Tout perdre – Chapitre 10

Ça a bataillé sec pour ces tubes. Les premiers jours ont été violents, il y a eu des morts, des estropiés. Mais cela ne dura pas longtemps. Non pas que les Sans-Riens soient revenus à la raison et décidèrent que chacun pourrait passer une nuit pour laisser sa place à quelqu’un d’autre la nuit d’après. Non, mon instinct avait raison, le Gouvernement avait bel et bien un plan, et il avait décidé de jeter l’éthique, le respect de l’être humain une bonne fois pour toutes.

C’est pour cela que vous lisez ces lignes, je m’apprête à venger les miens, à me venger moi-même. Je n’aurai pas le temps de vous dire si la vengeance est cathartique ou inutile, mais, je vous expliquerai cela plus tard, à la fin, sûrement.

Mais qu’est-ce que ces caissons nous ont-ils fait à la fin ?

Les premiers jours où les Sans-Riens avaient passé leurs nuits dans ces tubes, rien de spécial, excepté, évidemment les batailles sanglantes, ne s’était passé. Ceux qui avaient eu l’opportunité de passer quelques nuits à l’intérieur étaient heureux, et encore plus déterminés à garder ce privilège pour leur petite personne.

Ce n’est qu’au bout de deux semaines que les choses prirent une tournure que je qualifierais de crime contre l’humanité.

Les privilégiés disparurent. Tout le monde savait qui dormait dans un caisson, ces personnes étaient devenus des chef(fe)s, des leaders, des personnes que certains admirés, à qui beaucoup léché les bottes pour, peut-être un jour, avoir la chance de passer ne serait-ce que quelques minutes dans ces engins. C’était aussi dangereux d’en être propriétaire, les démunies suivaient ces privilégiés, tentant parfois de leur trancher la carotide, de les piéger, pour prendre leur place.

Et une nuit, les caissons s’ouvrirent d’eux-mêmes sans aucune âme à l’intérieur.

Vous pourriez penser que ce n’était qu’un événement anodin, mais laissez moi vous expliquer pourquoi ça ne l’était pas.

Tout d’abord, un Sans-Rien quittant cet abri de luxe, en plein milieux de la nuit, sans que personne ne le voit, été impossible. Comme je vous l’ai expliqué, les caissons attiraient la convoitise de tout le monde. Plusieurs personnes étaient autour, quelqu’un aurait vu l’occupant sortir. Une information qui paraît anodine mais dont vous vous êtes sûrement fait la réflexion à l’instant, il y avait possibilité de faire ses besoins naturels dans le tube. Le caisson, rappelez-vous, a une hauteur de près de deux mètres et quarante centimètres. Même s’il fallait une certaine souplesse, il suffisait d’ouvrir un hublot qui cachait un bidet et faire vos besoins. Donc non, personne n’avait à sortir du tube pour quoi que ce soit.

Mais ce n’est pas là le meilleur argument pour prouver que cette situation était étrange, la meilleure, c’était que toutes les personnes qui avaient dormi cette nuit-là, dans le caisson avaient disparu.

Aucune trace de leur présence. Les propriétaires avaient aménagé à leur grès l’intérieur de leur havre. Certains, surtout les leaders de gang, avaient gravé ou tagué leurs initiales ou les symboles de leur clan à l’extérieur et à l’intérieur de leur possession.

Mais en une nuit, c’était comme si le caisson, à l’intérieur, n’avait jamais accueilli quelqu’un. Tout était propre, sans gravure ni graffiti, pas d’effets personnels. Ils s’étaient évaporés.

Jaskiers

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Tout perdre – Chapitre 9

Un beau jour, à la place des bancs que vous pouviez trouver dans les squares, les parcs, les rues, à tous les endroits où un banc avait été placé, une sorte de caisson, long d’environ deux mètres cinquante et large de deux mètres les avaient remplacés.

Nous avons été surpris. Notre premier réflexe a été de voir ce que ces caissons étaient.

Ils s’ouvraient sur le côté, sur la longueur, d’un seul côté. À l’intérieur, tout était matelassé. Des systèmes de ventilation étaient installés sur les côtés. Un gros oreiller dans un coin, des couvertures bleues, un petit caisson de rangement du côté opposé de l’oreiller, un Thermos, des gourdes, des gobelets et un tout petit réfrigérateur encastré à l’intérieur de la grande portière.

Incroyable, le Gouvernement avait peut-être enfin réalisé que nous étions des êtres humains, et que c’était en nous tendant la main de ce genre de façon que nous pourrions re-basculer dans une vie bien rangée.

Sauf que…

Je suis persuadé que nos leaders avaient pensé que ces caissons pour Sans-Rien n’étaient pas ici pour nous aider, mais pour créer des tensions et dissensions entre nous.

En effet, nous étions des milliers, voir quelques centaines de milliers et même un bon million, à travers le monde, à vivre dans la rue. Et il n’y avait qu’une poignée de caissons par rapport à nos effectifs.

En premier lieux, les bancs étaient déjà occupés par des personnes s’étant battues, au sens littéral du terme, pour pouvoir occuper et garder un banc. Certains bancs appartenaient même à des gangs, qui les louaient pour de l’argent, de la nourriture, de la drogue ou du sexe.

Maintenant, les gangs et autres propriétaires d’un banc se retrouvaient avec un caisson.

Toute la hiérarchie des démunies était chamboulée.

Si vous étiez propriétaire d’un banc, deveniez-vous de facto propriétaire d’un caisson ? Fallait-il procéder à un vote ? Se battre à nouveau pour savoir qui serait le nouveau prophète ? Était-ce juste ou injuste de considérer le caisson comme votre, posséder un luxe que n’était pas le vulgaire objet de ferraille et de bois ? N’était-il pas légitime que ce changement drastique soit suivi d’une nouvelle lutte de pouvoir ?

Qu’importe votre avis, vos réponses, pour nous, la réponse s’imposait d’elle-même ; personne n’était plus propriétaire de rien, il allait falloir se battre, parfois en formant des clans, jouer de la diplomatie, de coup bas, pour devenir propriétaire d’un caisson.

Je n’ai pas participé à ces combats fratricides. Je n’avais jamais dormi sur un banc. Pourquoi ? Parce que je n’avais pas la volonté, ni nécessairement l’envie, de me retrouver mêlé dans une baston à coup de tessons de bouteille, de battes de baseball, de canifs, pour pouvoir dormir dans ce qui semblait être une bénédiction, un luxe, dont je n’avais pas besoin.

Les squats, les cartons empilés, les immeubles et magasins désaffectés, à même le sol, j’étais habitué à vivre sans rien. Je me serai senti mal à l’aise dans ces tubes, ce n’était pas naturel pour moi. Et mon instinct, que j’ai réappris à écouter, me disait que ce petit havre de confort était dangereux. Pas seulement à cause de la nouvelle guerre qu’ils avaient engendrée, mais parce qu’ils venaient du Gouvernement Unis.

Rien n’était gratuit, il fallait apporter quelque chose à la société pour pouvoir bénéficier de la moindre chose vitale. Et ces caissons n’avaient rien d’anodin, ni de charitables, ce n’était pas un acte de compassion envers nous, mais quelque chose de sombre, de sinistre.

Jaskiers

Tout perdre – Chapitre 8

L’impact est violent, les flics et les Sans-Riens se mélangent dans une bataille au corps-à-corps, c’est une bataille homérique qui fait rage.

Vous prenez quelques coups, dans la tête, les côtes, les bras et parfois les jambes. Mais vous ne vous arrêtez pas, la fuite, c’est votre but. Savoir qui vous a frappé et rendre les coups signerait votre arrêt de mort.

Vous sentez l’air du dehors, il est frais, ça change de l’air vicié que vous avez respiré jusqu’ici dans le camion-cellule et le hangar.

Il fait nuit, mais les grandes lumières donnent l’impression qu’il fait encore jour. Vous continuez à avancer dans la mêlée. Votre équipe gagne du terrain, certains ont eu la même idée que vous. Ils vous dépassent, une bonne chose, car les flics se concentreront sur eux en premier et cela vous donnera plus de temps et d’opportunités pour trouver le moyen de vous enfuir.

Ça pétarade encore, des corps tombent, vous trébuchez pour vous relever immédiatement. Les yeux aux aguets. Des tours de guets, des explosions, un grillage surmonté de barbelé électrifié, ceux qui vous ont dépassé se jettent dessus, leur corps tressautent avant qu’une fumée et que les flammes les consument. Certains cochons sont projetés dessus, cochons grillés.

Puis, une explosion plus forte que les autres, la foule belligérantes vous entraîne inévitablement vers le grillage. Vous serrez les dents quand vous le touchez. Rien ne se passe. La pression de la foule pleine de rages est tellement forte que vous êtes plaqué contre cette barrière qui cède.

Vous tombez, des gens tombent sur vous, trébuchent, vous piétinent. Utilisant la force du désespoir, la liberté étant toute proche, vous forcez sur vos bras, réussissez à vous dégager et vous courrez. Encore et encore. Des corps tombent raide mort devant et à côté de vous, vous slalomez, et utilisez votre adrénaline pour la dernière ligne droite. Une forêt, cette nature qui brûlait il y a quelques années est maintenant votre refuge.

Après vous êtes profondément enfoncé dedans, vous vous arrêtez, épuisé. D’autres survivants apparaissent, certains décident de se regrouper pour continuer leur fuite, l’union fait la force. D’autres repartent seuls. Des cochons sont à vos trousses mais ils ne connaissent pas la nature comme un Sans-Rien la connaît. Vous profitez du terrain pour vous camoufler, grimper dans un arbre, sous des racines, dans des buissons. Puis, après avoir attendu la nuit, vous avancez jusqu’à retrouver un bon paquet de survivants avec la même connaissance de la survie que vous.

Et vous voici libre.

Si vous avez besoin, ou envie, je ne sais pas quel est le terme approprié, des ami(e)s qui n’ont malheureusement pas pu s’échapper et qui ont survécus vous écriront leurs histoires. Ma connaissance de l’univers carcéral du Gouvernement Unie s’arrête à cette évasion. J’ai eu la chance de réussir à m’enfuir, et je m’apprête à venger mes amis, mais je vous expliquerai cela plus tard.

Revenons à la vie dans la jungle urbaine.

Le Gouvernement Unie, qui semblait nous délaisser, envoyé parfois quelques missionnaires pour essayer de nous remettre sur le droit chemin.

Ce n’était pas un travail facile pour eux, beaucoup avaient l’audace de rentrer dans des squats ou des repères de Sans-Riens. Et ils repartaient avec un nez cassé, des ecchymoses partout sur le corps, des dents en moins, un œil au beurre noir et, s’ils avaient eu l’excellente idée de venir avec des objets de valeurs, voir des objets pour nous appâter, ils ressortaient culs nus.

Je ne sais comment ces gens ont été recrutés, et encore moins comment ils ont été convaincus de faire ce sale boulot.

À ma connaissance, jamais de Sans-Riens n’ont accepté de revenir dans les rangs grâce à ces pauvres agents.

Toujours est-il que le Gouvernement Uni n’a jamais baissé les bras et a décidé d’utiliser la technologie pour nous ramener dans ses filets.

Jaskiers

Tout perdre – Chapitre 6

Il faut que je vous dise ce que l’on risquait et subissait si, durant un de ces raids des Cochons, nous nous faisions attraper.

Paralysé, le corps entier qui ne répond plus avec une douleur sourde vous traversant chaque muscle, c’est comme ça que vous finissiez une fois touché par un flashball électrique.

Si aucun de vos ami(e)s n’avaient pu vous aider à vous emmener en sûreté, vous étiez maintenant à la merci des policiers.

L’un d’entre eux vous ramassez comme un sac à patates puis vous balancez dans le fourgon de détention. Vous retombiez, encore raide, sur d’autres pauvres hères comme vous.

Si vous étiez ramassé parmi les derniers, vous aviez la chance de ne pas être en bas de la pile de corps entassées, donc de ne pas mourir étouffé.

Puis le camion de détention démarrait et tournait, et retournait. Vous étiez secoué dans tous les sens, impossibles de vous accrocher à quoi que ce soit. Vous preniez un coup de genoux dans la tête ou finissiez encastré dans un amas de corps, vos membres se tordaient, certains se cassaient. Des cris de douleur, d’agonies. Pour les moins paralysés, des appels à l’aide ou à la pitié. Vous sentiez la personne à côté de vous suffoquer, hoqueter et puis mourir. La mort a un son. Une odeur, celle de la transpiration, du sang et du métal recouvrant la camionnette de détention.

Vous surviviez, comme la plupart des personnes présentes, mais vous aviez mal. Vous pouviez bouger un peu plus, l’effet restrictif de la balle en caoutchouc électrifié qui vous avait percutée s’estompait doucement.

Un arrêt brutal, dernier soubresaut dans la cage.

Les portes du camion s’ouvrent, on crie, supplie. On beugle des ordres, vous ne compreniez pas tout. Des coups, des bruits de glissements, les soldats tirent chacun un prisonnier, par les pieds ou la tête, ils attrapent le premier corps qui leur tombe sous la main.

Ça va vite, très vite, vous voyez enfin la lumière du jour, ou plutôt, des grands projecteurs braqués sur vous qui vous éblouissent.

On attrape votre pied, vous glisser et percutez le béton brutalement. Votre front a méchamment percuté l’asphalte, mais pas le temps de gémir, on vous traîne, d’autre prisonnier sont traînés autour de vous. La friction entre votre peau et le bitume vous brûle. Vous avez récupéré un peu de mobilité, vous tentez donc de faire lâcher prise le cochon qui vous traîne. Mais vous êtes encore trop faible. Le cochon, en pleine forme, s’énerve. Vous prenez un coup de tonfa dans les reins et vous continuez d’être traîné.

Le sol change d’aspect, vous êtes maintenant sur du carrelage blanc immaculé et glacé. Vous ne sentez plus l’air frais de dehors, vous savez que vous êtes entré dans un environnement clôt.

Le policier vous attrape par les cheveux, vous plaque violemment contre un mur, vous assène un coup-de-poing dans le ventre. Votre souffle coupé, vous tombez à genoux en essayant d’aspirer de l’air.

Vous venez à peine de reprendre tant bien que mal vos esprits, vous réalisez que vous êtes dans une sorte de grand hangar. Le plafond haut et voûté, la dimension de la pièce vous le confirme.

D’autres prisonniers sont amenés et reçoivent le même traitement que vous. Vous êtes des centaines, peut-être moins, vous n’avez pas le temps de bien vous faire une idée, une immense porte se referme, bloquant les faisceaux lumineux. Vos yeux brûlent, ils viennent de voir disparaître une forte lumière blanche et se retrouvent dans le noir complet.

Puis, c’est une nouvelle litanie de plaintes ponctuée de cris de rage. Dans le noir, on s’agrippe à quelqu’un, on frappe, on touche, on vole, les plus bas instincts mêlés à la détresse se font jour.

Jaskiers

Tout perdre – Chapitre 5

Est-ce que je regrette d’avoir agressé des gens, des jeunes, des vieux ? Non. La nouvelle société ne m’a pas donné le choix. Je n’aime pas que les gens disent que la vie est une question de choix. Est-ce vraiment un choix si l’autre option est la mort ? Le suicide allait à l’encontre de mes prérogatives sur la vie, je ne considérais pas que m’ôter la vie était quelque chose de normal, d’acceptable. Je n’ai pas eu le choix. Même si au final, j’ai trouvé une porte de sortie, qui m’a fait reconsidérer le suicide. Mais les gens qui n’ont pas la force de mettre en perspective le fait de s’ôter la vie, pas la force ou simplement parce qu’ils veulent vivre, eux, n’ont pas de choix.

Je n’ai pas tué, ou du moins pas que je le sache. J’ai laissé pas mal de personne en sang dans mon parcours de Sans-Riens. J’ai bastoné, tailladé, poignardé, assommé pour rester vivant. Enlevé un peu de l’espérance de vie d’autre pour en ajouter à la mienne.
La faim, la soif, le froid, la chaleur, les tempêtes et ouragans, les autres truands, tout cela a poussé mon instinct de survie à un point de non-retour. J’avais dit adieu à la vie normale, j’allai vivre, comme je le voulais et comme je le pouvais,un point c’est tout.

Le Gouvernement Mondial, pour contrer la montée de violence des Sans-Riens, nous n’étions pas désignés comme sans-abris mais des Sans-Riens, devenait un problème important pour l’avenir et les projets grandioses de conquêtes de l’Espace. Des unités de police spécialement formées ont commencé à essayer de faire régner l’ordre. ‘Spécialement formée’ était le terme appliqué à ces unités, mais encore aujourd’hui, ce terme reste vague. Ont-ils été entraînés spécialement pour réprimer les Sans-Riens ? Et si oui, quel type de formation ont-ils dû passer ?

En-tous-cas, ces officiers ont dû apprendre à manier la tonfa électrique et le flashball électrisé dans leur cours.

Ils arrivaient souvent en retard après une agression. Nous, les voleurs, connaissions la ville et ses rues, ses égouts, ses ponts, ses planques. Eux non. Leurs véhicules blindés, car oui, il leur fallait des véhicules blindés pour mater les désœuvrés, étaient bien trop lents pour arriver à temps après une de nos aggression.

Là où ces Messieurs Dames étaient les meilleurs, c’était quand il s’agissait de repérer nos attroupements, car nous nous réunissions parfois pour s’échanger des tuyaux, des bons coups, et même, pour partager et échanger un peu nos maigres possessions.

Durant ces moments, ils nous tombaient dessus par surprise.

D’abord, nous recevions les projectiles de leur flashball, qui non seulement nous percutaient violemment mais lâchaient des décharges électriques. Si vous étiez touché, vous ne pouviez presque plus bouger. La douleur était terrible, mais sentir son corps ne plus réagir vous mettez dans un état de panique terrible.

Durant ces rassemblements, nous étions parfois plusieurs centaines. Parfois dans un parc, dans des étages de buildings inoccupés, dans des quartiers mal famés, dans de vieux quartiers résidentiels abandonnés car devenu dangereux à cause des catastrophes naturelles, voilà où se passaient nos réunions de Sans-Riens.

Nous avons vite compris qu’il y avait des mouchards et des balances parmi nous, mais nous ne faisions rien tant que nous n’avions pas de preuves concrètes de la collaboration d’un individu avec ces Cochons, le nouveau surnom des flics. Nous ne voulions pas recréer ce système où un simple doute pouvait mener un homme ou une femme à perdre la vie. Car oui, quand nous avions des, ou une, preuves concrètes de la trahison d’un des nôtres, la mort était la sentence. Mais pas une belle mort, nous devions faire passer un message à tous ceux qui voulaient se retourner contre-nous ou nous infiltrer. La torture, l’humiliation, la mise à mort, tout était planifié pour terroriser ces lâches. Je n’exposerai aucun exemple de ce que nous faisions subir à ces personnes. Là aussi, j’ai participé. Je n’en suis pas fier, là non plus, mais c’était quelque chose qu’il fallait faire pour le bien de tous, pour survivre.

Jaskiers

Tout perdre – Chapitre 3

Comme beaucoup, j’ai fait plusieurs jobs. Il y avait une place pour tout monde. On ne travaillait plus pour l’argent, mais pour notre futur et, surtout, celui de nos enfants.

Après avoir été responsable de service qualité d’une usine de robotique, emploi où je n’étais pas qualifié du tout, j’ai fait d’autres boulots, dans la même veine. Jusqu’à ce que je découvre cette position d’agent de liaison avec l’Appolo 100.

L’Appolo 100 a été, et reste pour l’instant, la plus grande prouesse de l’humanité.

L’ancien ISS a été la base de l’immense structure orbitale qu’est devenu le 100. Tout y est pour explorer, aussi loin que humainement et techniquement possible, l’Espace, les systèmes solaires, la Voie Lactée, Andromeda, les trous noirs, les potentielles planètes habitables et j’en passe.

Ces 100 astronautes qui font ce travail au-dessus de nos têtes ont besoin d’assistances, comme je l’ai mentionné précédemment.

L’Organisation Spatiale Internationale, l’OSI, a donc décidé de proposer des places d’assistant pour astronaute. Il y avait deux catégories, la catégorie des assistants basée sur les besoins technique, scientifique, technologique et des assistants dédié au bien-être des astronautes, c’est-à-dire, une assistance pour les liaisons familiales (les liaisons directs entre astronaute et famille pouvant s’avérer dangereux, pour le moral et la sécurité des astronautes), les besoins personnel (nourritures, produit d’hygiène ect…), médical (mettre en liaison l’astronaute avec un thérapeute ou un médecin si besoin).

Les deux catégories étaient donc aussi en charge de remplir des rapports pour les navettes approvisionnant le 100. Tout devait être catalogué, ne rien oublier d’important ni de vital, expliquer les raisons et calculer, grosso modo, le poids et le coût de ces ravitaillements.

Mais la technologie a, et continue, de faire des progrès impressionnants. De mon point de vue, je trouve que nous devrions freiner et planifier plus prudemment le chemin que prend l’innovation à outrance.

J’ai donc perdu mon travail à cause d’une intelligence artificielle qui communique maintenant avec les astronautes… cette perte en amène d’autres. Du jour au lendemain, j’ai presque tout perdu. Comment est-il possible de tout perdre en un instant ?

À notre époque, tout est lié. Vous êtes, comme tout le monde, un pion dans la révolution spatial. La technologie, ceux qui les construisent et surtout qui les contrôlent, savent tout de vous. Tout est enregistré sur les Clouds, rien n’est laissé de côté. Et votre métier vous permets de garder vos possessions, si vous le perdez, vous devenez inutile, le personnel du Gouvernement Mondial vous coupe tout, jusqu’à ce que vous trouviez un métier, un moyen de contribuer au grand projet.

Donc, j’ai tout perdu. Ma maison ne répondait plus à ma clef magnétique. Ma femme travaillant comme infirmière était la seule personne pouvant m’ouvrir la porte. D’ailleurs, elle avait gardé tout contrôle sur ce que moi j’avais perdu.

Nos relations se sont détériorées, elles sont toujours mauvaises. Je suis persuadé qu’elle a subi des pressions à son travail et dans sa vie de tous les jours. Côtoyer un chômeur ? Être marié avec un Inutile ? Non, ce n’était pas acceptable, surtout pour une infirmière dont le travail est d’une importance vitale pour notre société.

J’ai accepté la rupture, j’ai souffert de voir de la honte dans le regard de mes enfants, je devais partir, je l’ai fait.

Jaskiers

Tout perdre – Chapitre 1

J’ai tout perdu, tout, en quelques minutes, il y a de cela une dizaine de mois.

Mon travail, simple agent de liaison avec l’Appolo 100, travail sur lequel ma vie était basée, m’a été retiré.

Il n’a fallu que quelques secondes après l’annonce de mon licenciement pour que tout me lâche.

Ma banque, mon propriétaire, mes enfants, ma femme, ma famille… plus rien.

Évincé car mon rôle était devenu obsolète; selon mes supérieurs, un agent de liaison humain n’était plus utile. Une Intelligence Artificiel, sortie de je ne sais où, a simplement prit ma place. Pas besoin de bureau, d’espace, ni de salaire pour cette intelligence immatériel.

L’Appolo 100 est la la nouvelle structure de l’ISS, l’Internal Space Station, ou Station Spacial International. Le 100, comme on le surnomme, est une extension très importante de l’ISS, de par sa dimension, plus de 2 km de long et 1,5 de large, de sa technologie de pointe. Imaginer une sonde Hubble pouvant être propulsée à des milliers d’années-lumières, construite directement et manipulé à distance par les plus de 100 astronautes vivants sur l’ISS. Voici l’importance de l’Appolo 100 en quelques exemples. Il y a beaucoup plus que cela, mais c’était pour donner un ordre d’idée à qui lira ceci.

Les communications avec le 100, d’ici, la Terre, jusqu’à la station Appolo s’est avéré un aspect encore plus important qu’à l’époque du petit ISS.

Plus que communiquer, il fallait aider, conseiller, planifier et organiser le travail de ces 100 hommes et femmes en orbite autour de notre planète.

Le Conseil Spatial International, une fusion de la NASA, du CERN, de Space X (même si cette dernière société restait privée, bien qu’ayant des astronautes et du matériel sur l’Appolo) et d’autre organisation spatiale de tout pays (Tous pays, Russie, Chine, Corée Unifié, État Arabes Unies ect…) ce sont entendues pour donner un but à l’espèce humaine. C’était une époque, et ça le reste toujours, heureusement, où l’humanité, confronté à de graves problèmes environnementaux irréversibles, tremblement de terre multiplié par deux dans certains secteurs, notamment l’Ouest de l’Amérique, chaleur extrême dans toute l’Europe entraînant des sécheresses terribles provoquant des pénuries importantes d’eau potable, ruinant les récoltes, des feux de forêts devenues incontrôlable, l’Amazonie étant détruite à 80 %, les inondations devenues incontrôlables, la Nouvelle-Orleans, Cuba et la Floride ont été balayée par des tempêtes intempestives et violentes, la fonte des des grands glaciers et des Pôles a entraînée une montée des hauts spectaculaires, engloutissant avec une rapidité terrifiante des kilomètres entiers de pays, comme la Bretagne, dans l’Ouest de la France, l’Island, et la cote Est américaine faisant face à des catastrophes qui ont provoqué des dégâts irréversibles, tous ces événements ont mis le monde au bord de l’implosion.

Des émeutes ont éclaté partout. Le manque d’eau, l’insalubrité, maladies, virus, la famine ont poussé des peuples à l’anarchie la plus totale. Des scènes de guérilla urbaine ont éclaté entre civils et militaire, dans le sud-est de l’Amérique, par exemple, et tout ce que l’humanité peut faire de pire quand elle a un pied dans le vide s’est produit. Ou presque.

Jaskiers

Merci pour votre service ! – Partie 3/3

Quand je ne suis pas en opération, je suis un autre homme. De retour en France, quand assez de temps à coulé sous les ponts, que mon corps, mon esprit, mes nerfs, commencent à se relâcher, les souvenirs reviennent. Les traumas ouvrent les vannes émotionnelles : les cauchemars, les éternelles questions que l’on se pose sur l’être humain après avoir vue des choses qui vous donnent envie de brutaliser n’importe quelle personne suspecte qui passe près de vous, attaquent. Ou même cette pensée obsédante de se mettre un calibre sur la tempe afin d’éviter cette remise en question brutale vous assaille. Et l’on espère que ce traumatisme, avec le temps, on l’espère, guérira,

Le temps est une chimère. Il vous permet d’oublier temporairement les horreurs que vous avez vues, mais le corps, lui, n’oublie pas. Les flash-back qui apparaissent inopinément, parfois pour rien, parfois à cause d’un bruit ou d’une odeur. Tout remonte à la surface. J’ai entendu parler de vétéran qui pensait être revenu sur le champ de bataille après avoir entendu un pétard éclater, ou une portière de voiture qui claque. Ils, ou elles, pensent être de retour sur-le-champs de bataille. Accroupie, une arme invisible à la main, ils attendent des ordres qui ne viendront jamais. Il faut appeler un psychiatre ou un psychologue, avec le SAMU, pour sortir ces personnes de cette transe.

Bien sûr, et en France surtout, personne n’est au courant du défi que le retour à la vie civile implique pour un soldat. On n’en parle pas, on ne parle pas de ce qu’on a vécu. On nous le demande parfois, souvent des ami(e)s, et vous ne répondez pas. Ce n’est pas possible de comprendre, ni d’expliquer notre peine à une personne dont le seul souci semble être de savoir si la nouvelle star de la télé-réalité a appelé son fils Ethan ou Gloubiboulga. Un monde nous sépare des autres. Nous nous comprenons entre nous, et encore pas forcément à chaque fois.

Je n’ai plus ma place à l’armée, je ne sais même pas si j’ai le droit à une place chez les civils. Au final, quand j’ai signé pour devenir soldat, ce n’était pas une affaire de mois ou d’années, mais d’une vie entière.

Ce n’est pas du regret, j’ai choisi.

Comme ma sœur qui a choisi cette opération. Demain matin sera son moment sur le champ de bataille, et la suite sera un autre combat sur le long terme.

Ça ne s’arrête jamais la vie, et sans combats, pas de vie.

Jaskiers

La loterie nucléaire – Chapitre 8

Sabine se demandait si c’était le bon moment pour annoncer la grande nouvelle à son homme. Mais non, tout bien réfléchi, ce n’était pas le bon moment. Annoncer cette surprise puis partir, ce serait tout gâcher. Et Benjamin était trop stressé pour encaisser positivement cette nouvelle. Quoique… cela aurait put lui faire un électrochoc, guérir son mal-être, sa haine de la société et de la guerre… mais non, à son retour, quand tout serait calme, ce serait le moment idéal pour l’annoncer.

Encore un long baiser, peu de mots échangés, il semblait que tous les deux étaient à court de mots.

Un bref ‘Je t’aime’ émit par chacun, des mains enlacés qui se séparent, la porte automatique du wagon de Sabine se referma.

Le train émit quelques sons mécaniques, martiaux, puis commença à démarrer.

Les deux amoureux se regardèrent par la vitre, ils ne se quittaient pas des yeux. Benjamin lui envoya un dernier geste d’amour, sa femme lui répondit de même. Le train prit de la vitesse, l’angle dans lequel il s’engagea empêcha les deux tourtereaux de se voir.

« – Ca y est. Elle est partie. »

Sabrina perdit de vue son homme, elle espérait qu’il l’avait vue lui envoyer un baiser, mais l’angle était déjà trop étroit pour voir le dernier geste d’amour de sa femme.

Une larme coulait sur la joue gauche de Sabrina, une lame coulait sur la joue droite de Benjamin, chacun étant persuadé que l’autre pleurait à chaudes larmes.

« – Ce n’est qu’une question d’un week-end… un week-end. » Pensait Benjamin qui quittait lentement, comme abattue et abasourdie, le quai et la gare.

Il se dirigeait en direction de sa voiture, quand l’alarme d’alerte nucléaire lâcha son cri strident et aigu.

Jaskiers

La loterie nucléaire – Chapitre 7

Sabine, assise sur un banc du quai avec son mari, regardait le train de Thomas partir. Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.

« – J’espère que c’est lui qui va se prendre une bombe !

  • Benjamin, arrête ! Aucune bombe ne va tomber sur ce train, ni sur le mien. Enlève-toi cette idée de la tête.
  • C’est comme ça que tu supportes tout ça toi aussi ?
  • De quoi tu parles chérie ?
  • Tu fais l’autruche, tu refuses de penser que ça peut t’arriver, ça n’arrive qu’aux autres.
  • Arrête un peu ! Réfléchis, on pourrait en recevoir une, ici, maintenant ! Pourquoi lâcher une bombe sur un train en partance pour la campagne ? Ce serait plus logique qu’ils nous en balancent une sur la gare !
  • J’avoue que tu n’as pas tort sur le coup…
  • Évidemment. Mais il ne faut pas penser à ça, on a une vie à vivre, tous les tro… deux !
  • Si on en reçoit une dans les secondes qui suivent, au moins, on mourra ensemble.
  • Assez ! Assez, tu vas mal Benjamin ! Je vais rester.
  • Non, non ! Va dire au revoir à ta grand-mère ! Ne laisse pas cette époque de fou te priver de ce moment… même si c’est pas un moment très joyeux. Mais assister à l’enterrement d’un proche, c’est humain, normal. Tu dois y aller.
  • Si tu me promets de travailler sur ton anxiété.
  • Je vais me mettre à picoler comme tous mes collègues.
  • Arrête tes conneries ! Non, dès que je reviens, je demanderai le numéro d’un thérapeute à une amie qui avait le même genre de problème que toi.
  • Mais quel problème ? Est-ce un problème d’avoir peur de perdre ma femme ?
  • Non, mais c’est un problème de voir la mort partout !
  • Mais c’est l’époque qui veut ça ! J’y peux rien ! On baigne constamment dans la peur !
  • C’est exactement ce que veut l’ennemi !
  • Arrête de parler d’ennemi ! C’est pas les voisins d’à côté le problème ! C’est ceux qui se font de l’argent sur tout ça ! Suis l’argent ma chérie, il mène toujours à la vérité !
  • Je crois que tu as vraiment besoin d’aide… je peux rester, je suis ta femme et j’ai fait le voeux devant le Seigneur d’être à tes côtés dans les bons comme dans les mauvais moments.
  • Et moi je suis ton mari, je refuse de t’empêcher d’aller dire adieu à ta grand-mère. Je réfléchirai à ta proposition d’accord ?
  • Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde.
  • Je ne te promets rien, on ne peut rien promettre à cette…
  • Époque, oui, change de disque un peu ! »

Benjamin ne répondit pas, il venait tout juste de réaliser à quel point il avait été immature. Sa femme allait à l’enterrement de sa grand-mère, elle avait des jours difficiles moralement en perspective et lui avait complètement oublié la peine de sa femme.

Il approcha son visage du sien pour l’embrasser tendrement.

« – Désolé, je suis vraiment un con parfois. Mais c’est cette… non désolé j’arrête.

  • Très bien. Écoute, mon train arrive. Tu es sûr que tout ira bien ?
  • Oui ma chérie, j’en suis sûr. »

Elle regardait son mari, elle le trouvait beau, il y avait quelque chose dans sa manière de se mouvoir qui la rendait folle de lui. Sabine n’en voulait pas à son mari, elle avait vite appris à pardonner. On n’avait plus le temps d’en vouloir à son âme-sœur, le temps était un luxe, encore plus à cette époque.

Le train s’approcha lentement, s’arrêta et ouvrit ses portes automatiques. Quelques âmes en sortirent. Aucuns sourires, ils avaient tous l’air fatigué, abattus, démoralisés. C’était surtout des ouvriers, des cols bleus, ceux qui trimaient pour un salaire de misère, la guerre n’était pas la bonne époque pour épargner, ce n’était pas une bonne époque pour ceux en bas de l’échelle sociale. Même en temps de paix. Les riches devenant toujours plus riches, les pauvres plus pauvres, qu’importe l’époque, la politique, la paix ou la guerre.

Benjamin sentait encore une fois la colère monter en lui. Il venait de trouver, sortie de nulle part, quelque chose en lui qui pouvait amener les gens à la révolte. Mais il avait promis, c’était des enfantillages, aucun homme seul ne peut faire lever un peuple, surtout pas lui, employé de bureau bien payé à ne presque rien faire de la journée. Il laissa sa place de révolutionnaire à quelqu’un d’autre. Surtout que sa femme, qu’il trouvait magnifique avec ses jambes qui semblait ne jamais finir, s’approchait pour le baiser d’adieu.

Il s’embrassèrent longuement, amoureusement. Les derniers ouvriers sortirent, jetèrent un regard triste sur les mariés et continuèrent leur route.

Jaskiers