceux qui sautent d’une falaise ou se font sauter le caisson, eux, ils utilisent la manière rapide. Mais ils sont jugés, vilipendés, l’église ne veut pas célébrer leurs funérailles. Par contre, ceux qui, comme moi, se tuent à petit feu, on ne leur dit rien. C’est un suicide, plus long qu’une bastos dans la caboche mais, au final, c’est pareil. Quel monde étrange. Attends, n’est-ce pas du suicide de sortir de chez soi à notre époque ? Attends, pire, rester chez soi, c’est du suicide aussi ! Une bonbonne atomique ça te fait t’évaporer de la surface de la planète que tu sois dedans ou dehors. Non, le mieux c’est un bunker souterrain ! Mais c’est interdit, enfin je crois… J’évite de trop réfléchir. Ça demande des matériaux nécessaires à l’effort de guerre, ainsi que de la main d’œuvre et tout et tout… Plutôt qu’ils ne veulent pas provoquer la panique en disant que les abris anti-atomiques sont nécessaires… et, en filigrane, ils veulent surtout être sûrs que l’on crève. Ma pauvre petite dame, ne retiens pas la rage de ton bonhomme, laisse le déverser sa bile, ils ne nous restent pas longtemps à vivre, vivons pleinement, et surtout goulûment ! »

Comme à son habitude, Thomas avait pensé tout haut. Chaque passager dans son wagon étaient passés dans celui de devant ou de derrière après avoir entendu sa rente.

« – Je pari qu’il y en a un qui va baver aux autorités ! Je ne sais pas si les prisons sont ciblées par les bombardements… en fait, je n’ai jamais entendu parler d’une bombe ayant atterri sur un pénitencier… C’est peut-être une bonne planque ! Ça et bosser pour le gouvernement. Étrange époque, mais on s’y fait, l’être humain s’habitue à tout ! Et je dirais presque que je l’aime, cette période sombre… »

Le train de Thomas enclenche sa marche en avant, doucement, il quitte la gare. Il enlève sa tête de la vitre, les vibrations que provoque le contact de son cerveau éméché avec la vitre du wagon ne faisaient pas bon ménage avec son état. L’ingénieur ne peut s’empêcher de vomir sur le dos du siège en face de lui. Dégouté par l’odeur de son propre vomi, mais se sentant déjà mieux, il déambula dans le wagon à la recherche d’un siège plus confortable. Il le trouva, s’affala dessus et allongea ses jambes sur le siège de devant. Si un contrôleur passait, il aurait été bon pour une bonne réprimande. Mais pour ça, le valeureux contrôleur aurait dû le réveiller. Et le sommeil d’un homme qui cuve est profond. Parfois le sommeil se transforme en coma.

Jaskiers

La loterie nucléaire – Chapitre 4

Les nerfs souffraient dans les deux pays. L’alcoolisme gagnait les populations. Si ce n’était pas l’alcool, on se faisait prescrire des anxiolytiques, des antidépresseurs et le tour était joué. L’abrutissement psychique semblait un des remèdes les plus efficaces pour les civils pour supporter la guerre moderne.

L’ingénieur alcoolique savait qu’il partait pour travailler sur un chantier militaire. La lettre ne le précisait pas mais les conditions évoquées ne lui laissent guère de doute, la clause de non-disclosure et le « chantier » situé dans la zone ouest.

« – Qu’importe ce qu’ils veulent de moi, je ne ferai pas mon boulot, du moins, par correctement. Je vais salement saboter l’ouvrage, tirer au flanc, rien à foutre de leurs sbires, on sait comment tout cela va terminer… »

Mais cette affirmation, Thomas la regrettait d’emblée. Non, personne ne savait exactement comment cela finirait. Enfin si, ceux en costard cravate. Eux savaient, eux avaient planifié. Il n’était même pas étonnant que les deux côtés furent en fait de très bon amis derrière le théâtre de guerre. Il n’y avait peut-être même pas de côté, ils s’enrichissaient à souhait, sans vergogne ni regret, tout en étant portés aux nues par leur peuple respectif.

« – Et puis, si je crève dans ce train, personne ne me regrettera. »

En effet, Thomas n’avait pas de femme, ni de mari. Pas peine d’avoir essayé pourtant mais l’alcool faisant son effet, il évitait de trop creuser sur ce côté de sa vie. Un échec.

Pas d’enfant non plus. Grand Dieux ! Qui oserait mettre au monde un enfant dans ces conditions ?

Qui ? Beaucoup en fait. De n’importe quel branche de métier, de situations diverses et variées, d’âges également. On trouvait toujours à mettre au monde un enfant même si les conditions de vie étaient exécrables. Peut-être était-ce dû à l’instinct. Perpétuer l’existence (et la subsistance mais Thomas arrête sa pensée là) de la race humaine.

Au sommet de la chaîne alimentaire, au summum de la connerie vivante. Numéro un pour s’entretuer et entraîner les autres espèces dans leur chute. En fait, même sur une planète aux conditions de vie incroyables, réunissant tout ce qui était primordial (et plus ? Trop peut-être ?) pour la vie, l’Homme semblait exceller à entraîner cette immense sphère dans sa chute. Parce que l’être humain a un ego. S’il échoue, tout le monde doit échouer, c’est comme ça. La loi du plus fort. Ou du plus idiot, du plus égocentrique, voir tout ça à la fois.

Le train de Thomas arrivait en gare. L’ingénieur prenait souvent son temps avant d’entrer dans le train, pendant que des passagers descendaient que d’autres montaient, il attendait presque le moment du départ pour admirer la machine qui allait le transporter à une vitesse impressionnante. Le génie humain, quand il est dirigé pour le bien de tous, est une bonne chose. Enfin, tout est relatif…

« – Tout n’est pas à jeter chez l’être humain, il faut chercher, mais on trouve parfois les bons côtés de notre espèce, les bonnes personnes. »

Thomas pensait tout haut, il avait cette habitude depuis tout gamin de laisser s’exprimer sa pensée à haute voix. C’était pour cela que les passagers le regardaient curieusement, le temps d’un instant. Certains s’arrêtaient parfois parce qu’ils pensaient qu’il leur parlait directement. Mais souvent, ils accéléraient le pas quand ils sentaient l’alcool émanent des pores de la peau de l’ingénieur, quand ils voyaient sa démarche titubante. Comme si être saoul était contagieux, comme si, jamais de leur vie ils n’avaient vu quelqu’un alcoolisé. Certains semblaient presque outrés, mais l’ingénieur se fichait du regard des autres depuis longtemps.

Il monta dans le train.

Sabine vit arriver le sien, et elle se demandait si elle devait annoncer la grande nouvelle à son mari.

Non, pas tout de suite. Ce n’est pas le genre d’annonce que l’on fait à la veille d’un enterrement. Quoique…

Benjamin ne desserrait pas la mâchoire, elle était crispée. Son mari était tendu. Quel serait sa réaction ? Quand serait le bon moment pour l’annoncer ?

Jaskiers

La loterie atomique – Chapitre 3

Les chaînes d’informations, avec leurs présentateurs vedettes, qui ressemblaient à des mannequins de publicité pour shampoing hors de prix, récitaient leur texte, les mêmes pour chacun à peu de mots prêts, fournis par le gouvernement, n’existaient que pour faire peur à la population, tout en les rassurants. Étrange dichotomie.

« – Tout va bien, on reçoit quelques bombes sur la gueule ? Et bien nous leur en envoyons le double ! L’ennemi cri famine ! L’adversaire demande pitié ! Ces salauds ont demandé des pourparlers de paix ! Ils faiblissent de minutes en minutes ! Leur air est irrespirable (peut-être faudrait-il leur dire que ‘l’air’ ne connaît pas les frontières, à moins que ce soit le même nuage toxique que Tchernobyl, lui, il avait le respect des frontières !) Nous sommes les meilleurs ! Nos soldats sont tous surentraînés et l’armée possède encore beaucoup d’armes secrètes qui pourraient mettre un terme définitif à ce conflit ! (Pourquoi ne l’utilisent-ils pas ? C’est sûrement secret ça aussi.) Nos dirigeants ont toujours un temps d’avance sur l’ennemi trop idiot ! Notre économie n’a jamais été si florissante ! L’ennemi n’a même plus de maison où aller se réfugier, ils mangent par terre, sucent des cailloux ! Sur le champ de bataille (il n’y en a pas, rappelez-vous), l’adversaire tremble et s’enfuit face à nos braves ! Le monde entier nous soutient, beaucoup nous admirent, nous demandent le secret de nos incroyables succès guerrier ! Voyez comme nous sommes grands, voyez comme ils sont petits ! Portez vos masques ! Réfugiez-vous dans un abris à chaque alerte ! »

Et de l’autre côté de la frontière de l’Est, la télévision émettait les mêmes propos sur le pays de l’ingénieur.

Thomas aurait aimé dire au gens que ce n’est que purs mensonges. d’ouvrir les yeux. Mais à quoi bon ? Dans la vie, souvent, il ne fait pas bon de dire la Vérité. Toute vérité n’est pas bonne à dire. Surtout que si l’on s’exprime trop ouvertement, le gouvernement à ses sbires, l’unité de protection de la population, ou plutôt l’unité « fermes ta gueule ou bien creuses ta tombe » comme aimait à l’appeler l’ingénieur.

Pour lui, ‘plus le mensonge est gros, plus il passe facilement’ n’était pas un poncif efficace. Thomas dirait plutôt que le mensonge devait être répété, encore et encore jusqu’à ce que les voix qui s’élèvent pour le démentir se fatiguent et abandonnent. Et des mensonges, matraqués tous les soirs à des millions de personnes rivés derrière leurs écrans de télévision, il y en a tous les jours et de toute sorte.

Peut-être qu’au final, boire est exactement ce que son gouvernement voulait qu’il fasse. Tellement plus facile d’endurer quand l’esprit est saoulé. Tellement plus malléable est le cerveau quand il est imbibé de poison. Mais les leaders du pays de Thomas, les mêmes que ceux de Benjamin et Sabine, ne s’inquiétaient pas des pessimistes, des nerveux, des érudits, des intellectuels ou des personnes qui comprenaient le manège qui se tramait derrière ce soit disant conflit.

Ils avaient leur machine à laver le cerveau et les agents pour détruire le corps si besoin.

Pour ces personnes clairvoyantes, ou plutôt avec un esprit critique et une intelligence légèrement supérieure à la moyenne, et à cette époque, il n’était pas difficile de l’être, la vie était un mauvais spectacle mis en scène par des régisseurs richissimes et joué par des acteurs invisible pour un public névrosé et aliéné à souhait.

Peut-être était-ce dû à la frustration, à voir les gens sourire, rigoler, s’aimer, se disputer, se chamailler, faire la fête. C’est peut-être ça la vraie raison de l’alcoolisme de l’ingénieur Thomas. Effet secondaire de l’ignorance : affecte l’entourage. Comme l’alcoolisme.

L’ingénieur faisait partie de ces gens qui réfléchissaient trop. Une mauvaise chose, une maladie psychique qui ne dit pas son nom où ne montre pas sa gravité. Donc Thomas buvait pour éteindre son cerveau, pour l’empoisonner pour devenir lui aussi, le temps que l’alcool se dissolve dans son sang, un ignorant.

Et puis, il était plus facile de prendre un train saoul. En tenant compte de la situation cependant : une fois dans le train en marche, si une bombe nucléaire décidait que c’est sur votre wagon qu’il décide de finir sa sale besogne, il n’y avait pas de fuite possible. Même en dehors d’un train cela dit. Non, en fait, Thomas buvait car à tout moment sa vie pouvait s’arrêter à cause d’un mini engin apocalyptique.

Jaskiers

Cette matinée très bizarre

La journée avait commencé comme n’importe quelle autre. Rien de différent, la routine d’une famille moyenne dans un HLM pourrie de l’hexagone.

Les samedis, on glande au lit, on ne fait rien, on déguste bien comme il faut une grasse matinée bien méritée. Je suis le plus jeune de la famille, mon frère a 22 ans et vit encore à la maison. Pour lui, ça n’a rien de mal à ce qu’on soit encore chez ses parents à 22 ans, ce n’est plus l’époque formidable de nos parents, mais une autre.

J’ai mon père qui travaille comme cheminot. J’ai toujours trouvé ce mot rigolo.

« – Tu fais quoi dans la vie ?

  • Cheminot ! »

Peut-être que ça me fait rire parce que ca rime avec poivrot. En faite, ces deux mots se marient plutôt bien dans la vraie vie. Quand mon père ne travail pas, il est souvent au bar du quartier à « jouer au ‘Paix Aime U’», « à dilapider de l’argent pour des ‘chies mères’ », dit maman. Je présume que des ‘chies mères’, c’est des femmes, je suis un grand garçon je sais des choses, je les comprends mais je donne l’impression que non, comme ça, je garde un certain avantage sur les autres. Mais il joue aussi aux jeux d’argent. J’ai jamais entendu papa revenir à l’appartement en criant : « Chéri les enfants j’ai gagné ! À nous les Bahamas ! ». Non lui c’est plutôt : « T’as fait quoi à manger ? – Steak frite mais c’est froid, si t’en veux, fais les réchauffer, je vais pas passer mes soirées à t’attendre. »

Souvent, après, ça gueule et sa part dans des histoires pas possibles de « baise », de « putain », de « feignasse ». Ce dernier mot , il aime le dire car ma mère ne travail pas. Quand on lui demande ce qu’elle fait dans la vie elle répond « mère au foyer ». Moi je pensais qu’elle disait « maire » au foyer au début, ce qui, en fait, a du sens. C’est elle qui commande, qui gère les comptes et on l’aime tous, chacun a notre manière, donc c’est comme si on l’avait élue avec notre cœur et notre affection, unanimement !

Enfin je reviens à ce jour où tout avait commencé comme d’habitude. Je suis le plus jeune, moi je fais pas de grasse matinée car je préfère jouer. Dormir quel gâchis de temps !

Donc je me lève, normalement, mais je sens au fin fond de moi que quelque chose est bizarre. Mais je suis parfois angoissé, ma mère dit que je suis déjà ‘nez rosé’. Je sais pas ce que ça veut dire mais je pense que c’est lié à mes angoisses.

Je sors mes céréales, le lait, ma cuillère fétiche et je bouffe. Très sucré les céréales donc je vais me brosser les dents. Vous pensez peut-être que je suis bien élevé mais c’est juste que je déteste le dentiste, donc je brosse mes dents pour éviter d’y aller.

Là, en me regardant dans le miroir au-dessus de l’évier, j’observais mon visage et y’avait quelque chose qui clochait. Parfois j’y réfléchis et je pense que en faite, les traits de mon visage… bougeaient. Oui, comme quand on regarde son reflet dans l’eau, mais c’était très léger.

Il m’en a pas fallu plus pour gerber. Mais j’ai eu le réflexe de le faire dans la baignoire ! Mais je vomissais un peu violet.

Et c’est là que tout est parti en vrille.

Mon père est sorti de sa chambre en caleçon comme un taureau ! BAM la tête la première, il saignait et il gueulait !

« Holà gros connard ! Holé ! No pasarán! »

Ah oui, le père de mon père il était espagnole, ça explique maintenant ses paroles quand j’y repense.

Et là mon frère sort en t-shirt de sa chambre, et il semble marcher comme les deux américains qui ont un jour marchés sur la Lune (papa dit que c’est un prénommé Stanley ‘Cubique’ qui a filmer ça dans un hangar sur Terre, et mis en scène par la CIA). Il me regardait, la bouche en « O » et les yeux pareils ! Et il répétait, péniblement : « Mais putain on est où ».

Et là ma mère est sortie mais moi je voyais sa peau toute verte, juste verte, rien d’autre, comme si elle avait sauté dans la peinture.

Et là mon père il s’est encore mis à gueuler : « Holà ! No pasarán ! » et il faisait semblant d’être un torero. Il pensait que ma mère était un taureau. Mais je peux vous dire qu’elle n’avait rien d’un taureau.

Elle commença à parler une autre langue, enfin une langue étrange, faite de sortes de rots, de cris brefs, rauques et faisait claquer sa langue. Et elle nous regardait comme si nous étions des fous, comme si le fait que nous ne lui répondions pas était outrageant.

Mon frère continuait à marcher sur la Lune, il me demandait avec une voix lente comment nous avions atterri ici et, immédiatement, je vis les murs de l’appartement s’écrouler, comme si ils étaient en cartons, pas en ciment ni rien juste comme ça, et leur chute révéla que nous étions effectivement sur une autre planète.

Tout était rouge, l’atmosphère, l’air, le sol, j’avais peur ! Et ma mère était là, à marcher bizarrement comme si elle était un ours et mon père se mit à courir devant elle et il fit un saut et il disparut.

Je commençais à pleurer et je demandais à maman ce qui était en train de se passer. Elle me fixa du regard et me répondit. Bizarrement, d’un coup, je comprenais sa langue et elle me demandait de parler en français. Mon frère disait qu’on était sur Mars, moi je disais qu’on était en enfer et ma mère continuait à copieusement nous engueuler car nous parlions une langue inconnue.

J’entendais des cris, c’était comme si les voix parlaient à l’envers, comme si quelqu’un vous disait bonjour et qu’en faite vous disait « roujnob ». Ça fait un effet bizarre et y en avait au moins deux ou trois et évidemment je ne comprenais rien. En plus, elles était graves ces voix et je m’imaginais qu’un monstre extraterrestre venait nous tuer avec ses amis.

Donc je pleurais encore et mon frère me disait de me calmer car si ça se trouve les voix étaient gentilles mais ma mère s’approcha de moi, mit son bras autour de mon cou et criait de lui rendre son fils. En plus, elle commençait à serrer fort son bras contre ma gorge, je me débattais comme je pouvais mais elle était forte ! Genre une force comme si elle était en pierre, c’était impressionnant ! Donc je pleurais encore plus mais je ne pouvais pas crier.

Mon frère essayait de venir à ma rescousse mais il marchait encore au ralenti, j’avais le temps de mourir étouffé au moins trois fois avant qu’il arrive.

Et ma mère, toute verte, criait encore et encore de lui rendre son fils. Je bougeais comme une anguille en espérant glisser de sa prise mais aucun espoir.

Puis j’entendis un gros « boum » et les voix inversées de tout à l’heure se rapprochèrent !

Mais je commençais à avoir la vue qui se brouillait, comme un voile noir qui se posait devant mes yeux et là, à ce moment, je vis un énorme bras violet et poilus et un autre de couleur jaune ! Ils prenaient le bras de ma mère qui était autour de mon cou pour l’enlever et ils criaient dans cet étrange langage. Je pouvais respirer et en gigotant encore je pu sortir de l’étreinte de fer de ma mère mais là, un des monstres, le jaune, m’attrapa. J’en avais marre d’être maltraité donc je lui filais des coups de poings et de pieds et la voix du monstre se faisait encore plus grave.

Un autre monstre, de couleur orange, se jeta sur mon frère. Je criais et je frappais le monstre qui me ceinturait et je vis des lumières clignoter dans l’atmosphère et encore plus de cris !

J’étais épuisé j’en avais assez et je vis une navette, c’était elle qui émettait ces lumières qui était apparu peu avant l’intervention des créatures colorées. Et je vis des astronautes en sortir et je leur criais à l’aide car c’étaient les seuls humains que je voyais, depuis le début de cet étrange mâtiné, qui n’étaient pas des monstres ou juste bizarres.

L’un s’arrêta devant moi, ses lèvres bougeaient mais aucun son n’en sortait. Puis il sortit un pistolet, l’appuya sur mon torse et plus rien.

Je me réveillais à l’hôpital, plus de planète rouge ni rien. Une infirmière entra, elle était normale et parlait normalement. Elle était toute gentille et me dit qu’elle allait avertir le docteur et d’attendre sagement. Donc j’attendis.

Un vieux docteur arriva avec ma mère, mon frère et mon père, ce dernier en béquilles.

Ils m’expliquèrent que nous avions été empoisonnés à l’oxycarboné. Il y avait eu une sorte de fuite dans notre appartement et ce gaz empoisonne et peut donner des hallucinations ! Mais les nôtres, d’hallucinations. étaient très importantes donc ça voulait dire une grosse fuite de gaz, donc ma mère elle disait qu’on allait porter plainte contre l’immeuble. Je savais pas qu’on pouvait porter plainte contre un immeuble.

On m’expliqua comment mon père avait fini en béquille. Il avait sauté du balcon car il pensait que ma mère était un taureau ! Heureusement, nous n’étions qu’au premier étage donc il ne se fit qu’une méchante blessure à la jambe droite. Là, des habitants vinrent l’aider et ils comprenaient que mon père était drogué. Ils entendaient ma mère gueuler dans l’appartement et moi pleurer. Ils ont appelés les pompiers et réussit à rentrer dans notre appartement pour séparer ma mère qui m’étranglait !

Et puis les pompiers sont arrivés et m’ont faits une piqure.

Voyez, pas typique cette matinée !

Jaskiers

Vive, lumière !

« – C’était ici ! Dit Jacquot au journaliste.

  • Donc ça s’est passé ici ?
  • Ouai…
  • C’est vous qui l’avez trouvé ?
  • Ouai…
  • Et… comment… qu’est-ce que vous avez ressentis ?
  • Bah… voyez… enfin… c’pas drôle. »

Le journaliste hocha légèrement la tête en signe d’acquiescement ou de sympathie.

Pourquoi je dois me coltiner ces reportages merde !

« -Enfin j’l’ai pas vu au début voyez.

  • Ah, comment ça ?
  • Bah, j’le cherchais partout l’Claude, j’ai cherché chez lui, dans l’étable à côté d’sa maison, dans la grange, j’ai passé au peigne fin ses deux champs, c’te vielle bâtisse j’y étais jamais aller.
  • Et… quand vous passiez du temps avec lui il ne vous en avez jamais parler ?
  • Oh si ! Y’m’disait que ça servait plus à rien depuis l’époque de son grand père d’ja c’te vielle bâtisse. Il voulait l’abattre d’ailleurs car ça prenait d’la place dans son champs.
  • D’accords. »

Le journaliste écrivait sur son calepin.

« -Comme s’qu’on vois à la télé !

  • Pardon ?
  • Z’ecrivez dans un calepin comme à la télé !
  • Ah oui, je suis de la vielle époque.
  • Z’etes jeune pourtant !
  • Oh oui, mais la technologie est bien utile, sauf quand elle vous lâche !
  • Ah ça moi j’ai pas c’probleme m’sieur, ah non ! L’ordinateur, internet machin chouette non non. Vous les jeunes vous avez grandis avec ça mais pas nous !
  • La technologie c’est pas mal, enfin quand ça fonctionne !
  • Ouai sûrement. Mais regardes moi, mon tracteur John Deere, il a une petite panne, paf je le répare en moins d’deux !
  • Moi, changer une roue c’est tout c’que je peux faire.
  • Chacun ses trucs !
  • Exactement. »

Le paysans regardait en l’air, en direction de la poutre, voyait-il un fantôme ?

« – Donc vous me disiez que vous ne l’aviez pas vu tout de suite ?

  • Nan, je connaissais pas la bâtisse, jamais entré d’dans.
  • Vous êtes entré, au rez-de-chaussée, personne ?
  • Bah ouai, personne, mais j’ai senti tout de suite que quelque chose n’allait pas, la poussière, quelqu’un était entré là dedans quoi.
  • Vous l’avez appelé ?
  • Ouai, j’ai fais ‘Claude’ mais rien, mais j’avais une impression bizarre vous voyez, j’devais monter à l’étage.
  • D’accord. Et une fois à l’étage ?
  • Bah y’a c’te porte juste après les escaliers là, par laquelle on vient de rentrer mais elle était fermée à clé.
  • Ah, et vous vous êtes dit qu’il devait être là dedans.
  • C’était le dernière endroit où j’pouvais vérifier.
  • Vous avez forcé la porte ?
  • Ouai, regardez, c’était un vieux loquet comme dans l’temps, pas très solide.
  • D’accord, vous avez peiné ?
  • Bah, j’me fais vieux mais agriculteur sa conserve. »

Un silence s’installa après le dernière parole de l’agriculteur.

« – Donc vous ouvrez, et là vous le voyez ?

  • Nan pas tout d’suite voyez y fait noir sans lumière. Donc moi bah je tâtonne sur le mur à gauche de la porte et coup de chance, si j’puis dire, un vieil interrupteur et ça s’allume.
  • Et là…
  • Ouai là… bah v’la mon Claude quoi.
  • Il était, pendu à cette poutre là ?
  • Ouai celle là juste derrière vous. »

L’agriculteur, les yeux humides et la voix légèrement sanglotante, ajouta :

« S’avez, ça m’étonne même pu… pas le premier ami qui se suicide… s’avez… agriculteur nous… bah on nourris les gens mais on a plus rien dans nos assiettes. »

Le journaliste referma son calepin.

J’écrirai mon article, il sera publié et rien ne changera.

Je dédie ce récit aux agriculteurs de l’Allier et de l’Auvergne, que j’ai eu la chance de côtoyer pendant plus de 10 ans.

« Les agriculteurs se suicident plus que le reste de la population. Selon les données les plus récentes de la sécurité sociale agricole (MSA), 529 suicides ont été dénombrés en 2016 parmi les 1,6 million d’assurés du régime agricole âgés d’au moins 15 ans. » Source : -> https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/11/23/suicides-chez-les-agriculteurs-le-gouvernement-lance-une-mobilisation-collective_6103324_3224.html

Jaskiers

Rencontre osée

Fiction

Nous étions deux dans l’appartement. J’avais cette colocataire plutôt gentille, qui payait son dû, faisait sa partie de corvée en temps voulu. Ce n’était pas une amie, juste une connaissance.

Un jeune homme et une jeune femme partageant un appartement, ça donnait à jaser dans notre entourage. Je n’étais en aucun cas attiré par elle, et et elle pas plus attirée par ma petite personne. Nous ne partagions pas grand chose en commun.

Heureusement, l’appartement était assez grand, une partie a moi, une partie à elle. Nos chambres étaient à l’opposées l’une de l’autre.

Ma coloc’ était une gentille fille comme je l’ai écris au début. La seule règle qu’elle m’imposait, c’était de ne jamais couché avec l’une de ses amies et que, si je ramenais une fille, de faire en sorte que ce soit discret et qu’elle ne l’a croise pas dans l’appartement. En aucun cas cette fille n’avait le droit de rester plus d’une nuit, de déjeuner ou de rester plus longtemps dans l’appartement.

Ça peut sembler extrême, mais je n’étais pas un Don Juan, amener une fille à l’appartement était chose rare, à par si c’était pour les études.

J’avouerais en avoir reçus une dans la journée pendant que ma colocataire travaillait. Elle n’en a jamais rien sut et de toute façon, j’avais respecté les règles, elle n’était pas restée une plombe et était repartie tout de suite après que nous ayons « révisés ».

Un jour où j’étais sur mon ordinateur portable dans la salle à manger, installé confortablement dans mon fauteuil, fauteuil qui était en faite une chaise de jardin, ma colocataire m’avertit au dernier moment qu’une amie et un copain à elle allaient venir passer le week-end à l’appartement.

Deux poids, deux mesures. Impossible pour moi d’inviter un groupe de pote pour un week-end. Mais je n’ai jamais été quelqu’un qui cherche la confrontation au moindre problème. J’acquiesçait.

« Et puis de toute façon, H. a un mec. »

Ma coloc’ m’avertissait donc que je ne devais en aucun cas tenter quoique ce soit avec son amie H.. Honnêtement, l’idée ne m’avait pas traversée la tête, je m’en fichais plus qu’autre chose. Je lui dit donc que cela ne devait pas l’inquiétait. Évidemment, il ne faut jamais dire « fontaine je ne boirai pas de ton eau ». Évidemment, cette maxime se cristallisa en un supplice de Tantale.

Ma curiosité eut le dessus sur ma timidité maladive, je restais donc sur ma chaise, l’ordinateur portable sur les genoux, je voulais voir cette fille. Ma coloc’ n’invitait presque jamais ses amies et quand elle le faisait, je n’étais pas à l’appartement. Je me suis souvent demandé si elle avait honte de moi.

Elle s’apprêta, s’habilla et se maquilla comme si elle allait sortir en boîte de nuit. Je me suis demandé si elle n’était pas amoureuse du garçon qui allait venir avec sa copine, ou si elle était lesbienne. L’un ou l’autre m’était égal, j’étais juste curieux de découvrir ses amis et ma curiosité malsaine, alimentée d’un certain talent pour remarquer quand quelqu’un avait le béguin pour un autre, me réconforta dans ma position.

Malgré les regards curieux et inquisiteurs qu’elle me lançait, j’étais décidé à rester.

«- Ils vont bientôt arrivés

  • Cool. Vous sortez ?
  • Non on passe juste une soirée entre nous. »

Elle avait appuyé sur le « nous ». J’ai compris le message mais je ne bougeais pas. Pour une fois que je me sentais de rencontrer de nouvelles personnes, je n’allais pas me priver. Même si ce n’était que pour un bonjour de politesse. J’avais d’ailleurs prévus de retourner dans ma chambre après leur venue.

J’entendis le bruit caractéristique de l’ascenseur, les portes coulissantes qui s’ouvrent et la sonnette de la porte.

Ma coloc’ leur ouvrit. Bien sûr, il y eut moult câlins et compliments.

« – Trop belle ! Le parfum c’est du « Chloé » j’en suis sûr !

  • Oui ! »

Je passerai les détails des compliments qui sont maintenants flous dans ma mémoire. Je me rappelle effectivement que ce parfum sentait bon.

« – Et lui c’est ton coloc c’est ça ?

  • Oui, c’est S.
  • Enchanté S. on m’a pas mal parlé de toi !
  • Ah ! Hey bien tout est faux !
  • Non, J. (ma coloc’) nous dit que du bien de toi !
  • C’est vrai ce mensonge ?
  • Tu serais surpris !
  • Ah ! »

Je fis la bise à cette jeune femme que je rencontrais pour la première fois. Autant vous dire que les paroles qui sont sorties de ma bouche n’était pas habituelles, je suis de tendance plutôt… renfermé. Je m’étonnais moi-même de ma capacité à pouvoir parler avec des inconnus sans être alcoolisé ! Et surtout, parler à une fille qui était attirante.

« – Sinon J., tu pourrais faire le présentation quand même !

  • Bah H. je te présente S.. Et lui s’est A., copain d’enfance.
  • Enchanté !
  • Tu passes la soirée avec nous ?
  • Non non, j’ai pas le droit !
  • Comment ça ?
  • Demandes ça à ma colloc’ !
  • T’es sérieuse J. ?
  • Bah je pensais qu’on passerait la soirée entre nous. S. passe la plupart de son temps dans sa chambre…
  • T’es sa colloc ou sa mère ?
  • Parfois elle me punit ! Fessées et tout !
  • Ah ! Mais quelle cachotière cette J. ! »

Je ne savais plus où j’étais vraiment, même vraiment qui j’étais. Cette H. était une très belle fille. De tailler moyenne, des yeux gris, les cheveux châtains tirant sur le sombre, des lèvres pulpeuses comme je n’en avais jamais vu. À croire qu’elles étaient fausses, pas dans le sens mauvais du terme, vraiment, j’avais envie de l’embrasser.

Je serrais d’une bonne poignée de main A., le garçon qui avait accompagné H.. Une tête de premier de la classe, grand, fin, pâle, cheveux gras mi-long et habillé avec des habits qui n’étaient pas assortis. En aucun cas ce type pouvait être le Jules de H.. Je ne me trompais pas, ils étaient colocataire et lui était gay. Je l’appris directement par H., qui n’avait pas sa langue dans sa poche.

J’avais analysé H. rapidement. Je présumais qu’elle était du genre entreprenante, avec les hommes et dans la vie en générale. Hyper sociable, amicale, un peu exubérante, juste assez pour qu’un homme l’a trouve attirante. Enfin pour moi en tout cas.

« – Bon, je pose les bouteille où J. ?

  • Dans ma chambre on va laisser S. tranquille.
  • Sérieux ?
  • Je vais vous laisser entre vous, si y’a besoin je suis sur mon « fauteuil ».
  • Quand même J. on va pas le laisser seul !
  • Ça me dérange pas ! C’était cool de vous avoir rencontrez, amusez vous bien. Et J., si l’un de vous vomit, tu nettoies ! »

Après que H. eut plaidé en ma faveur, voulant que l’on passe la soirée ensemble dans la salle, ce que je désirais vraiment car H. m’attirait comme un aimant, elle finit par céder à J. La Terrible.

« – Bon d’accord, de toute façon S. tu as dis que tu resté là ce soir ?

  • Ici, sur mon ordi, comme un clanpin ! »

En rentrant dans la chambre de ma colocataire, H. continuait à plaider en ma faveur et elle me jeta un regard plein de malice avant que la porte de la chambre ne se referme sur elle.

Encore abasourdie par mon propre comportement, qui était d’habitude de ne pas faire de vague et de limiter mes interactions sociales au maximum quand je suis sobre, je restais les yeux braqué sur mon ordinateur. Je n’avais qu’une envie, être avec H..

J’entendis la musique de J., quelques rires, des cris. Je pensais que j’allais passer ma soirée à me morfondre.

Je m’installa sur le canapé, alluma la télé et ma console de jeux. Il fallait impérativement m’occuper l’esprit et oublier H..

Je ne me rappelle plus vraiment combien de temps j’étais resté sur la console, faisant des pauses après chaque parties de mon jeux pour penser à H.. Au fond de moi, j’étais persuadé qu’elle allait venir me voir, me parler. C’était ce genre de fille qui faisait le premier pas. Le genre de fille dont je peux facilement tomber amoureux. Nous sommes dans une autre époque, je ne comprends pas les gens qui ont cette vieille croyance que les hommes doivent faire impérativement le premier pas. Je trouve que beaucoup de relation, d’histoire d’amour d’un jour ou de toujours ont été gâchées par cette croyance digne du moyen-âge.

Une fille qui fait le premier pas, c’est sexy, c’est courageux et je peux vous dire qu’avec moi cela a marché chaque fois, ou presque. Et mes amis mâles vous direz la même chose si ils le pouvaient.

Mais j’étais sur le canapé, pensif, quand la porte de chambre de ma coloc’ s’ouvrît. Je sentais la fumée de shit monter à mon nez, la musique électronique, et le rire gras de ma coloc.

Je me demandais qui était sortie, quand des mains recouvrirent mon visage.

« – Essaie de jouer sans voir !

  • H. tu va te faire gronder ! »

Je sentis à ce moment-là cette sensation dans le bas du ventre. Je le savais, qu’elle allait venir. Elle était là !

« – Elle va me mettre la fessé ?

  • Sûrement ! Et j’regarderais !
  • Tu me défendrais même pas !
  • Je suis un mauvais garçon !
  • Je préférais que ce soit toi qui me l’as mettes, cette fessé. »

C’est dans ces moments-là je pense, où une femme différencie l’homme du garçon. Le puceau du… pas puceau ?

« – J’ai beaucoup d’expérience en matière de fessé, je suis un mauvais garçon comme je t’ai dis.

  • Je vais vite ramener le jus d’orange à ta mégère et je reviens.
  • La soirée vient à peine de commencer et vous vous êtes déjà enfilée une brique de jus d’orange ?
  • C’est J. !
  • Genre !
  • J’te promet, elle boit comme un trou !
  • On dirait pas pourtant !
  • C’est parfois les plus calmes qui sont les plus fous !
  • Ouai j’ai entendus ça.
  • Et toi t’es calme ?
  • J’étais calme avant que t’arrives.
  • Comment ça ? Je te gêne ?
  • Non mais j’me demandais quand est-ce que H. viendra me libérer de ma solitude forcée.
  • Laisse moi soûler ta gardienne.
  • Et pour A. ?
  • Oh, il vit sa meilleure vie quand il est avec J..
  • Il a une bonne tête de collabo, il va te dénoncer si tu passes trop de temps avec moi.
  • Il est cool t’inquiète. »

Elle prit mon nez entre ses mains, qui elles aussi sentaient bons, je ne saurais dire l’odeur. Je sentis ses lèvres se poser sur mon front, c’était quelque chose. Son baiser raisonna dans la pièce et elle repartit, sa brique de jus d’orange à la main. J’entendis ma coloc gueuler « Ah bah enfin ! ». Et la porte se referma.

J’éteignis la télé et la console, pris un verre d’eau, alluma une cigarette. Mes mains tremblaient. H. allait revenir, j’étais sobre, j’avais envie de lui plaire, qu’elle me trouve cool.

Je dégustais cette cigarette comme un soldat doit déguster la sienne avant de partir en guerre. H allait revenir, je ne voulais pas la décevoir. Il allait falloir tenir une conversation avec une femme, une vraie, et j’étais sobre. Chose nouvelle pour moi.

La porte se rouvrit, mon cerveau passa en mode pilote automatique. La faire rire, apprendre à la connaître, la faire rire, encore.

Ces mains me recouvrirent le visage et elle s’installa à califourchon sur moi. Ses lèvres aux contacts des miennes me firent l’effet d’une bombe dans le bas ventre. Et je me laissa faire.

Jaskiers

Les maux violets

C’est dans le domaine onirique que l’anxiété se déploie dans sa plus forte forme. Cauchemars qui se répètent de nuit en nuit, d’une régularité effrayante, la plupart du temps indescriptibles car au réveil, il ne me reste que des images floues et incohérentes mais surtout, il me reste ces sensations d’angoisses terribles.

J’imagine, quand je suis éveillé, une vapeur de couleur violette très sombre qui est tapit dans mon estomac et dans les moments d’angoisses terribles, cette vapeur se propage dans mes bras, mes jambes et le reste de mon corps. Elle stagne dans mon ventre la plupart du temps, se nourrissant de tout les petits tracas du quotidien, de la douleur physique et des angoisses. Un feu grégeois qui attend les moments opportuns pour enflammer mon esprit et mon corps dans les temps où j’ai le plus besoin d’être serein. Donc serein, je ne l’ai jamais été. « Il ne sert à rien de s’inquiéter » est la phrase que je reçois souvent en guise de conseil. Si seulement c’était si simple !

J’ai essayé, il y a longtemps, de méditer. J’ai lu pas mal de blogueurs ici en parler, de la méditation.

J’essayais de m’installer confortablement, de faire attention à ma respiration. Tout ce que je ressentais, c’était cette vapeur qui languissait tranquillement dans mon ventre. Elle me montait à la tête et mes pensées se mettaient à vagabonder dans mes souvenirs les plus terribles.

Elle m’empoisonne, cette « vapeur » et je dois vivre avec.

Je réalise que je ne peux être totalement détendu. Impossible. Physiquement et mentalement. Rien ne m’apaise à part mon traitement.

Mon corps ne peut pas se détendre, mes muscles et mes nerfs sont constamment en feux, empoisonnés par cette entité colorée mais invisible au yeux et ressenti d’autrui. Je suis toujours crispé. Un kinésithérapeute m’a un jour dit qu’il n’avait jamais vue de personne si nerveuse, si tendue à un si jeune âge.

Mon corps, et je présume, mon psyché, sont toujours sur le qui-vive. Essayer de me relaxer est impossible car mon corps est habitué à cette tension permanente et me relaxer semble un danger pour mon entité physique et, peut-être aussi, psychique. La normalité, ma normalité, c’est la tension permanente.

Je ne peux rester à ne rien faire, il faut que je sois toujours occupé à quelque chose. Lire, écrire, aller sur internet, regarder un film ou une série, jouer à un jeu-vidéo. Je ne peux rester sans rien faire car la vapeur se répand dans mes membres et mes pensées s’affolent et m’angoissent.

Je ne peux rester seul avec moi même qu’avec l’écriture. Mon esprit fonctionne, mon corps bouge pour écrire. C’est une introspection, la seule que je puisse pratiquer ayant un impact positif sur ma vie.

C’est pour cela aussi que mes récits de fictions s’avèrent violents. Je m’adonne à l’exorcisation de mes peurs, angoisses, souvenirs, inspirations du moment.

Je pense parfois que derrière ma dépression aiguë, mon anxiété, mes névroses, se cache une maladie non-diagnostiquée. J’ai ma petite idée sur ce dont je crois pouvoir souffrir mais, pour l’instant, après avoir parlé avec des professionnels, rien n’est sûr. J’espère avoir raison et poser une bonne fois pour toute un nom sur mon mal-être perpétuel.

Est-ce que je vis par procuration avec mes lectures ? Oui. En grande partie même. Et je pense que chaque lecteur, chaque personnes qui prennent le temps de lire un livre vivent par procuration, le temps de leur lecture.

Est-ce un mal ? Je préfère ça plutôt que d’autres méthodes plus violente, tel la drogue ou l’alcool ou tout autre addiction.

Lire, une addiction ? En tous cas un besoin. Je ne m’imagine pas passer une journée sans lire une page d’un livre. Depuis 10 ans, tous les jours, j’ai quelque chose à lire. Je ne dois pas lire, ce n’est pas une obligation, c’est plutôt un plaisir, quelque chose que je m’accorde à moi-même.

Pendant la lecture, le feu grégeois s’évapore, lâche mon corps et ne préoccupe plus mon esprit. Pendant l’écriture aussi parfois mais je l’utilise aussi pour m’aider à créer. Faire d’une tare un atout, ou du moins essayer.

Le futur est incertain, pour moi. Mon corps vieillit, les choses ne sont plus aussi simples qu’avant, elles deviennent parfois même plus difficiles. Parfois, une simple broutille devient une terrible épreuve pour ma petite personne. J’ai réalisé que je n’était pas le seul. Nous sommes tous de grands acteurs et actrices pour cacher nos névroses. Nous avons tellement peur d’être vulnérable, ou de se montrer vulnérable au yeux des autres. Nous sommes humains, je crois, et personne n’est invulnérable, tout le monde a ses faiblesses. Mais l’avis et le regard des autres nous obligent à tout cacher. Et si on a de la chance, parfois, cela arrive, on peut trouver quelqu’un avec qui vous pouvez baisser la garde. SI on a de la chance. Et si nous-même pouvons accepter et comprendre les peurs et les faiblesses d’autrui.

Maintenant, je vis, tant bien que mal. Et tant qu’il y a de la vie… vous connaissez la suite.

Jaskiers

Je t’aimerai hier et je t’aimais demain.

Si ce ne fut qu’un moment fugace, entre fumées, vapeurs et relents d’alcool, sous la chape de musique électronique tellement romantique et pleine de sens que j’en ai oublié l’air, ce n’était qu’un moment pour nous deux. Je ne l’ai pas oublié, loin de là.

Lèvres sucrées, langue douce. C’était il y a tellement longtemps mais ce moment revient parfois, dans mes rêves ou en journée. Quand je vois quelque chose de beau ou du bonheur chez les autres, je me rappelle le notre si fugace.

C’est toi après tout qui avais décidée que non. Mais un moment suspendu comme celui la, où tout se tût pour nous… Je ne peux pas être le seul à avoir ressenti ça. Toi aussi, j’en suis presque sûr, mais tu m’as répondue que tu ne savais pas.

C’est toujours difficile d’y repenser, autant doux que dur. Qui étais-tu à ce moment ? Et ces deux mots « je t’aime » c’est toi qui me les as dit, pas moi.

Mais après, nous deux, selon toi, c’était impossible. Jamais tu n’a posée de mot, jamais nous n’en avons parler tous les deux à têtes reposées.

Quand nous nous sommes revus la première fois, je t’avais dis que c’était oublié. Non non, tu voulais en discuter, j’ai vu dans tes yeux que tu voulais en parler, mais tes lèvres disaient non.

Je te revois parfois dans d’autres femmes. Jamais elles n’ont ton visage, sculpté dans une pierre de caractère par un artiste aux mains de velours et au burin de fer. Jamais je n’ai revu de visage si beau.

Je suis désolé de ta perte, désolé de n’avoir pas été là pour toi et lui. Tu le sais, il était mon ami, et toi, quelqu’un que je portais au nues.

J’ai été exécrable, insolent, irrespectueux. C’était mes preuves d’amours. Mais il ne me fallait qu’un message de toi, un mot et rien d’autre pour être à tes côtés pour endurer ses derniers moments.

Je n’ai su qu’à la fin que ton frère, mon vieil ami, était parti. Si jeune contre ce crabe de malheur. Après mon paternel, lui. Les gens qui me connaissent meurent seuls, pourquoi ? Il te fallait juste un message. Juste un.

Je n’aurais pas pu le sauver, mais être à ses côtés et avec toi. Rien de plus qu’une épaule sur laquelle tu pouvais pleurer. Je n’aurai rien tenter, si quelque chose serait arrivée, elle serait venue de toi, mais je n’aurais rien attendu. Juste d’être là pour vous m’aurais suffis.

Est-ce les paroles d’un fou que je vais dire là, mais toi et moi, c’était quelque chose de fort non ? C’était la deuxième fois de ma vie que j’étais amoureux, rien ne pourrait remplacer l’intensité de mon premier amour, je lui écrirai d’ailleurs peut-être un jour. Mais toi, c’était quelque chose que je sentais dans mon âme, comme deux vieilles âmes se rencontrant après des années d’exiles et d’épreuves. C’était dans les tripes, un peu, physique oui mais c’était quelque chose d’inexplicable.

Penses-tu encore à moi parfois ? Me détestes-tu ? Es-tu heureuse ?

Jamais tu ne me lira, car nos âmes sont éloignées pour encore un long moment, peut-être se rencontreront-elles dans une autre vie. Peut-être saura-tu ce que tu veux, peut-être serai-je plus gentil.

Si un jour tu lis ces mots, je sais que tu te reconnaîtra. Je ne t’oublie pas. J’ai laissé ton image partir, elle peut revenir au moindre signe de toi.

Le premier mot que j’aurai à te dire serait : désolé.

Jaskiers

À la terrasse

FICTION

C’était notre habitude, après une nuit d’amour, de nous lever et de déjeuner sur sa terrasse.

C’était un moment suspendu, enfin où j’étais suspendu. À ses lèvres. J’aimai l’entendre parler, de ses théories loufoques sur qui a tué telle célébrité ou qui a fait quoi à son travail. Je connaissais ses collègues, leurs histoires et leurs coucheries sans les avoir jamais vus. Ils auraient été surpris de savoir à quel point je connaissais autant de leurs intimes secrets. Elle ne savait pas les garder, ces secrets. Mais pour être honnête envers elle, jamais elle ne faisait de promesse qu’elle savait ne pas pouvoir tenir.

Elle était leur confidente. Et puis aussi leur amante.

C’est pendant une de ses matinées douces où je l’a regardé parler, car parfois l’homme n’écoute qu’avec ses yeux, que j’ai réalisé que j’étais tombé amoureux.

C’était ce piège dans lequel il ne fallait surtout pas tomber. On s’aimait au lit mais nous n’étions que des amis. Rien, rien de plus. C’était une règle que nous avions évoquée à demi-mot après notre première nuit ensemble. Nous ne cherchions pas une relation de couple, nous voulions nous aimer physiquement sans les entraves d’une vie de couple. Et elle ne partageait pas son lit qu’avec moi. D’autres femmes et hommes glissaient dans ce lit pour une nuit. Souvent après des fêtes.

Nous passions nos nuits en pleine semaine. Nos ébats ne se déroulaient pas alcoolisés. Je pensais qu’à cause de cette raison, j’avais obtenu sa préférence, son amour. Peut-être était par ce petit signe, ce petit code à déchiffrer qu’elle voulait me faire passer un message : Peut-être que nous deux, ça pouvait être plus que du sexe.

Je sentais, cette sensation d’être à la fois dans un grand-huit et sur un nuage à chaque fois que nous discutions sur cette terrasse, qui était, je me rappelle, tout le temps légèrement ensoleillée et sur laquelle nous recevions une douce brise matinale. C’était un moment suspendu où j’aimai la regarder parler.

Je regardai ma montre, discrètement. Je n’avais cure de rater le travail ou d’arriver en retard. Je voulais juste faire traîner ces moments. Jusqu’à l’heure de manger ou j’aurais proposé de nous manger un fast-food où une pizza. Je faisais traîner ce moment en relançant la discutions, tout le temps. J’écoutai ces dernières paroles et forçai mon cerveau à sortir une question ou une remarque pour relancer la discussion, engranger du temps. Pour la regarder encore.

Ses expressions, son immense sourire, ses yeux plissés, m’émerveillaient mais la plus belle chose c’était quand elle cherchait une approbation de ma part, avec un petit signe du menton. J’étais tenté d’être tous le temps d’accord avec elle mais je désirais me montrer… fort ? Beaucoup d’hommes et de femmes n’auraient pas hésité à dire amen à tout ses propos. Je ne voulais pas être dans ce moule, je voulais qu’elle me voit différemment. Bien qu’un peu plus âgé que moi, je partageais mes opinions sur des sujets qui parfois me dépassaient. Il me fallait me montrer mature tout en gardant un côté immature, garder ce côté amusant, naïf, qui était, je crois, ce qu’elle cherchait en moi. Avec le sexe, je voulais apporter bien d’autres choses. Trop peut-être.

Un autre jour, une matinée sur la terrasse, pendant que nous buvions notre café, regardant le saule pleureur de la voisine d’en face s’agiter doucement, comme si des petites créatures des bois menaient un rite magique sous ses branches, observant la rosée se dissiper qui faisait luire l’herbe, je décidai de me lancer.

« – Tu sais, c’est bien tout les deux.

  • Oui, on est tranquille comme ça. Ça fais du bien.
  • Ces petits moments suspendus comme ça…
  • Ouais…
  • Toi et moi et puis rien d’autre.
  • T’es triste ?
  • Non au contraire !
  • Ces bizarres, on dirait que t’es mélancolique.
  • Mélancolique ? Nan pas du tous ! Au contraire !
  • T’as l’air… pensif.
  • Je me dis que bientôt, il va falloir que je parte et qu’on reprenne chacun notre vie…
  • Tu veux en venir où ?
  • C’est juste… j’aimerai vivre ça tous les jours. Je me sens bien, j’ai l’impression d’être… combler…
  • Je vois où ça va mener.
  • Je pouvais pas garder ça en moi encore un jour de plus. Je suis bien ici. Avec toi. Tu sais, la vie, les emmerdes. Si je ne t’avais pas… il y a que c’est grâce à toi que… je tiens.
  • C’est mignon. Mais j’ai un peu peur que… tu vois. Tu t’attaches trop.
  • C’est quelque chose de mal ? Que je m’attache ?
  • Tu sais que… c’est pas comme ça que ça marche entre nous.
  • Est-ce que toi aussi, tu aimes être avec moi, j’veux dire, quand tu sais qu’on va être ensembles. Tu vois… parler, rigoler, le lit…
  • C’est pas la même chose. Enfin un peu, mais on sais tous les deux que… tu parles de ce mettre en couple non ?
  • Je veux rien brusquer, je voulais juste voir si un jour, nous deux ça pouvait aller un peu plus loin. On se connaît.
  • Justement, je comprend ce que tu veux dire. On se connaît, on sait bien que tous les deux, on ne veut pas de ces relations sérieuses… on est que des amis… tu vois…
  • Oui exactement. Mais c’est que je me sens tellement en symbiose. Tout à l’air tellement simple quand je sais que tu es là.
  • On peut continuer comme ça, tu as peur que ça s’arrête ?
  • Oui j’ai peur mais je parle que j’aimerai que ces moments… qu’on puisse les avoir plus souvent.
  • C’est compliqué…
  • Je comprends, j’comprends. C’est juste que… voilà. Je veux rien forcer, rien gâcher entre nous deux. C’est comme ça. C’est juste que je te vois et je me dis… ça ressemble au bonheur. Tu vois… ces histoires que je raconterai peut-être un jour, quand on me demandera le moment où j’ai été le plus heureux, je dirais que c’était ce genre de moment.
  • Ça…
  • Te gêne oui j’ai compris. J’aurais dû me taire, profiter de ces moments jusqu’à ce que tu en ai assez et me laisse.
  • C’est pas ce que je voulais dire.
  • Un petit peu, sois honnête, tu ressens pas la même chose.
  • Je ressens la même chose !
  • Non arrête, ça va j’ai compris.
  • Tu sais que ce n’est pas possible.
  • Oui, oui j’le savais mais il fallait que je te le dise. Qu’est-ce que j’attendais en guise de réponse ? Pas moins que ça. J’ai compris.
  • Le couple, c’est pas pour moi. Par pour l’instant du moins.
  • J’ose là question ?
  • Non…
  • Je la pose quand même… »

Elle resta muette. Je n’osai pas la regarder, je posai mes yeux sur le saule pleureur, j’aime cet arbre depuis, son nom, son allure de coupe de cheveux de fan de hard rock. Sous cette tignasses de branches et de feuilles affaissés, il reste fier. « Regardez, oui je ressemble à un Homme dans la défaite, tête basse, mais je suis beau, vous me contemplez. Je fleuris comme n’importe qu’elle autre arbre sauf que ma posture est différente, et c’est cette différence qui fait mon charme, qui fait qu’actuellement, j’attire votre attention. »

Mes yeux braqués sur l’arbre, j’essayais de ne pas me laisser submerger par mes pensées et mes sentiments. Je gardai une oreille tendue, à l’affût du moindre mouvement, je pense que j’aurai pu entendre les battements de ses paupières si je me concentrais suffisamment. Tout mon corps était tendu.

J’attendais quelque chose d’elle, une réponse, un mouvement, quelque chose à décoder. Puis j’ai compris, c’était exactement cela que l’on ne voulait pas entre nous deux. Exiger de l’autre des réponses, des comptes, des engagements. Ce n’était pas plaisant, nous étions deux êtres pour qui la liberté était la chose la plus importante dans notre vie. Pourtant, j’étais prêt à faire un sacrifice conséquent envers ma liberté, tout en pensant que selon ce critère, notre relation serait spéciale, tenant en compte notre besoin d’espace et d’indépendance. C’était un peu ce que nous avions déjà mais pas assez à mon goût.

« – Au final, je veux juste te voir plus. C’est tout.

  • Pour le sexe ?
  • Non, enfin ça compte mais c’est ce que nous faisons avant et après qui compte aussi.
  • Tu es trop jeune.
  • Notre différence d’âge n’est vraiment pas grande.
  • Oui, mais on sent cette naïveté.
  • Naïveté ? Que de vouloir être avec une personne que l’on aime plus souvent ?
  • Non, c’est de croire que quelque chose de sérieux est possible entre nous. »

J’ai senti cette douleur au cœur, cette mauvaise chaleur, l’impression que vous tombez, sans perdre conscience, d’une falaise. L’esprit prend un coup et le corps suit.

« – Bon. Je crois que je vais y aller.

  • Ouai… ouai.
  • Une dernière chose vite fais. J’essaie pas de te convaincre. »

Je l’ai regardé, elle était pensive. Au moins, pensais-je, si elle ne me voulait que pour le sexe, elle ne serait pas si pensive.

« – Tu sais je pense que parfois le bonheur on l’a devant nous mais on ne le réalise pas.

  • Sûrement, sûrement. C’est beau comme phrase. Mais je ne cherche pas le bonheur, du moins j’ai pas besoin de quelqu’un pour être heureuse. »

La messe était dite. J’ai ramassé ce qu’il me restait, pris mes clés de voiture et lui fis une bise, qu’elle me rendit doucement. Je savais que je l’avais perdu, mais qu’aussi, ma proposition et mes mots étaient rentrés dans sa tête.

Je sortis, et je me suis promis de ne pas la contacter le premier, ce serait à elle de le faire. J’ai dévoilé mon jeux, à elle de décider de la suite.

Avant ce jour, il ne se passait pas un jour sans un petit message. Elle sort du boulot, je sort du miens, tomber sur un message d’elle et ma journée n’était plus merdique. C’était comme ouvrir un livre ou continuer une bonne série télé, on reprend là où on s’était arrêtés et on oublies le monde extérieur pour rentrer dans le nôtres.

C’était un samedi matin que tout ceci s’était passés. J’étais nerveux, je pouvais craquer à tout moment et lui envoyer un sms qui ne ferait qu’empirer les choses. Il ne fallait surtout pas que je sois le premier à la contacter, je craignais de passer pour cette personne collante, cet homme qui refuse de lâcher prise.

Ce soir-là, comme presque tout les samedis soirs de cette époque, je m’apprêtais à sortir en boîte de nuit avec ma bande d’amis habituelle. Nous avions rendez-vous pour boire avant notre soirée dans le bistrot de notre village.

J’avais une furieuse envie de me détruire. Je me rappelle être rentré dans le bistrot et d’avoir crié que je payais une tournée générale.

C’était vraiment loin de ma personnalité habituelle et surtout je n’avais pas l’argent pour payer une tournée générale de 30 personnes. Et aucun d’eux n’allaient choisir de l’eau.

Mes amis accueillirent mon entrée avec inquiétude, ils étaient heureux évidemment d’avoir un verre gratuit mais je n’étais pas le genre de personne qui, sobre, rentre dans un bar pour payer une tournée générale.

Je me rappelle avoir dis que ce soir là, je me mettrai la tête a l’envers.

Je me souviens avoir bu beaucoup, beaucoup de Vodka. Et puis ma tête a tournée, j’ai crié que si je faisais un coma éthylique, de ne pas me ranimer.

Ensuite, je me suis réveillé le lendemain matin avec un terrible mal aux cheveux, un étau m’enserrant les tempes, mal aux yeux, l’estomac en vrac. J’ai vomis tous mon soûl à côté de mon lit. Et j’ai dormis, ou essayé, on ne dort pas vraiment pendant qu’on cuve, on transpire et cauchemarde.

Je n’ai jamais reçus de message d’elle, je ne lui ai rien envoyé non plus. Elle a maintenant un enfant, qu’elle élève seule. Est-elle heureuse ? Je n’en sais rien. L’enfant n’est pas de moi, Dieu merci. Je l’ai peut-être perdu, mais j’ai ma liberté, moi.

Au final, j’étais beaucoup trop mal en point pour sortir mon portefeuille et payer ma tournée, mes amis l’ont fait à ma place. Autant piètre ami qu’amant.

Jaskiers