
Un beau jour, à la place des bancs que vous pouviez trouver dans les squares, les parcs, les rues, à tous les endroits où un banc avait été placé, une sorte de caisson, long d’environ deux mètres cinquante et large de deux mètres les avaient remplacés.
Nous avons été surpris. Notre premier réflexe a été de voir ce que ces caissons étaient.
Ils s’ouvraient sur le côté, sur la longueur, d’un seul côté. À l’intérieur, tout était matelassé. Des systèmes de ventilation étaient installés sur les côtés. Un gros oreiller dans un coin, des couvertures bleues, un petit caisson de rangement du côté opposé de l’oreiller, un Thermos, des gourdes, des gobelets et un tout petit réfrigérateur encastré à l’intérieur de la grande portière.
Incroyable, le Gouvernement avait peut-être enfin réalisé que nous étions des êtres humains, et que c’était en nous tendant la main de ce genre de façon que nous pourrions re-basculer dans une vie bien rangée.
Sauf que…
Je suis persuadé que nos leaders avaient pensé que ces caissons pour Sans-Rien n’étaient pas ici pour nous aider, mais pour créer des tensions et dissensions entre nous.
En effet, nous étions des milliers, voir quelques centaines de milliers et même un bon million, à travers le monde, à vivre dans la rue. Et il n’y avait qu’une poignée de caissons par rapport à nos effectifs.
En premier lieux, les bancs étaient déjà occupés par des personnes s’étant battues, au sens littéral du terme, pour pouvoir occuper et garder un banc. Certains bancs appartenaient même à des gangs, qui les louaient pour de l’argent, de la nourriture, de la drogue ou du sexe.
Maintenant, les gangs et autres propriétaires d’un banc se retrouvaient avec un caisson.
Toute la hiérarchie des démunies était chamboulée.
Si vous étiez propriétaire d’un banc, deveniez-vous de facto propriétaire d’un caisson ? Fallait-il procéder à un vote ? Se battre à nouveau pour savoir qui serait le nouveau prophète ? Était-ce juste ou injuste de considérer le caisson comme votre, posséder un luxe que n’était pas le vulgaire objet de ferraille et de bois ? N’était-il pas légitime que ce changement drastique soit suivi d’une nouvelle lutte de pouvoir ?
Qu’importe votre avis, vos réponses, pour nous, la réponse s’imposait d’elle-même ; personne n’était plus propriétaire de rien, il allait falloir se battre, parfois en formant des clans, jouer de la diplomatie, de coup bas, pour devenir propriétaire d’un caisson.
Je n’ai pas participé à ces combats fratricides. Je n’avais jamais dormi sur un banc. Pourquoi ? Parce que je n’avais pas la volonté, ni nécessairement l’envie, de me retrouver mêlé dans une baston à coup de tessons de bouteille, de battes de baseball, de canifs, pour pouvoir dormir dans ce qui semblait être une bénédiction, un luxe, dont je n’avais pas besoin.
Les squats, les cartons empilés, les immeubles et magasins désaffectés, à même le sol, j’étais habitué à vivre sans rien. Je me serai senti mal à l’aise dans ces tubes, ce n’était pas naturel pour moi. Et mon instinct, que j’ai réappris à écouter, me disait que ce petit havre de confort était dangereux. Pas seulement à cause de la nouvelle guerre qu’ils avaient engendrée, mais parce qu’ils venaient du Gouvernement Unis.
Rien n’était gratuit, il fallait apporter quelque chose à la société pour pouvoir bénéficier de la moindre chose vitale. Et ces caissons n’avaient rien d’anodin, ni de charitables, ce n’était pas un acte de compassion envers nous, mais quelque chose de sombre, de sinistre.
Jaskiers