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J’étais l’homme le plus confus du monde, puis j’ai ouvert le journal, que je recevais tous les matins. Et comme parfois la vie vous fait comprendre certaines choses à travers les coïncidences, je tombais sur cette annonce :
Venez faire votre cure de Rien !
Vous souffrez d’un trouble psychique non diagnostiqué ? Vous souffrez de maux physiques qui laisse votre médecin perplexe ? Vous avez perdu goût à la vie ? Vos passions ne vous apportent plus votre dose d’évasion ? Vous souffrez mais ne comprenez par pourquoi ?
Venez chez nous ! Perchées dans les montagnes, nos cliniques (car nous en avons plusieurs !) de repos thérapeutique vous accueil ! Ne regardez pas votre porte-monnaie, ici, nous nous occuperons de faire le nécessaire pour que votre séjour ne vous coûte rien, ou presque ! Nous sommes des pionniers dans le traitement des maladies modernes, psychiques et physiques. Nous avons développé une théorie et une méthode de guérison pour les maux de ce siècle, si intense et étrange.
Nous l’appelons : la thérapie du Rien !
Mais qu’est-ce que cette thérapie révolutionnaire ?
Nous ne pouvons pas trop en dire, nous gardons jalousement nos secrets pour qu’ils ne tombent pas dans les mains de personnes un peu trop ambitieuses et prompts à vouloir garnir leur portefeuille ! Nous ne voulons rien divulguer qui permettrait à des gens peu scrupuleux de profiter de la maladie des autres pour remplir leurs poches !
Qui que vous soyez, qu’importe ce dont vous souffrez (une thérapie de la dernière chance même ?) venez chez nous, faite l’expérience de la Thérapie du Rien !
Aucun engagement, vous pourrez rentrer chez vous si le traitement, ou tout autre chose, ne vous convient pas !
Tentez la guérison par le Rien ! Faite une pause dans votre vie ! Donnez-vous la chance de guérir ! Faite entrer la nouveauté dans votre existence ! Soyez même des pionniers, car vos avis et suggestions seront pris impérativement en compte !
Venez, et ressortez libre grâce à la thérapie du Rien !
Vos futurs soignants, ami(e)s et (peut-être) collègues de l’Institue de Thérapie du Rien.
Bien. Surprenant non ? Curieux ? C’est ce que je pensais. C’était vraiment curieux de lire une annonce qui sortait de tout ce que j’avais pu lire jusqu’ici. Elle semblait amener une dose de couleurs vives dans mes matinées toujours moroses et répétitives, sombres et sans saveurs, à l’image de mon café.
Je notais le numéro de téléphone et le site web. Devant partir pour le bureau, j’emmenais avec moi les informations, peut-être aurai-je le courage de les appeler. Juste que de passer un coup de fil changerait radicalement de ma routine.
Je me préparais comme chaque matin, tel un automate. La routine était devenue ma vie et cette routine était devenue épuisante tellement elle était ennuyeuse.
Je pris ma vieille voiture qui, étonnamment, tenait encore la route, la modernité ne fait pas tous.
Je fis le même trajet que d’habitude, à y repenser aujourd’hui, j’ai l’impression que ma vie était un film ennuyeux, sans aucune couleur, juste noir et blanc. Lent, monotone, sans dialogue ni personnage. Mais cette petite annonce était colorée, et j’allais téléphoner, j’allais essayer quelque chose. Et puis, la montagne est une aventure en elle-même.
J’arrivais au bureau. Toujours la même place de parking. Non pas que nous avions le droit à une place réservée, c’était une habitude, avec mes collègues, de nous garer aux mêmes places pour éviter de perdre du temps du travail à trouver une place. La mienne avait une flaque d’eau juste du côté où je devais sortir. À chaque fois qu’il pleuvait, j’avais à garder en tête de faire attention à ne pas marcher dedans. Fallait que cela tombe sur moi, évidemment.
Toujours la même réceptionniste depuis que je travaille ici, j’ai presque perdu le compte des années. Elle devait bien avoir la soixantaine passée, mais j’étais dans cette entreprise depuis une dizaine d’années et elle était toujours là, ne semblant pas avoir vieilli depuis mon premier jour. C’est étonnant de voir que nous ne voyons pas les gens, que nous côtoyons tous les jours, vieillirent. On penserait que notre cerveau décèlerait chaque petit signe de changement dans les visages qui partagent notre quotidien, mais il semble que ce soit l’inverse. On ne vieillit pas vraiment aux yeux des personnes de tous les jours.
Toujours, je lui lance mon « bonjour » laconique et j’ai le droit à la même réponse.
Je prends l’ascenseur avec toujours cette angoisse d’y rester coincé. Non pas que je sois claustrophobe mais, parce que je perdrai du précieux temps de travail. Mais heureusement, cela ne m’est jamais arrivé, car tout était prévue ici pour ne pas perdre de temps. Le temps, c’est de l’argent, comme dirait l’autre.
Quand les portes s’ouvraient, je me retrouvais dans un immense Open-Space, légèrement sombre à cause des cloisons séparants chaque petit bureau. Tout était terne et gris, aucune couleur. Nous n’avions pas le droit d’apporter de décorations pour nos modestes bureaux. Pas une photo de famille, ni de carte postale, pas de post-it, pas de bibelot, rien. Juste un bureau, une chaise et un ordinateur.
Je prenais mon café à la machine à café, nous n’avions évidement pas le droit de nous réunir entre collègue à cette machine, comme il était coutume à l’ancienne l’époque de le faire.
Le café était fade, je le bourrai de sucre, le buvais sur place aussi rapidement que possible car il était interdit de l’apporter à mon bureau, puis je passai dans l’une des allées pour m’installer.
J’ouvrais mon ordinateur, mon tableau Excel et j’entrais les chiffres de la nuit passée. Puis je faisais d’autre tache aussi passionnante que la dernière. Est-ce que je n’étais pas las de ce travail ? Je n’avais pas à me plaindre car j’en avais un. Parfois, l’envie de tout plaquer m’assaillait, mais je réprimais ces attaques et les enfouissais au plus profond de mon être. C’était mon gagne pain, cela pouvait être bien pire. J’étais au chaud les jours d’hiver et au frais les jours de canicule. Mon travail était loin d’être physique, bien que l’inactivité et la position assise apportent leurs petits lots de problèmes. Mais je n’avais pas à pousser de la fonte et détruire mon corps pour gagner ma vie. J’étais privilégié en quelque sorte. Et même prêt à faire cela encore une bonne décennie.
Toute ma vie était rangée et planifiée. Aucun accro à ma routine, à mes habitudes. Mon quotidien était le même.
Je n’avais pas d’amis, personne n’en avait vraiment au bureau. Après le travail, nous rentrions tous chez nous. Pas de bavardage, pas de petite bouffe entre amis.
Les week-ends, je m’efforçais de sortir marcher au moins une heure. Je flânais. Je faisais mes courses pour la semaine. Là aussi, tout étaient planifiés, je mangeais la même chose, ou presque. Chaque jour un plat à réchauffer au micro-ondes. À chaque jour son plat. Café et plats tout prêts, c’était mon régime.
Je passais le reste de mon temps libre derrière l’écran de mon ordinateur, à naviguer sur les forums ou je n’écrivais rien mais passer mon temps à lire ce que les autres postaient.
J’allumais parfois la télévision pour regarder des séries télés qui semblaient être toutes les mêmes mais j’étais habitué et m’attachais à une série jusqu’à la terminer pour en commencer une autre immédiatement après.
Pas étonnant, maintenant que vous savez tout sur mon ancienne vie, que l’annonce pour la « Cure de Rien » m’ai autant attiré.
C’était un grand changement dans mes habitudes que d’appeler cette « institue » lors de ma pause déjeuné au travail.
J’allumais mon téléphone, qui ne me servait presque à rien, peina à trouver l’application pour téléphoner, je ne crois jamais avoir appelé un numéro qui n’était pas déjà enregistré dans mon téléphone avant ce coup de fil.
Un peu fébrile et légèrement anxieux, je tapais les numéros de l’annonce dans le journal que j’avais apporté ce matin même.
J’avais l’impression de faire quelque chose de contre-nature, d’illégal, d’amoral. Je m’étais caché dans les toilettes pour téléphoner, comme un adolescent à l’école. J’avais peur de tous les bruits qui me tintaient à l’oreille. Je ne voulais surtout pas que l’on m’entende parler au téléphone. Déjà, on me dénoncerait pour « oisiveté » au travail, mais aussi, si les oreilles indiscrètes s’attardaient, elles auraient crûs que je voulais me faire hospitaliser, et je devrais affronter les regards inquisiteurs de mes collègues et aussi, sûrement, j’aurai gagné le droit à un voyage dans le bureau du chef, et pourquoi pas à un limogeage en règle.
Mais quelque chose me poussait à les appeler.
« – Institut de Thérapie du Rien, Delphine à l’appareil en quoi puis-je vous être utile ?
- Bon… jour.
- Bonjour monsieur, en quoi puis-je vous être utile ?
- J’ai… vu votre annonce…
- Très bien monsieur.
- Je voudrais en savoir un peu plus…
- Très bien monsieur, que voulez-vous savoir exactement ? »
C’était une question banale et normale à laquelle je n’avais pas pensé devoir répondre. Je n’avais pas vraiment de raison de les appeler, j’avais juste eu cette envie, inexplicable, d’appeler et de rejoindre cette cure. J’étais un bout de ferraille rouillé comme nous l’étions tous, immobile, et cette « cure » semblait un aimant, j’étais attiré.
« – En faite, je voulais savoir si c’était possible de vous… de m’inscrire ?
- Mais bien évidement monsieur ! Comment vous appelez-vous ?
- Gaspard Dincy
- Très bien monsieur Dincy, où résidez-vous ?
- Salt Lake City, Oklahoma.
- Un américain ! Excellent !
- Merci !
- De… rien. Le numéro avec lequel vous m’appeler est-il votre numéro de contact ?
- Oui.
- D’accord. Une mutuelle ?
- Mutuelle de mon travail oui…
- D’accord, le nom de l’organisme s’il vous plaît ?
- Avant… est-ce que ça restera confidentiel ?
- Oui évidemment ! Nous sommes dans le domaine médical et le secret professionnel s’applique.
- Très bien. Mutuel des Bureaucrates des Sociétés Publics et Privés.
- D’accord merci. Avez-vous des questions ?
- Euh… c’est bon ? Je suis inscrit ?
- Oui, nous vous envoyons par mail ou par courrier le nécessaire pour commencer votre cure ! Que préférez-vous ?
- Le plus rapide.
- Par mail donc.
- Oui… mon adresse mail…
- Non monsieur, nous l’avons grâce à votre mutuel.
- Très bien… et je le recevrai quand ?
- Vous devez l’avoir reçus monsieur.
- Ah… perd pas de temps !
- Non ! Pour délivrer nos patients de leur mal-être nous n’en perdons pas !
- Excellent…
- Je vous dis à bientôt monsieur Dincy !
- Ah… merci oui… à bientôt ! »
C’était si rapide. Je ne pouvais résister, j’étais pris dans l’inertie, aucun retour en arrière possible.
J’ouvris ma boîte mail, j’avais effectivement reçu leur mail. On me donnait le choix entre une place en institut en Suisse, dans les Alpes, dans quelques petites montagnes du Vermont, et au Japon près du Mont Fuji.
Évidemment, j’ai choisi le Vermont, pour rester au pays, je pensais déjà que ç’allait trop vite, je ne voulais pas me déraciner complètement, me perdre. Quand on est coincé dans la routine, la vitesse d’un changement dans la vie peut vite devenir difficile à encaisser, ou mal finir, car impossible de s’habituer si vite au changement. C’était presque ce qui m’était arrivé quand je fus muté dans l’Oklahoma.
Je pouvais aussi choisir la date de mon séjour, mais je n’avais pas à mettre de date pour mon retour, cela se ferait « à la discrétion du patient et de son/ses médecin(s) attitré(s) ».
Je pouvais partir le soir même, et c’est ce que je fis. Je ne devais pas me laisser le temps de tergiverser, j’aurai annulé si j’avais l’opportunité de cogiter.
Je sortis des toilettes du bureau, tout le monde me regardait. Je m’installai à mon bureau, mon vole pour Killington, Vermont m’attendais, je n’avais qu’à faire semblant de travailler quelques heures. Semblant car je n’avais plus du tout envie, ni la force de continuer le même travail monotone. Mon corps et mon esprit paraissaient s’être harmonisés au moment même où j’avais fini mon coup de téléphone.
Je regardais mes collègues travailler, je souriais intérieurement. Je savais que je ne les reverrai plus jamais et j’en étais heureux. Tout, enfin, aller changer.
Les heures semblaient interminables, je m’occupais en balançant des bouts de papiers à mes collègues. Ce qui aurait pu me faire arrêter pour sabotage mais je n’en avais plus rien à carrer de mes collègues amorphes ni de mon travail répétitif. J’allais en montagne, dans l’Est, me reposer. Je me rappelle encore les visages surpris et limite traumatisés par mon comportement.
Voilà ce que nous étions. Des robots programmés à ne jamais dévier de notre but : le travail. Rien d’autre. Tout était fait, et bien fait, pour que nous n’ayons pas à remettre en doute le but de nos existences.
Mais moi, j’étais libre. J’avais dévié. J’avais osé dévié. Et jamais je ne redeviendrais ce monstre, ou plutôt ce zombie vide, grâce à ma thérapie du Rien.
Jaskiers