
L’heure de cours de français était enfin finie, il nous restait encore une heure à tiré. Nous avions le droit à une petite pause.
Toute l’heure passée avait été dédiée à « L’assommoir » d’Emile Zola. Je n’avais pas lu entièrement le livre, que nous devions pourtant avoir lu pendant les vacances. Quelle panacée que cette lecture !
Je me rappelle l’avoir lu jusqu’à la moitié, un peu plus peut-être. Tous les soirs avant de me coucher, très tard, je lisais ce que je pouvais, et je n’aimais pas le livre. Bien que j’eus beaucoup apprécié « Germinal », « L’assommoir » était vraiment un… assommoir.
J’ai toujours eu un soucis avec les livres données à lire au lycée. Au collège et même en primaire, je me rappel avoir lu des ouvrages intéressants qui me marquent encore. Mais le lycée semblait vouloir vous dégoûter de la littérature. Et puis, je n’aimais pas ma prof. Je crois que c’est la seule prof de français que je n’ai pas aimé. Quelque chose ne passait pas avec elle. Je ne pouvais pas la voir en peinture, ses cours n’étaient pas forcément mauvais mais elle ne dégageait pas la passion qu’avaient eu mes autres professeurs. Elle avait sa façon à elle de faire son cours, ça plaisait ou ça ne plaisait pas. Moi, ça ne me plaisais pas.
Toujours est-il qu’en essayant de me lever de ma chaise pour sortir dans le couloir, la tirette (petit bout de métal pour ouvrir ou fermer la fermeture éclair) de mon jean s’est coincée entre les lattes de ma chaise.
Donc en me levant, la chaise était collée à mon fessier.
Autant dire que j’ai eu une sacré bouffée de chaleur. J’essayais d’enlever la tirette, mais impossible. Comment j’avais réussis à emmêler ce petit truc dans ma chaise ? Il fallait que je me presse un peu car les élèves sortaient de la classe, j’allais me retrouver seul, avec madame la prof de français.
Déjà, la honte et puis elle aurait l’occasion de parler avec moi. C’était le genre de professeur à étaler votre vie privée, très privée, devant la classe. Sans gênes aucunes !
Et puis mes copains qui m’attendaient à la sortie n’auraient pas manqué l’occasion de se payer ma tronche. Aucunes pitiés !
Je mis ma main sous la chaise, pressa la tirette, la remettant droite, qui libéra enfin mes fesses de la chaise.
Je croisait le regard curieux de la professeur. Non je n’étais pas resté pour vos beaux yeux.
Je sortis dans le couloir, c’était une petite pause de cinq voir dix minutes entre deux heures de cours.
Mes camarades remarquèrent que j’étais un peu bizarre. Je donnais l’excuse de la fatigue du cours sur ce foutu livre, que j’avais bien besoin d’une pause.
Les minutes passèrent rapidement. Nous rentrâmes dans la classe. Elle allait interroger un élève, au tableau, poser des questions, voir si il avait bien lu le livre et bien sûr, c’était noté.
Je détestais, j’exécrais, ce genre de chose. Comme vous sûrement, mais une peur panique m’envahissait à chaque fois que je devais faire ce genre de chose. J’ai toujours détesté l’oral à l’école. Et encore plus avec une prof qui n’allait pas hésiter à faire remarquer à toute la classe que j’avais l’air très stressé. Et surtout, à ce moment précis, je n’avais pas lu entièrement le livre, et j’étais tellement peu passionné par sa lecture que je n’y avais pas compris grand chose.
Après avoir annoncé ça, elle fit ce que tout professeur digne de ce nom fait ; balayer la classe du regard.
La règle dans ce genre de situation, ne pas croiser le regard de la prof. Le visage neutre. Tout le contraire de ce que j’ai fais.
J’entendis la sentence : Jaskiers, allez, au tableau !
Je ne réfléchis même pas. Je me lève et je sens la chaise se lever avec moi. Cette fichue tirette était encore accrochée à mon derrière !
Mon cœur manqua un battement, ou presque. Vous savez cette sensation que vous allez sacrément être humilié devant plus de 30 personnes ? Personnes que vous devez vous coltiner tout les jours en plus de ça.
Je me rassis rapidement, prétextant ranger un truc dans ma trousse. Mais comment vais-je enlever cette chaise accrochée à mon jean sans que personne ne le remarque.
Et puis, la providence intervint !
« – Madame, vous aviez dis la dernière fois que je pouvais faire l’interro oral pour le livre
– Ah mais oui Camille ! Comment on dit Jaskiers ? Sauvé par le gong ! »
Que Dieu et tout ses Saints soient loués ! Mon corps relâcha la tension extrême dans laquelle il était. Mon esprit se déconnecta du présent, occupé à enlever la tirette d’entre l’interstice entre les deux planches de la chaise. Ce qui fut fait en moins de deux, comme si j’étais habitué.
Je chéris ce moment, remercie encore après toutes ces années Camille, la seule personne qui semblait aimer se faire interroger devant toute une classe par une professeure sans tabous ni pitié.
Je n’ai toujours pas lu l’Assommoir.
Jaskiers