La Porte Dorée

En une file longue d’une dizaine de personnes, vous vous retrouvez la dernière.

La première personne passe par une porte qui, quand elle s’ouvre, laisse passer une lumière blanche très vive.

Personne ne réagit, tout semble normal. Vous vous tenez donc dans cette file, vous attendez votre tour pour franchir cette porte.

Pourquoi ? Comment vous êtes-vous retrouvé ici ? Pourquoi tout est blanc, sauf cette porte, qui est dorée ? Vous ne vous posez pas la question, c’est comme si cette scène était normale, comme si vous l’aviez attendu toute votre vie. Comme si vous saviez le sens, la signification de votre présence dans cet endroit. Mais vous ne savez rien, vous avez juste ce sentiment mystérieux d’être à votre place.

Une deuxième personne passe dans la lumière, la porte doré et sculptée de fioritures se referme derrière elle. Elle ne fait aucun bruit, ni à l’ouverture ou à la fermeture.

Les gens avancent d’un pas, vous aussi. Personne ne parle, personne ne pose de question, personne ne se retourne. Vous attendez, comme eux, de passer la porte.

L’idée de ce qu’il pourrait y avoir derrière cette porte ne vous traverse l’esprit qu’une petite seconde. Au final, tout le monde y passe, et personne ne semble s’en plaindre. Pourquoi vous plaindriez-vous ?

Personne ne pose de questions, pourquoi en poseriez-vous ?

Personne ne parle, pourquoi parleriez-vous ?

La porte s’ouvre, une autre personne s’engage dans la lumière vive, son ombre s’enfonce dedans et la porte se referme. Vous avancez encore d’un pas.

Vous entendez une voix, vous la connaissez, une voix familière, on vous appelle ! Vous tendez l’oreille, vous ne comprenez pas ce que la voix dit mais son ton est pressant, elle semble dire quelque chose d’urgent, elle essaie de vous prévenir de quelque chose.

La porte s’ouvre, une nouvelle personne est engloutie.

Cette voix, vous êtes sur que vous la connaissez, « n’y vas pas ! » semble-t-elle dire.

Une nouvelle personne est engloutie.

La voix se fait pressente, elle vous dit que vous n’êtes pas à votre place ici.

Vous avancez encore d’un pas. La porte dorée s’ouvre encore, elle émet un bourdonnement maintenant que vous êtes proche d’elle, une vibration, que vous ressentez dans tout votre corps. Ce n’est pas douloureux, ni effrayant mais curieux. En faite, cette lumière vous attire, vous avez envie de passer à travers cette porte comme toute les personnes avant vous.

Mais cette voix familière retentit, elle semble vous avertir encore, elle vous demande de ne pas suivre ces gens, que vous n’avez rien à faire ici, que ce n’est pas le moment. Vous ne savez pas à qui appartient cette voix mais vous l’entendez.

Les personnes s’engouffrent dans la lumière, trois personnes à passer puis ce sera votre tour. À chaque fois que la porte s’ouvre, vous ressentez une douceur bienveillante, accueillante mais la voix vous dit de ne pas franchir la porte, de s’écarter.

La porte s’ouvre, vrombissement, doux ressentis, légère chaleur. C’est bientôt votre moment.

Une force terrible vous pousse hors de la file, les gens qui la composent vous regarde, ébahis, choqués.

Vous communiquez votre désarroi par un hochement d’épaule.

Tout s’effondre autour de vous, et doucement vous ouvrez les yeux, allongé dans votre lit.

Jaskiers

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Le dessinateur et ses sujets.

Fiction (2 700 mots)

Assis au café des Reflets, le carnet de dessin sur sa table, une tasse de café dans les mains, Édouard ne donnait pas l’air de travailler. C’était là le secret de son succès.

Il y venait avec son carnet à croquis et dessinait les gens, qu’importent qui ils étaient, d’où ils venaient, ce qu’ils portaient.

Le bar était situé au cœur de la capitale, le dessinateur n’était donc jamais à court de sujet, toujours il y avait cette personne qui l’inspirait. De part l’apparence, la démarche, la voix, il trouvait toujours un sujet à croquer. Il apposait à côté de ses dessins quelques mots, quelques adjectifs qui ne pouvaient pas être transfigurés sur le dessin, du moins, pas immédiatement, c’était à son studio qu’il travaillerait à faire transparaître la personnalité de ses sujets. C’était traduire en dessin un caractère, une attitude, une mentalité, une personnalité.

Les serveurs avaient pour habitudes de ne pas le servir quand il dessinait. En pleins travail, dans une sorte de transe silencieuse, il ne répondrait pas à leur question. Ils savaient que c’était un artiste, il avait gagné en notoriété dans son milieu, mais très peu de personne le reconnaissait dans la rue. Peu de gens connaissent le visage d’un dessinateur, surtout quand il refuse la publicité. Son travail à lui, c’était dessiner, pas de faire le VRP de sa petite personne dans le monde hypocrite et faux du show-business.

Il commandait toujours la même chose, café très sucré avec un verre d’eau. Puis il partait s’assoir en terrasse, fumait une cigarette, buvait quelques gorgées de sa tasse puis prenait son carnet de croquis et son crayon de papier, le posait sur ses genoux et observait de manière innocente les passants et touristes.

Quand il repérait son sujet, il griffonnait en lui jetant des regards rapides, le crayon toujours posé sur la feuille, à croire qu’il pouvait dessiner en ne regardant que sa muse du moment, sans vérifier ses traits sur le carnet.

Pour lui, chaque personne qui passait avait une histoire qui se reflétait dans leur apparence. Une histoire qu’il créait de toute pièce au seul jugement de son regard, il ne parlait jamais avec ses sujets, tout était question d’instinct, d’inspiration.

Parfois, en finissant une planche dans son studio, il se demandait si un de ses lecteurs se reconnaîtrait, ou si il était déjà arrivé qu’une personne ouvrit l’une de ses bandes-dessinées ou visita un musée, où ses portraits étaient exposés, et s’était reconnu.

Était-il dans le vrai ? Avait-il deviné le caractère de ses sujets juste en l’observant déambuler le temps d’une minute ou deux ?

Cette exercice, il l’avait fais des milliers de fois, avec des proches, des amis, des petites amies, conquêtes d’un soir ou tentative de relation durable.

Il était convaincu qu’il y avait une relation entre le corps et l’esprit. Le corps faisant ressortir les caractéristiques de l’esprit. Dans les rides, sur le visage, dans leur manière de se mouvoir, de parler, dans le regard, les sourires ou les mous.

Jamais, depuis les 2 années qu’il venait dans se bar régulièrement, il ne repartait sans avoir griffonné un personnage. Parfois même, les histoires venaient d’elles-mêmes. Les gens ne se rendent pas compte de la manière dont leur vécus peut transpirer à travers leur être.

C’était une source d’inspiration intarissable que ce bar. Jusqu’aux jour où le virus arrêta net les habitudes d’Edouard. Plus de bar, pire, les masques cachaient les visages de ses sujets.

Il ne dessina plus et étant resté confiné avec ses sujets croqués sur le papier, il devint ce que les gens appellent « un fou ».

C’était le prix à payer de son art, une fois la source d’inspiration tarie ou disparue, l’artiste se doit d’évoluer et de trouver d’autres moyens. Et si il n’y en avait pas d’autres, il restait coincé dans le passé, au jour où tout basculât. Accusant le coup. Puis se rassurant en regardant ses anciens travaux, il décida de les retravailler, d’en extirper tout ce qu’il pouvait, de faire ressortir chaque pore, chaque fibre. Le temps qu’il passait seul, il le passait dans son univers, et l’obsession de justesse, de vérité l’amena vers des chemins dangereux, là où l’esprit sain se perd.

Rien de plus normal, donc, de devenir fou. Mais le cas d’Edouard est beaucoup plus grave.

En pleine journée, il attira un couple de touriste anglais coincé en France dans son atelier. Leur promettant de les loger gratuitement. En effet, il les logea gratuitement, nous, nous appelons ça un kidnapping.

Edouard avait tout prévu, une cage rectangulaire, en métal leur servait de chambre. L’artiste l’avait construite spécialement pour son projet. Avoir des sujets 24h sur 24 et 7 jours sur 7.

Aucune intimité, les toilette étaient dans un angle, le lit dans un autre, un table en plastique avec ses chaises au milieu.

Le dessinateur s’installait où bon lui semblait, choisissait soigneusement où il posait son matériel de dessin et travaillait. Le couple demandait de l’aide, pitié, éclatait de colère contre Edouard ou entre eux, se rejetant la faute à l’un ou à l’autre, frappait les barreaux en métal, cassait les chaise pour en envoyer des morceaux à leur bourreau, pleurait, se lamentait, restait allongé, sans rien faire.

C’était du pain béni pour leur tortionnaire, il avait un couple dont les humeurs et comportements lui permettaient de dessiner l’Homme dans tout ses états. Sachant qu’il avait tout son temps et que l’occasion d’avoir de tel modèles à sa merci ne se renouvellerait pas de si tôt, il dessinait avec une extrême précision les traits de leurs visages, leurs muscles, leurs peaux. Profusion de mouvements, les membres, les tendons, torsions, pronations, supinations.

Ses prisonniers lui donnaient aussi l’opportunité qu’il n’avait jamais eu auparavant, celle d’étudier des êtres humains dans une détresse extrême. C’était une aubaine.

Quand il voulait des réactions spécifiques, Édouard n’hésitait pas à les priver de nourritures où à les empêcher de dormir. Toutes leurs réactions finissaient en croquis sur ses carnets, annotés de ses remarques.

Le couple réalisa après quelques jours que l’artiste semblait les garder captifs pour étudier leurs comportements. Ils essayèrent de l’amadouer, lui demandant de leur laisser la liberté, et qu’en échange ils poseraient pour lui, autant qu’il le désirerait. Mais Édouard ne se laissa pas berner, d’ailleurs il ne leur parlait presque pas.

Ils changèrent de stratégie, celle de ne plus rien faire, ni bouger, ni parler, ni se nourrir.

Pour le dessinateur, ce comportement était encore une fois l’opportunité de voir une facette de l’être humain et de son comportement dans une situation d’extrême détresse. Ce fut une bénédiction.

Même quand il vit ses sujets dépérirent. De la détresse, le dessinateur allait étudier la mort. Le lent déclin du psyché et du corps. Les multiples changements, la réaction d’un être humain devant la mort d’un être aimé. La folie, le suicide. Edouard jubilait quand arriva ce moment où le couple décida de mourir. C’était une fresque du côté obscur de l’âme humaine qui se présentait à lui.

Son crayon virevoltait sur le papier, il dessinait leur lente agonie, crayonnant la mort, qui jamais n’aurait pu se présenter comme sujet à lui dans une situation normale.

Le début du jeun forcé n’était pas très intéressant mais l’artiste trouvait des détails, des soupirs, des larmes, des visages et des corps résignés, des mots violents.

Puis, ce fut le moment de latence, entre la conscience encore vive et celle de leur privation de nourriture les esprits et les corps réagissaient curieusement. Le couple jubilait, des sourires, des paroles, ils firent même l’amour devant lui. L’extase pour l’artiste. Deux corps en mouvements, s’offrant à l’un et à l’autre. L’amour, même dans des situations difficiles trouvait un chemin.

Puis se fut le déclin, morale, psychique d’abord et physique ensuite.

La faim et la soif les poussaient au délire, à la violence. Edouard avait compris ce qu’ils faisaient ; mourir. Ne surtout pas perdre mes sujets pensait-il. Il les tenta en leur offrant des repas succulents, fumant. Il mangeait et buvait devant eux. Le couple céda et mangea.

Encore une victoire pour l’artiste, qui dessina l’être humain et ses réflexes de survie. La tentation, la manipulation, des histoires lui venaient en tête grâce à leurs faiblesses naturelles.

Ils recommencèrent à demander pitié. Le dessinateur ne leur parlait jamais, c’était son credo, ne pas les influencer, deux humains libres de toutes influences extérieures.

Il dessina la pitié, la sienne car malgré tout il restait lui aussi un humain, il devint sujet pour quelque temps, dessinant et annotant ses propres réactions et sentiments.

Puis ce fut encore une fois la rébellion, le refus de manger. Allongés sur leur lit, ils n’y bougèrent plus. Ne parlèrent, ne mangèrent plus, firent leurs besoins dans les draps.

Le dessinateur, après deux jours de ce comportement se décida à leur parler. Passée la surprise d’entendre leur bourreau parler pour la première fois, ils se concertèrent, en chuchotant et restèrent dans le lit à attendre la mort.

Mais l’artiste trouva encore de matière à être inspiré, dessinant le suicide, la détermination à mettre fin à leur vie.

L’artiste décida de ressortir la méthode de la tentation, leur offrant des mets succulent, du fast-food. Il mangeait devant eux, buvait devant eux. Quand il observa que cela ne marchait pas, il mit à exécution une torture qu’il n’avait pas pratiqué jusqu’ici, les empêcher de se réfugier dans le sommeil.

Il mit de la musique, au début, il changeait de chanson. La folie les guettaient encore, ils se disputaient. La femme voulait manger, survivre car un jour ou l’autre, ils sortiraient. L’homme faisait son possible pour lui faire comprendre que leur tortionnaire ne s’arrêterait pas, que leur mort lui servirait d’inspiration. Le manque de sommeil ajouté aux supplices de la faim et de la soif les poussa encore une fois à craquer.

Edouard s’en réjouissait, mais ses sujets commençaient à l’ennuyer. Il décida de continuer à les influencer en passant toujours la même musique, une vielle balade française. Au début il nota que le couple n’était pas très affecté mais passé une journée et une nuit, ils demandèrent à ce que la musique s’arrête. Il ne fit rien, dessinant leur désespoir.

Les tourtereaux entamèrent une nouvelle stratégie. Il y avait bien longtemps qu’ils avaient compris ce que voulait le dessinateur, faire d’eux ses modèles, cobayes, pour ses « desseins » artistiques.

Le mari décida de se couvrir le corps avec les couvertures, de manière à ce que le dessinateur ne puisse plus les dessiner. Edouard trouva évidement ressources à tirer de ce comportement. Mais le couple continuait à se cacher le visage.

La marche à suivre pour le dessinateur était toute trouvée ; monter le son de la musique, les priver de nourriture et de boisson.

Les amoureux comprirent son manège mais durent se découvrir pour se nourrir.

L’artiste était exalté, il commença à mettre de la drogue dans leur nourriture. Du LSD.

Les délires commencèrent pour le couple. Des éclats de rires, des exclamations de peurs, ils hallucinaient et devenait une nouvelle fois de parfaits cobayes pour le dessinateur qui jouissait d’avoir deux êtres-humains à sa merci pour son travail.

Il expérimenta avec d’autres drogues, marijuana et cocaïne.

Les deux drogues étants aux antipodes l’une de l’autre, le comportement du couple était erratique. Puis, Édouard décida de les rendre dépendant. Les endormants avec des somnifères toujours cachés dans leur nourriture, il décida de leur injecter de l’héroïne.

Ils se réveillèrent, se posant des questions, perdus. Il leur balança des seringues et du black tharp, une héroïne puissante.

Il sembla que d’instinct, ils savaient ce qu’ils avaient à faire. Peut-être n’était-ce pas la première fois que les amoureux se droguaient. Arrachant leurs guenilles pour en faire des garrots, utilisant des cuillers et un briquet, ils s’injectèrent le smack.

Bientôt, ils semblaient heureux, n’avaient plus besoin de manger. Ne se plaignait plus tant qu’ils avaient leur dose.

L’artiste dessina leurs corps qui se dégradaient, leurs peaux changeant de couleurs et même de textures. Leur comportement était devenu docile, ils passaient la plupart de leurs temps allongés après leur shoot. Parfois, ils faisaient l’amour, où ce qui semblait être l’acte car leurs corps ne semblaient plus capables de grand chose.

L’addiction était devenue un objet d’étude importante. Et Edouard passait des heures à les dessiner, à les écouter. Ils ne parlaient que de leur prochaine dose, rien d’autre.

Après deux semaines de shoot intensif, l’artiste passa à une autre étape, réduire les doses. Les amoureux découvrir immédiatement, juste à la vue et au poids de la substance, que quelque gramme manquaient. Mais le shoot qu’ils se faisaient les calmer. Puis il ne leur donna qu’une seule dose pour deux. Les disputes commencèrent. C’était violent, passés les mots et insultes, les bagarres éclatèrent très rapidement. C’était à celui qui était le plus fort que revenait l’unique dose. La plupart du temps, l’homme l’emportait sur la femme mais l’inverse arrivait aussi. Les disputes faisaient couler le sang.

Quand l’un avait mis l’autre hors d’état de nuire, il se shootait sous les yeux implorant et avides du perdant. Le supplice de Tantale. C’était là encore un sujet rêvé, les yeux de ses victimes exorbités, l’un d’envie, l’autre de réconfort et d’extase.

Le dessinateur passa à la moitié d’une dose. Les amants maintenant se battaient, griffé le sol avec leurs ongles, ils étaient en manque, la petite dose n’était pas suffisante. Ils implorèrent l’artiste qui décida de les torturer en les narguants. Il prenait le black tharp, le leur tendait puis ramener la substance à lui. Ils déclamèrent des paroles de pitié, des appelles à sa générosité. Puis se fut les propositions innombrables d’échange de relations sexuelles et même d’organes pour une simple dose.

Il réalisa que le couple était à bout, c’était la fin. Car Edouard n’avait plus de drogue, dehors, tout était confiné et les dealers ne couraient plus les rues. Et qu’importe, il avait assez de matériel pour des années.

Il regarda le couple en manque, trembler, transpirer, vomir leur bile. Ils trouvait le moyen, la force de se battre, accusant l’un et l’autre, pensant aussi qu’en punissant l’autre, leur bourreau leur donnerait ce qu’ils voulaient. Mais c’était fini. Soit il se désintoxiquaient seuls, soit il mourraient. Édouard engrangeait encore des matériaux, l’agoni de l’être humain. Il le savait, c’était ses dernières études car il n’avait plus que la mort à étudier.

Il arrêta aussi des les nourrir. Ils tombèrent dans un état catatonique après les crises de manques. Leurs corps n’étaient plus que squelettes.

Il vit leur dernier souffle, qui étaient un râle roque. Leurs dernières paroles, des hallucinations. Plus rien, ils n’étaient plus rien, leur dernier souffle se fit doucement. L’homme mourut avant la femme. La femme resta encore vivante deux jours après la mort de son mari.

L’artiste dessina l’agonie du corps et les derniers sursauts de leurs esprits. Ces deux sujets ayant rendus l’âme, il dessina leurs cadavres. Il décida de garder les corps pour voir leur décompositions. Les corps n’était déjà plus rien, l’odeur devint insupportable. Il dessina ce qu’il put. Puis, il prit le risque de sortir avec sa voiture avec les deux cadavres enroulés dans un vieux tapis. Il s’arrêta au bord de la Seine, dans un endroit calme. Il lesta le tapis de pierre, le ferma comme il put avec des cordes, puis y mît le feu.

L’odeur intolérable et la fumée allaient le faire repérer, mais s’armant de patience et de sang froid, il laissa les flammes consumer le tapis aussi longtemps qu’il le pensait utile puis, ramassant ce qu’il resta après avoir étouffé les flammes avec un extincteur et du sable, il ramassa les restes qui n’étaient qu’une matière noirâtre et compacte. Il balança tout cela dans la Seine. Restant encore quelque instant pour voir si les débris allaient remonter, il sortit vite son carnet de croquis pour immortaliser l’endroit où il se sépara du couple pour toujours.

Il rentra chez lui et dessina ses histoires. Le confinement étant levé, il donna son travail à son éditeur qui était extatique quant à la qualité de sa nouvelle œuvre.

Il garda encore de la matière pour plus tard. Ce contentant de la bonne sommes d’argent tiré de son album qui devint un best-seller. Il resta toujours discret, refusant toute promotion, ce qui accroissait sa popularité et les ventes de ses œuvres.

Puis, le bar rouvrit ses portes et le dessinateur reprit ses anciennes habitudes.

Il était heureux d’avoir pu passer cette époque difficile, heureux d’être resté au meilleur de sa créativité et dessina.

On dit qu’il dessine encore, peut-être ferez vous un jour parti de son œuvre sans le savoir.

Jaskiers

L’enfer rôde sur la mer

Le cri est strident, « Le diable se dirigent vers nous ! Ohé ! Le diable en a après nous ! »

Les hommes du Wigram se réveillent sans se faire prier, c’est le branle-bas de combat. On se bouscules pour aller à son poste, les canonniers et boutes-feu se postent derrière leurs canons, prêts à lâcher une bordée au premier ordre.

Antoine, le bosco, posté sur la dunette, sort sa longue vue, la dirigeant sur 360 degrés.

« – Mais qu’est-ce que c’est que ça ! Antoine tu peux me dire ce que c’est !

  • C’est une boule de feu ! On dirait un… un soleil ! Un petit soleil ! »

Tous les hommes se relèvent de leurs postes pour chercher de leurs propres yeux les paroles terribles d’Antoine.

À l’horizon, venue de l’ouest, une forme rougeâtre est visible, avec un peu de concentration, certains matelots jurent que cette chose approche.

La forme semble être triple dans la longue vue du bosco, il peut voir cette chose de feu, son reflet sur la mer et ce phénomène curieux qui reflète cette énigme juste au dessus de la ligne d’horizon, comme trois cavaliers de l’Apocalypse parfaitement alignés à la verticale.

« – Antoine, qu’est-ce que tu vois exactement !

  • C’est une chose en flamme mon commandant.
  • Ça vient vers nous ?
  • Ça vient pas de doute.
  • À quelle vitesse ?
  • Je dirais… , Antoine prend son loch, éclair le cadran en l’approchant d’un brasero. Je dirais 35 noeuds mon commandant !
  • Trente-cin… Bon dieu. Faisons lui face à notre bâbord, je veux les canons prêts a lâcher une bordée sur ce… machin. »

Le Wagram fait un quart de tour sur la droite, le contre-amiral Kerjulien approuve de la tête en regardant le timonier.

« – À bâbord, je veux 5 canons d’anges à deux têtes, 5 autres de boulets pleins. Prêts à canonner à mon signal !

  • Oui commandant ! »

Les boutes-feu préparent leurs baguettes, prêts à en enflammer la mèche d’étoupe. Dans la nuit, aucune lune, aucune étoile, les braseros et torches du Wagram vacillent, laissant voir des ombres sur les faces crispés des matelots. Elles dessinent de curieux visages sur celui balafré du contre-amiral, créant l’illusion de lui ajouter, le temps d’une seconde, d’autre cicatrices avant de disparaître. Ses rides semblent se multiplier avec le jeu de lumière erratique, lui donnant des airs de vieillards. Ses pupilles sont rouges, tel un possédé, tel ceux qui entrent en transe dans les lointaines terres hindoues durant ces étranges cérémonies dédiées à Shiva.

« – Commandant, je pense… je pense qu’il dévie de sa trajectoire et met le cap dans notre direction !

  • Je le sais ! On… ne regardez pas trop cette… chose en feu, rien de tel pour vous éblouir.
  • Mon commandant, c’est quoi ce truc ? »

Le commandant allume sa pipe à l’aide d’un petit tisonnier qu’il avait préalablement chauffé à un brasero.

« – Ça… c’est une putain de légende, une légende vraie !

  • Que voulez-vous dire mon commandant ?
  • Ce que je veux dire ? C’est que si nous ne le coulons pas, nous seront morts.
  • Évidement…
  • Évidement quoi sous-fifre ?!
  • Pardon mon commandant.
  • Ce truc là messieurs, c’est le diable en personne ! C’est un navire en flamme, qui terminera sa mission infernale soit coulé, soit en nous coulant.
  • Chef, peut-être qu’on pourrait essayer de le perdre !
  • Inepties ! Conneries ! Ce machin vient pour nous envoyer en enfer, j’ai… il… on a trop péché ! Trente-cinq noeuds ! T’as pas entendu Antoine ! Notre Wigram dépasse difficilement les 10 noeuds !
  • Et si on manœuv…
  • Tu pense pouvoir l’esquiver ? Ah ! Ce machin va vouloir se repaitre de nous, c’est intelligent, cela nous est destiné ! Allez me chercher Spark ! Il n’est pas là, doit être en train de prier sa mère au carré.
  • Oui chef.
  • Et dite lui que si il ne ramène pas son cul ici, je lui fourre mon tisonnier dans l’œil !
  • Oui chef !
  • Du nerf ! »

Le commandant s’approche du charnier et s’asperge le visage d’eau, maintenant, les flammes du navire lui donnent un teint translucide. Les yeux braqués sur le navire en flamme qui approche à grande vitesse.

« – Putain, on dirait… sa carcasse… mais y’a encore les voiles mais c’est… tout en feu !

  • Antoine, arrête de le regarder, tu vois le diable merde ! Arrêtez de le regardez ! Soyez prêt, foutrement prêt à canonner cette terreur ! On aura pas de deuxième chance !
  • Commandant…
  • Spark petit enculé !
  • Désolé mon com… »

Cosmao Kerujulien prend la tête de Spark entre ses mains pour la placer en vue du navire enflammé.

« – C’est de ta faute ça enfant de putain !

  • Commandant… je suis désolé !
  • Tu sais ce que je vais être obliger de faire hein ?
  • Pitié non ! Non ! Laissez moi une chance, une… »

Le commandant lui tranche la gorge, Le corps de Spark, refusant la mort, fait des soubresauts. Le contre-amiral tourne et retourne sa dague dans le cou de Spark, on entends les tendons et les nerfs se défaire et le bruit de scie que fait la lame sur les os du cou de l’infortuné. Le commandant s’acharne, pose le corps du mort à terre et le décapite.

En brandissant la tête, il se déplace jusqu’aux gaillard avant, se tourne face au vaisseau brûlant qui n’est plus qu’à une moitié de mille et hurle :

« – Voici ! Voici Chtuhulu ! Regarde, j’ai accompli ta vengeance ! Chtuhulu, voici mon offrande, épargne moi, mes hommes et mon navire ! Prend-le ! Par pitié ! »

Ces derniers mots sont dits dans les sanglots. Tous les matelots le regardent, son uniforme est tacheté de substance noir, dégoulinante. Son corps a l’air d’une ombre, brandissant en l’air la tête de Spark comme Persée avait dû brandir celle de Méduse devant Phinée et ses sbires.

Les canonniers placent leurs canons dans leurs sabords respectifs, les boutes-feu enflamment leurs baguettes.

« – Chtuhulu je ne mérite pas ta colère. C’est lui, dont je tiens la tête, qui t’as offensé ! Lui a brisé son serment, pas moi ! »

Antoine ne peut s’empêcher de regarder le navire en feu, il croit même voir un visage, une terrible vision, un crâne à la mâchoire immense sortir puis, le fracas des canons firent vibrer l’air.

Les boulets percutent le vaisseau du diable, éclatant sur sa proue, des esquilles mêlées aux étincèles emplissent l’air, les anges à deux têtes fendent les voiles enflammées mais le vaisseaux fantômes ne ralentit pas.

Une seconde de silence, comme si l’oxygène du monde entier avait disparue, les matelots se regardent, à l’ombre des flammes ils ont l’air de spectres.

Le diable de vaisseau émet un son rauque, à faire exploser les tympans, des matelots en paniquent s’apprêtent à sauter à l’eau dans l’embarcation de sauvetage, le contre-amiral, reste debout, il a baissé les bras et la tête. Il est le premier percuté par le navire.

Soudain, tout le vaisseau prends feu, le bois craque et semble même hurler, le métal se tords, les feux de l’Enfer s’effondrent sur les marins.

L’instinct de tous les matelots est de sauter à l’eau, dans un dernier réflexe de conservation, ils sautent par dessus bords mais la mer n’est plus que flammes. Tel un feu grégeois, les marins sautent à leurs pertes, se consument, brûlés dans l’eau.

Tout se désagrège, l’oxygène n’existe plus pour les hommes encore conscients. Ils préfèrent mourir immédiatement plutôt que d’être les témoins de cette horreur. Préférant une mort rapide que de finir mangé par les flammes un mousse se tranche la gorge, l’autre s’enfonce son poignard dans le ventre, un autre encore plonge, la mer n’est plus un espoir, il brûle. On ne sait comment mais il reste à la surface et pousse des cris d’agonie avant que les flammes se repaissent de son visage.

Les mats s’affaissent, se donnant au feu pour mieux le nourrir, tout n’est que vision d’enfer, des silhouettes titubent et s’affaissent à genoux, des torches humaines sautent dans les lames de feux, des gerbes enflamment chaque parcelles de navire et de corps humains. L’air est emplie de petit débris qui se consument, comme des fées éphémères dont la vie est écourtée net par le présent à l’humanité de Prométhée.

Puis une énorme explosion finit de compléter le tableau d’apocalypse, le feu ayant atteint les réserves de poudres. L’atmosphère aux alentours hurle, comme si elle aussi pouvait sentir la souffrance.

Et le calme reprend ses droits. La mer s’est éteinte, des débris encore fumant flottent et sifflent au contact de l’eau, les squelettes des deux navires embrasés restent encastrés l’un dans l’autre comme des amants maudits.

Une immense lame engloutit les deux carcasses. Une épaisse fumée s’échappe de la mer puis s’évapore.

La vie reprend ses droits. Les flots sont calmes. Rien ne les perturbent, l’équilibre est revenu.

Crédit image : Pinterest

Récit inspiré par « Chtuhulu » d’H.P. Lovecraft et par « Moby-Dick » d’Herman Melville.

Jaskiers

Le livre noir par Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossman

Quatrième de couverture :

Le 22 juin 1941, les troupes allemandes envahissent l’Union soviétique. « L’opération Barberousse » est, aux yeux d’Hitler, le début de la guerre d’anéantissement du « judéo-bolchevisme ».

Alors que son armée est obligée de reculer, Staline accepte la création d’un Comité antifasciste juif. Au cours d’une tournée aux États-Unis, une délégation de ce comité rencontre Albert Einstein qui suggère que soient désormais consignées dans un « livre noir » les atrocités commises par les Allemands sur la population juive d’URSS.

Réalisée sous la direction d’Ilya Ehrenbourg et de Vassili Grossman, cette relation « sur l’extermination scélérate des Juifs par les envahisseurs fascistes allemands dans les régions provisoirement occupées de l’URSS et dans les camps d’extermination en Pologne pendant la guerre de 1941-1945 » est assez avancée en 1945 pour être envoyée au procureur soviétique du procès de Nuremberg, puis aux États-Unis où elle est publiée.

L’édition russe du « livre noir », elle, ne verra jamais le jour : d’abord censurée, elle sera définitivement interdite en 1947.

En 1952, les principaux dirigeants du Comité antifasciste Juif sont condamnés à mort et exécutés d’une balle dans la nuque.

Après l’écroulement de l’URSS et grâce à Irina Ehrenbourg, la première édition intégrale en russe du Livre noir a enfin pu être publiée en 1993 à Vilnius.

La présente édition se veut le plus fidèle possible à ce livre retrouvé, terrible page d’histoire directe et témoignage bouleversant.

Cher(e)s lecteurs et lectrices, habitué(e)s du blog, je pense que depuis tous le temps que vous me suivez, vous avez remarqué à quel point la Shoah tient une grande place dans mes lectures. Depuis tout petit, j’essaie de comprendre ce qu’il s’est passé après être tombé par hasard sur un livre de mon grand-père sur l’Holocauste.

Je ne sais pas ce que je recherche. Je me contente de lire, beaucoup, de récit sur cette tragédie et j’emmagasine l’horreur, comme si j’étais une éponge. J’ai l’impression que je le dois, pour les victimes et les survivants. Je ne fais que lire après tous, je n’ai pas vécu de tels horreurs mais quelque chose en moi me pousse à lire ces témoignages pour ne pas oublier. Dans ces temps troublés, je crois qu’il est important de se rappeler comment tout bascule, à une vitesse vertigineuse. Ces lectures permettraient à certaines personnes de relativiser la situation et à faire de notre monde un endroit plus humain.

Ce livre représente l’ouvrage le plus horrible sur le génocide des Juifs par les allemands durant la Seconde Guerre Mondiale sur le front de l’Est. Une véritable entreprise d’extermination des Juifs et des Russes. Aucunes pitiés de la part des bourreaux, allemands, lettons, ukrainiens, roumains ect…

Fort d’avoir lu le journal de guerre et les deux fresques magnifiques de Vassili Grossman sur la mythique bataille de Stalingrad ; Vie et destin et Pour une juste cause, je savais que l’homme, l’écrivain, l’humaniste (?) russe était un homme intègre, talentueux et courageux. Il est le principal collaborateur de ce livre.

Je ne connais que sommairement Ilya Ehrenbourg, journaliste, comme Grossman, bon écrivain, je me suis dis qu’il fallait sauter le pas et le lire, dans cet ouvrage. J’ai découvert le travail de Ehrenbourg. Une plume émouvante mais gorgée de propagande soviétique.

J’ai encore en tête ma lecture de la découverte de Treblinka par Vassili Grossman. Un récit que nous devrions lire à l’école tellement est puissant et émouvant ce texte de la découverte par un russe Juif d’un camp d’extermination nazie. J’ai aussi en tête cette immense fresque qu’il a écris sur la bataille de Stalingrad, , œuvre de toute une vie, Vassili se l’est vu retiré par le KGB. Anéanti par la disparition du travail le plus important de sa vie, il trouvera le papier carbone qu’il a utilisé pour écrire son roman, l’envoya en deux exemplaire au-delà du rideau de fer ou ses deux livres seront publié. Romancier qui a vite découvert les dangers du communisme durant la guerre, son talent est digne de celui des plus grands écrivains russes, courageux et poétique dans ses écrits, cela lui coûtera sa santé et des démêlés avec la terrible justice soviétique. Il échappera de peu à une punition sévère.

Comment vais-je bien pouvoir parler de se livre ?

Ce que je savais sur Ilya Ehrenbourg était éparse. Je savais qu’il était parti en Espagne, couvrir la guerre civile espagnole pour le compte d’un journal russe (par ailleurs, il y rencontrera Hemingway), qu’il était un grand ami de Grossman même si des tensions sont apparu à cause des doutes sur le communisme de ce dernier. Il était aussi bien connu de Staline. Il était le journaliste le plus lu d’URSS. En tous cas, pas besoin de vous dire à quel point il était dangereux d’être lu par Staline. Lui aussi passera à travers les mailles des purges antisemites de Staline. Ce ne sera malheureusement pas le cas de beaucoup de collaborateurs du Livre Noir.

Le publication du livre noir a été un combat, politique surtout. Dans l’URSS de Staline jusqu’a l’effondrement du mur de Berlin.

A cela, il faut ajouter plusieurs points de vues divergeant sur la construction et direction du livre. Ehrenbourg voulant des récits de survivants et de témoins uniquement, Grossman voulant apporter à ces témoignages des réflexions. Ce dernier aura gain de cause.

Bien qu’Ehrenbourg quittera le navire, son travail sur le projet ayant été considérable, il sera crédité aux côtés de Vassili.

Le travail des traducteurs est impressionnant. Ils ont réussis à retrouver les originaux, grâce à la fille d’Ehrenbourg, du Livre Noir, permettant au traducteurs de rajouter les passages censurés par les organes de censures soviétiques. Il est bien sûr à nous de faire attention à la propagande russe, pas vraiment subtile, disséminée dans les récits. Seul les récits écrits par Vassili Grossman semblent omettre cette dimension propagandiste, du moins l’apposer avec plus de tact, de distance et de discrétion. Il est d’ailleurs difficile d’oublier que la majorité des auteurs de ce livre ont été exécutés, ainsi que beaucoup de survivants des horreurs nazies, par les purges staliniennes. Parce que Juifs, parce que fait prisonnier par les allemands au lieu de se battre jusqu’à la mort, parce qu’avoir survécu à l’horreur nazie signifiait, pour Staline, un certain degré de collaboration avec l’ennemi.

La fin du livre contient les portraits de ces auteurs/collaborateurs qui ont aidé à la création de ce livre pour l’Histoire et la mémoire du peuple Juif exterminé en Europe de l’Est. La plupart, hommes et femmes, ont été exécuté par Staline. Hitler mort, Staline a continuer la persécution des Juifs d’Europe de l’Est. (Voir mon article sur l’ouvrage de Timothy Snyder : Terre de sang L’Europe : entre Hitler et Staline.)

Sur le livre maintenant.

J’ai appris que plusieurs centaines (milliers ?) de ghettos ont existé. Dans des villes et des villages et des hameaux perdus de l’Europe de l’Est.

Que les femmes et les enfants étaient souvent enterrés vivants, pour économiser les balles. Les bébés étaient attrapés par les pieds pour être fracassés sur le sol devant leurs mères.

Qu’il existait moult camps de concentrations. De petites tailles mais tout aussi cruels et meurtriers que les plus grands et les plus connus par le grand public.

Que les massacres perpétués à Oradour-sur-Glane et Tulles en France étaient commis quotidiennement sur le front de l’Est. D’ailleurs, je crois que les unités ayant commis ces exactions en France venaient du front russe.

Que la torture et l’humiliation étaient une partie importante du génocide. Tuer n’était pas suffisant, il fallait humilier.

Que les bandes de partisans soviétiques n’étaient pas une légende et que beaucoup de Juifs les ont rejoin et ont combattu les nazis armes à la mains, beaucoup préférant donner chèrement leurs peaux, femmes, enfants et hommes confondus.

J’ai, comme toujours pour ce genre de livre, hésité à partager des extraits de l’ouvrage avec vous. Comme vous en avez sûrement conscience, le livre contient des horreurs perpétrées par l’être humain sur d’autres êtres humains, des humiliations, des meurtres et des tortures que personnes n’auraient imaginé. Une preuve, comme si l’on en avait encore besoin, que l’Homme est le pire des animaux.

Dire que ces exactions font parties du passé n’est malheureusement pas vrai. Les camps de concentrations pour les Ouïgours en Chine en est la preuve. Et si ce n’était que ça…

Tous les jours, des innocents sont opprimé sans que personne ne bouge le petit doigts.

J’ai décidé de partager avec vous une poignée d’extraits extrêmement choquants. Ne les lisez pas si vous ne le sentez pas.

Extraits :

ATTENTION LES EXTRAITS SONT CHOQUANTS

Dans la note du 8 septembre 1944 intitulé « Le projet du Livre noir mentionné par Ehrenbourg et destinée aux ‘instances compétentes’ [Staline], il était dit : ‘Ce livre sera constitué de récits de Juifs rescapés, de témoins des atrocités, d’instructions des autorités allemandes, de journaux intimes et de témoignages de bourreaux, de notes et de journaux de personnes ayant échappé aux massacres. Ce ne sont pas là des actes, des procès verbaux, mais des récits vivants qui doivent faire apparaître la profondeur de la tragédie.

Il est extrêmement important de montrer la solidarité de la population soviétique. (…) Il est indispensable de montrer que les Juifs mouraient courageusement, de s’arrêter sur les actes de résistance. – Ilya Ehrenbourg

Les jours d’orgies, les SS ne tiraient pas. Ils transperçaient la tête des prisonniers avec des pics ou bien la fracassaient à coups de marteau, ils les étranglaient et les crucifiaient en leur enfonçant des clous dans la chair.

On faisait entrer les Juifs dans une immense salle qui pouvaient contenir jusqu’à mille personnes. Les allemands faisaient passer dans les murs des fils électriques qui n’étaient pas isolés. Les mêmes fils passaient dans le sol. Lorsque la salle était plein de gens nus, les allemands branchaient le courant. C’était une gigantesque chaise électrique dont n’imaginait pas qu’elle pu être inventé, même par l’esprit le plus malade.

Il avait construit une cage en verre sur un mirador. On y mettait un Juif qui mourrait à petit feu à la vue de tous.

La nuit, les allemands attaquaient les maisons Juives et en tuaient les habitants. Ces meurtres étaient perpétrés de façon particulièrement cruelle : on crevait les yeux des victimes, on leur arrachait la langue, les oreilles, on leur défonçait le crâne.

Les petits enfants, dès qu’on les avait fait descendre des camions, les policiers les enlevaient à leurs parents et leur brisaient l’échine contre leur genou. Les nourrissons, ils les lançaient en l’air et leur tiraient dessus, ou bien ils les attrapaient sur la pointe de leur baïonnettes, et les jetaient ensuite dans les fosses.

Deux Juifs avaient été découverts dans leurs caches. Les allemands en jetèrent un à terre et lui recouvrirent le dos de morceaux de verre, puis ils ordonnèrent au second de lui marcher dessus.

Les petits enfants, épuisés et faibles, se mirent à pleurer : leurs petits bras se fatiguaient et retombaient tout de suite. Pour la peine, on les leur coupait avec des poignards, ou bien on leur rompait la colonne vertébrale, ou bien encore, élevant l’enfant au-dessus de sa tête, le fasciste le jetait de toutes ses forces sur la chaussée pavée : après un tel choc, la cervelle de l’enfant jaillissait de son crâne éclaté.

Les allemands assassinèrent les Juifs des bourgades de façon horrible, en les jetant vivants dans les flammes. Dans la brigade de Charkovchtchina, on coupait la langue, on crevait les yeux, on arrachait les cheveux des gens, avant de les tuer.

Cher père ! Je te dis adieu avant la mort. Nous avons très envie de vivre, mais inutile d’espérer, on ne nous le permet pas ! J’ai tellement peur de cette mort, parce qu’on jette les petits enfants vivants dans les fosses. Adieu pour toujours. Je t’embrasse fort, fort.

Les enfants se mirent à crier. « Tante, où est-ce qu’on nous emmène ? » Bélénovna leur expliqua calmement : « À la campagne. On va aller travailler. »

On a trouvé dans une fosse près de Morozovsk les cadavres d’Eléna Bélénova et des six enfants Juifs.

Note de bas de page : le docteur Fainberg, sa femme et sa fille t’entêtent de se suicider en s’ouvrant les veines et en prenant de la morphine, mais les allemands les envoyèrent à l’hôpital, les soignèrent, après quoi ils furent fusillés.

Je me suis procuré un morceau de fil électrique, et un jour, à l’aube, je me suis pendu. Mais mon râle d’agonie a été entendu et on m’a décroché. Pour me punir, on m’a battu, on m’a brisé trois côtes. Je n’avais pas le droit de disposer de la vie, ce droit appartenait aux allemands.

J’ai fais mon exercice de mémoire en lisant se livre. Un exercice très difficile, découvrant ce qui est de plus exécrable, d’incroyablement sadique et mortel chez l’être humain.

Pourquoi ai-je lu se livre, ce genre de questions reviennent souvent dans mes articles sur la Shoah et la littérature de guerre/concentrationnaire. Je laisse ces mots de Vassili Grossman, présents dans l’introduction de ce livre, parler pour moi et finir cet article.

Puisse la mémoire des hommes conserver jusqu’à la fin des siècles le souvenir des souffrances et des morts atroces de ces millions d’enfants, de femmes et de vieillards assassinés. Puisse la mémoire sacrée des suppliciés être le gardien formidable du bien, puisse la cendre de ceux qui furent brûlés interpeller le cœurs des vivants pour enjoindre les hommes et les peuples à la fraternité. – Vassili Grossman

Jaskiers

Le vin de la colère divine par Kenneth Cook

Quatrième de couverture :

Aller combattre le communisme pour sauver le monde : tel est le motif qui conduit un jeune homme de vingt ans à se retrouver au cœur de la jungle du Vietnam. Confronté à la mort, il ne peut se raccrocher qu’aux valeurs chrétiennes et occidentales auxquelles il croit. Mais survivre au crescendo des bombes et de napalm mène à accepter les pires atrocités. Et à oublier la « guerre juste », lorsque se répand, dans une vision d’apocalypse, le vin de la colère divine.

« Dans une narration à couper le souffle, l’écrivain australien Kenneth Cook fait acte de foi en la littérature, celle qui réveille les consciences. Le vin de la colère divine est un cataclysme. » – Télérama

Kenneth Cook, écrivain couronné de succès, journaliste et leader d’un parti politique opposé à la guerre du Vietnam, fut un personnage hors norme. Il est également l’auteur du Koala tueur, de La vengeance du wombat et L’ivresse du kangourou, tous parus aux Éditions Autrement.

Ceci est un roman, l’histoire n’est pas tirée du vécu de l’auteur. C’est un changement, pour moi, amateur de récits de guerres écrient par des anciens soldats. Mais ce petit roman s’avère être au final un bon changement dans ma routine de lecture.

Ce jeune homme narre son histoire accoudé à un bar. C’est comme si vous étiez son ami de beuverie pour un soir, vous rencontrer ce jeune bidasse de 20 ans, qui a l’air d’en faire 10 de plus, et il vous narre son expérience.

Fervent catholique, il s’engage volontairement dans l’armée américaine pour combattre le communisme. Parce que, selon lui, les communistes sont les ennemis de Dieu. Il semblait presque parti pour une croisade, bien qu’il ne le mentionne pas tout au long de son récit, tout comme il ne mentionne pas les Vietnamiens, les Nord-Vietnamiens, les Viet-congs. Non, tous le long du récit, il les appelle « communistes ».

Jeune, croyant et bon soldat, l’expérience de la guerre du Vietnam va le plonger dans une grande confusion. Sa foie est ébranlée. N’est-il pas marqué dans les 10 Commandements : « Tu ne tuera point ? »

De plus en plus confus devant l’horreur, devant la mort, les valeurs qu’il a appris enfant auprès d’un père aimant et d’une mère française se désagrège. Il cherche à comprendre tout en ne cherchant pas. Il s’exprime par contradictions, sophismes, répond à ses propres questions pour les remettre en doute tout de suite après.

Sa rencontre avec Karl, venu remplacer un camarade de guerre du narrateur (ce dernier n’a d’ailleurs pas de nom, il n’est du moins pas mentionné dans le récit), qui s’autoproclame militariste-pacifiste n’arrange pas sa remise en question perpétuelle de sa foi, de sa place sur Terre, des Hommes, de leur natures, de la politique et de la guerre.

Durant une permission dans une ville de L’Asie de l’Est, qu’il ne nomme pas, il rencontrera Santi, un Vietnamien, avec qui il se saoul. Le narrateur notera avec quelle bienveillance, quel respect il est traité par cet homme. Il pourrait être un ennemi, ce qu’il a fait dans se bar, se lier avec un vietnamien est déconseillé par l’armée, mais Santi est bon, loin des stéréotypes racistes véhiculés par l’armée. La confusion qui s’exerce dans sa tête devient obsédante. Que penser de cette guerre ? S’est-il trompé d’ennemi ? S’est-il fait manipuler pour aller combattre si loin de chez lui des hommes qui, bien qu’ayant des croyances différentes, restent des hommes comme lui ?

Entre questionnement, au bord de la folie, de la confusion la plus extrême, le jeune homme plongera en plein enfer, le napalm, les bombes, les balles, les cadavres, les agonisants. Il ne sait même plus si il pleur. Le peut-il encore ? Sait-il encore ce qu’est se sentiment ? Les sentiments ?

La fin de son récit termine en apothéose. Un enfer sur Terre, une vision d’apocalypse.

Son récit terminé, le jeune homme ne vous dit ni au revoir ni à la prochaine. C’est nous qui partons, car il semble avoir déversé toute sa confusion et ses réflexions sur vous, jusqu’à ces derniers paroles.

Une réflexion sur la jeunesse, l’éducation, la religion et la guerre. Une dure expérience, qui remet en doute certaines de vos valeurs, sans les changer, peut-être, mais vous pousse à vous remettre en question comme le narrateur le fait. Sur vos croyances, votre éducation, l’autorité exercée sur vous et sur le monde en général.

Voici quelques extraits qui, je pense, montre la confusion et la peur du narrateur, qui le suivent tout au long de l’ouvrage :

Mais chaque fois que je pense, il m’apparaît qu’en ce bas monde, un homme sain d’esprit n’a d’autre choix que de devenir fou.

Nous ne pensions pas vraiment tuer. Nous ne pensions pas beaucoup, en réalité ; enfin, c’est ce qui m’apparaît maintenant. Il était impossible de penser. Qu’est-ce que veut dire « penser » de toute façon ?

En y repensant aujourd’hui, je dois reconnaître que j’étais le roi des cons. Ma seule consolation, c’est que nous étions tous les rois des cons.

Si ça se trouve, le monde foisonne de gens qui réalisent que leurs actions sont insensées mais qui craignent de passez pour des fous s’ils se comportaient raisonnablement. J’espère qu’il en est ainsi, mais je n’en suis pas si sûr.

Je m’étais attendu à quoi en partant à la guerre ? À ce que toutes les balles finissent dans les parties les plus charnues de la jambe et à ce que les ennemis soient les seules victimes ?

En général, l’idée qu’on enterre les gens, ou même qu’on les incinère, me dérange. Le principe même que les gens meurent me dérange. Je préférerai que ça n’existe pas.

La raison en était sans doute évidente. Mais je soupçonnais que le vraie raison n’était pas la raison évidente. Rien de ce qui est évident ne semble être vrai.

[…] Sans parler de cette bonne vielle maxime qui raconte plus ou moins qu’il faut prendre les armes pour faire taire les armes. Ils sont tous fous.

– Qui est fou ?

– Tout le monde. […]

Si tous les hommes qui en ont tué d’autres, depuis qu’il y a des hommes, étaient alignés les uns à côté des autres, combien de fois feraient-ils le tour de la Terre ? Et tous les morts ? Lesquels représentent le plus grand nombre, ceux qui ont tué ou ceux qui ont été tués ?

[…] il s’y inscrivait si il y avait une logique. S’il n’y en avait pas, eh bien, il n’y en avait pas. Mais il devait bien y en avoir une, car s’il n’y en avait pas, comment concevoir l’idée qu’il y en ait une ? Est-ce possible ?

[…] – Justement. Je trouve difficile d’imaginer un contexte permettant de justifier moralement une guerre moderne : on doit tuer trop de gens qui n’ont rien à voir avec la guerre.

L’armée vous aide à créer des illusions. Elle offre quelque chose de rassurant et convenable, avec le son du clairon, des tambours, et le rythme des soldats qui marchent au pas, sans compter qu’on vous tient occupé la plupart du temps, limitant tout loisir d’entretenir des pensées subversives. C’est sans doute la grande découverte qu’ont dû faire les généraux : le premier homme qui s’est dit « Je dois absolument occuper les lascars pour qu’ils n’aient pas le temps de penser. » a sans doute ouvert la voie à toutes les armées du monde.

[…] Mais ce qui m’inquiète – enfin, ça ne m’inquiète pas vraiment, pas trop en tous cas – bref ces actes que nous devons commettre… Les combats sont si atroces que je me demande s’ils sont justifiables.

Tous les bruits [dans la jungle] étaient ceux de chasseurs et de proies : les bruits de la violence. Aucun d’eux n’arrivait à la cheville de la violence que nous avion perpétrée […] L’idée de violence est d’ailleurs enracinée dans la nature […]

Il y a peut-être une logique à tout. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas – mais elle m’échappe. En fait, il y a forcément une logique ; la pure futilité, apparemment aveugle, de tous ça exige qu’il y ait une logique.

Je crois que j’essayais d’organiser mes pensées de manière ordonnée et civilisée, comme j’avais appris à le faire, ce qui est en triste contradiction avec les faits. En réalité, mon esprit paniqué tournait en rond. Réaction typique de l’esprit…

Un soldat doit se sacrifier pour la victoire. Savoir qui le tue n’est qu’une question théorique. Ça ne fait pas grande différence après coups, et si l’on accepte que la victoire représente le but ultime et que la mort est un mal nécessaire, ça ne fait pas une grande différence avant non plus. À moins d’avoir l’infortune d’être partis les soldats qui vont se faire tuer. Ça avait de l’importance à mes yeux.

Affirmation, infirmation, dans la même phrase. La confusion est le maître mot de se roman, de l’esprit devenu torturé et fragmenté par la guerre et ses visions d’horreurs. Sa lucidité, son intelligence ont été ses pires ennemis. Il est dur d’imaginer le futur du narrateur tant sa vie est maintenant entachée, et sa foi, pilier de son psyché, ébranlé, ébréché, craquelé, d’une manière violente à cause de manipulations, de mensonges et de l’expérience de soldat. À nous lecteurs de nous faire notre propre histoire sur ce que serait devenu ce « jeune homme » après avoir entendu son histoire. Et de se poser la question de tout ces autres jeunes hommes qui ont vécut un enfer similaire. Et qui sont sûrement accoudés aux bars, un verre à la main, attendant un badaud pour lui conter une énième fois son histoire. Peut-être pensent-ils avoir encore 20 ans d’ailleurs. Car il semble que personne ne sort grandi de la guerre, elle semble plutôt vous traumatiser au point que plus rien ne puisse vous faire avancer. Rester coincé mentalement au moment ou l’horreur du conflit vous touche. Une frontière mentale. Vous n’avancerez plus.

Jaskiers

À venir sur le blog : Une grande dame, journaliste, écrivaine, aventurière et reporter de guerre : j’ai nommé Martha Gellhorn !

Une des plus grande reporter de guerre, journaliste et romancière du XXe siècle.(peut-être meilleur qu’un Hemingway, d’ailleurs ils ont été mari et femme pendant quelques années mais ont divorcés. Un des causes de se divorce serait la compétitivité entre les deux, et un Hemingway légèrement (beaucoup ?) macho qui ne supportait pas qu’une femme lui vole la vedette…)

Les deux ouvrages présent sont principalement ses récits de guerres, je suis impatient de voir son travail et de partager avec vous ce que j’en ai ressorti !

À bientôt !

Jaskiers