Avertissement : ce récit fait presque 4 000 mots. Lisez-le à votre rythme. Je n’ai pas trouvé judicieux de la diviser en chapitre.
—
Le café des Soupières était le refuge d’Eva pour relâcher la pression. Métro, boulot, café et direction l’appartement.
Sa patronne, qui serrait les vis à en tordre un tournevis, était tout le temps sur son dos. Ajoutez à cela que la matrone aimait se montrer odieuse et imbue à souhait, un métro qui sentait l’urine, la bière premier prix et le déodorant bon marché et le burn-out pointait le bout de son nez. Un café silencieux, excepté pour le bruit des cuillères tournant dans les tasses, avec un bon parfum de café chaud, le chauffage durant l’hiver et la climatisation pendant l’été, des tenanciers aimables et discrets, faisait office de havre de paix et de repos.
C’était ici qu’Eva se déconnectait de la réalité, prenait ses distances avec une vie de stress intense. Elle sortait son petit carnet de croquis Moleskine, un crayon de papier et commençait à dessiner des robes, des chapeaux, des chaussures. Elle avait espéré quand devenant l’assistante d’une créatrice de mode en vogue, elle pourrait, un jour, se lancer dans l’aventure et devenir, elle aussi, une créatrice de mode. Elle avait le talent, le coup de crayon, l’imagination et les connaissances requises du monde de la mode, son fonctionnement, ses codes et savait ce qu’elle pourrait y apporter. Mais jamais elle n’avait eu le courage, jusqu’ici, de présenter son travail à sa diablesse de patronne.
Elle s’installa à la même table que d’habitude, à côté de la fenêtre donnant sur la partie la plus grouillante de vie de la ville. Elle aimait faire de pause dans ses dessins et regarder les passants, leur style, leur vêtement. Elle avait le talent de voir quel vêtement serait à la mode la saison prochaine juste en observant les gens qui déambulaient devant cette fenêtre.
Elle voyait souvent les mêmes personnes, à heure fixe, sûrement partaient-ils pour le travail ou pour sortir entre amis.
Mais à partir d’un moment, elle ne saurait pas dire depuis quand exactement, elle pouvait voir cette personne. Impossible de savoir si c’était un homme ou une femme, habillé tout le temps avec un long manteau bleu foncé, un trench-coat pour être exacte, un chapeau qui lui descendait jusqu’aux yeux, et il ou elle semblait avoir les cheveux coupés court, ce qui était en vogue chez les femmes en ce moins de novembre.
Cette personne avait attiré son œil, son habillement était basique, selon les codes de la mode actuelle à New-York, mais c’était son comportement qui était le plus curieux.
La personne ne bougeait presque pas, adossée au mur juste en face de la fenêtre de la table où Eva avait pour habitude de déguster son café, à une dizaine de mètres, sur le trottoir d’en face. Voir tous ces gens se presser et cette personne rester presque immobile était curieux. Et effrayant.
Cet individu arrivait exactement au même moment où la jeune femme allait prendre son café après le travail. La pauvre Eva ne pouvait dire de quel côté il arrivait avant de s’adosser au mur.
À force d’observer cette personne, de jour en jour, elle pouvait distinguer qu’elle portait une paire de lunette noir, très épaisse, du genre que les célébrités excentriques mettent pour prétendre vouloir ne pas se faire reconnaître.
Elle observa aussi que son admirateur, c’est comme cela qu’elle l’appelait, portait des gants bleus en cuir, ou similicuir. Malgré ses recherches, elle ne put découvrir la marque de son trench-coat, son chapeau, qui était banal, unisexe et noir ne demandait pas la peine de faire d’effort pour trouver sa marque. Elle ne pouvait distinguer que difficilement les chaussures de la personne, elle n’avait l’opportunité de les voir que quand elle se déplaçait. Il semblait à Eva que l’individu portait des bottes, avec un petit talon. Elle fit quelque recherche sur Google pour trouver des modèles de bottes « de ville », là aussi, unisexe, rien de probant et la marque, là aussi, pouvait être n’importe laquelle.
Au bout de trois semaines de ce curieux spectacle, Eva décida d’arriver plus tôt devant le café mais sans y entrer, quelque minutes avant l’horaire habituel, pour voir d’où l’étranger allait arriver et observer sa réaction quand il découvrirait qu’elle était en retard.
Mais la personne était déjà là, même, elle fit un signe à Eva, amical, de la paume de la main, puis s’adossa sur le mur.
Eva avait peur, cet inconnu semblait savoir ce qu’Eva avait essayé de faire. Elle n’avait pour l’instant par le courage d’aller se confronter à cet étrange personne. L’idée de demander à une amie de l’aider ne l’enchantait pas du tout, craignant être prise pour une folle et voir se ternir sa réputation dans le monde belliqueux de la mode.
Elle prit sa table habituelle, et regardait fixement l’intrus. Elle ne pouvait se concentrer sur rien d’autre, son sketch book contenait déjà plusieurs dessins de ce curieux personnage. Elle ne pouvait se concentrer sur quelqu’un d’autre depuis ces trois semaines.
Une réflexion se fit jour en elle ; et si elle était la seule à pouvoir le voir ? Car, jamais, il ou elle n’interagissait avec quelqu’un d’autre, les gens passaient à côté sans jamais un regard, ni même un mot, ni une plainte envers l’individu, ce qui était rare à New-York. N’importe quelle personne lambda recevrait une bordée d’insulte si elle restait comme cela, à occuper une partie du trottoir. Les gens dans cette ville étaient pressés.
Décidément, quelque chose clochait, ou bien devenait-elle folle à cause du surmenage. Étant une habituée du café, mais n’ayant jamais échangé avec ses tenanciers plus que nécessaire, elle puisa en elle le courage de demandé à la barista si elle aussi voyait cet homme.
« – Bien sûr, en faite il vient toujours quand vous êtes là. D’ailleurs, avec les collègues, on se demande s’il ne vous harcèle pas.
- Depuis environ deux semaines, ce type m’observe à chaque fois que je bois mon café.
- Vous voulez que j’envoie quelqu’un lui parler ?
- Vous pouvez faire ça ?
- Oui, Swan, vous savez notre serveur.
- Je ne voudrais pas que ça dégénère.
- Swan est gentil mais il ne faut pas trop le chercher, ne vous inquiétez pas pour lui. Swan ?!
- Ouai ?
- Tu sais le type louche qui vient quand Eva… excuse-moi, ça ne vous dérange pas que j’vous appelle Eva ?
- Non aucun soucis mais…
- Pourquoi tu m’as appelé ?
- Le type qui se ramène à chaque fois qu’Eva vient, tu ne voudrais pas lui demander d’arrêter son manège ?
- Il vous harcèle ?
- Je ne sais pas si on peut appeler ça du harcèlement mais… il est toujours là quand je viens.
- Ouai, on avait remarqué ça, j’vais lui demander ce qu’il cherche à la fin. »
Swan enleva son napperon, remonta ses manches de chemises et sortit tout de go.
Les deux femmes regardèrent par la vitre ce qui allait se passer.
La mystérieuse personne était planté là, et ne vit pas tout de suite que Swan s’avançait vers lui. Il sembla sursauter aux paroles de Swan. Ce dernier faisait de grands gestes en indiquant le café. L’autre restait immobile, Swan se rapprocha de son visage, et semblait avoir haussé le ton car les passants se retournaient vers eux.
D’un coup vif, la personne poussa le brave Swan puis partit en courant. Le serveur se releva, il jeta un regard vers le café, incrédule. Il se releva pour partir à sa poursuite mais Marlène et Eva étaient sorties et lui crièrent de revenir. Ce qu’il fit.
« – Quel fou ! Il est dangereux ce type ! J’appelle les flics ! Dit Swan
- Non c’est pas la peine…
- Si Eva ! Il a agressé Swan et puis vous pourrez leur dire qu’il n’arrête pas de vous harceler.
- Ce n’est pas vraiment du harcèlement…
- Si ! Éructa Swan.
- Est-ce un homme ou une femme ?
- J’en sais rien, le type est camouflé avec son chapeau et ses lunettes. Il ou elle a fourré son visage dans le col de son trench-coat quand je l’ai apostrophé.
- Encore un tordu.
- N’appelez pas la police s’il vous plaît, j’ai trop de travail, trop de choses à faire. Il ne m’embête pas, il me regarde juste. Appelez-les parce qu’il vous a agressé mais ne leur parlais pas de moi.
- Si je ne leur parle pas de vous, ils vont me demander pourquoi je suis allé à sa rencontre.
- Ne les appelez pas. Plaida Eva.
- D’accord. Tout compte fait c’est mieux comme ça. Si jamais il revient, je lui rendrai la monnaie de sa pièce !
- Non Swan non ! On va avoir quelle réputation nous après ?
- Mieux vaut que nous ayons une mauvaise réputation qu’Eva finisse dans le caniveau, sans vie. »
Swan rentra dans le café, agité. Il rattacha son napperon et partit dans l’arrière-boutique.
« – Vous prendrez quoi ?
- Ah… comme d’habitude Marlène. »
Les deux femmes rentrèrent. Marlène se dirigea vers ses machines à café et Eva s’installa à sa place habituelle, légèrement inquiète de ne plus voir son admirateur. Elle s’était habituée à sa présence.
Marlène lui servit son café. Eva sortit son Moleskine et à son grand bonheur, réalisa qu’il y avait longtemps qu’elle n’avait pas dessinée autre chose que l’étrange personnage depuis des semaines.
Un mois plus tard, Eva venait toujours à son café. Son admirateur n’était pas revenu. Le mystère de sa présence la hantait encore. Elle faisait ce songe la nuit où cette personne rentrait dans le café, s’asseyait en face d’elle, et malgré les questions d’Eva sur son identité, l’admirateur ne répondait pas. Quand Eva montait le ton, il se levait de sa chaise et partait en courant. La jeune femme se réveillait en sueur.
Tout le mois, elle put dessiner et s’inspirer des passants de la rue comme avant, sauf qu’elle ne dessinait plus autant. Son regard se posait sur le mur ou s’adossait habituellement son « prédateur » comme l’avait surnommé Swan. Elle était devenue proche des employés du café. Restant parfois plus longtemps que d’habitude pour faire un brin de causette. Elle avait même le droit à des tasses de café à l’œil. Tous les jours, pourtant, le sujet du prédateur revenait sur le tapis. Eva voulait savoir si Marlène, ou Swan, avaient vu cette personne dans les parages. Et depuis un mois, la réponse était non.
Un soir qu’elle rentra dans son appartement, elle découvrit dans sa boîte aux lettres une enveloppe, pas d’adresse, ni de timbre. Quand elle l’ouvrit, elle trouva 1 000 $ et un mot griffonné sur un bout de papier froissé : « Pour tes débuts dans l’industrie de la mode. D’autres coupures arriveront. Signé : ton ‘prédateur’ »
Abasourdie par les billets et le mot, elle se laissa choir sur son canapé. Il ou elle était de retour, connaissait son adresse et surtout, son plus grand rêve.
C’était forcément quelqu’un qu’elle connaissait, où qu’elle avait connue. Elle fit mentalement le tour des personnes qui pouvait être se cacher derrière ce personnage. Ses collègues, ses anciennes amies de la Fac, ses anciens petits amis, des stagiaires, l’entourage de sa patronne. Elle cherchait un profil, celui typique de la personne discrète mais toujours là. La personne qui faisait peur à tout le monde par son silence et ses attitudes étranges. À la fac, il y en avait une bonne poignée, de ces gens-ci, mais aucun qui ne pouvait la connaître et elle n’en avait fréquenté aucun.
Au travail, le profil s’étoffa, elle pouvait y mettre les traits de caractères dominants dans son milieu, la jalousie et les rivalités. Mais cela ajouta beaucoup trop de personne à sa liste mentale de suspects.
Le stade de la lettre non timbré, donc juste déposée dans sa boîte aux lettres, était préoccupant, car la personne savait exactement où elle vivait, elle s’était même déplacée.
« Peut-être devrai-je appeler la police » pensa-t-elle. Car la personne, maintenant,semblait proche. Trop proche. Mais que leur dire ? Que feraient-ils ? Que pourraient-ils faire ? La croiraient-ils ?
Trop d’inconnus. Elle ne pouvait qu’avertir ses proches et ses amis du café qu’il était revenu. Sa famille réagirait avec empressement, mais elle couperait court à leurs inquiétudes tout en étant franche avec eux. Elle avertirait aussi sa patronne, bien qu’elle se doutait qu’elle s’en ficherait pas mal. Mais il fallait que le plus de monde possible sachent, au cas où…
Quand sa famille fut avertie, elle eut droit à une vague d’inquiétude. Sa mère ayant même appelé la police qui lui répondit qu’ils ne pouvaient rien faire, c’était à leur fille de le signaler. Marlène et Swan furent, eux aussi, inquiets de la tournure que cela prenait.
Mais c’est en parlant à sa patronne que la chose prit une tournure surprenante.
« – Attendez Eva ! Quoi ?
- Je suis… harcelée par une personne.
- Oui, ça j’ai compris, mais il ressemble à quoi cet homme ?
- Je ne sais pas si c’est un homme.
- Mais il ressemble à quoi ?
- Il porte toujours un trench-coat, un chapeau et des bottes de ville.
- C’est pas possible !
- Madame ?
- Mais non !
- Vous avez un problème madame ?
- Eva dite moi… cet homme… il vous a contacter ? Il vous a donné de l’argent pour votre carrière ?
- Oui comme je vous l’ai dit…
- Non ! Non ! Je refuse que… n’acceptez jamais son invitation ni son argent !
- Mais vous le connaissez ?
- Oh oui je le connais ! Et je refuse. Oui je refuse que vous vous mettiez en contact avec lui !
- Je n’ai jamais parlé avec lui… mais qui est-ce madame ?
- Vous n’avez pas besoin de le savoir, ne le contactez pas c’est tout ce que je vous… consei… je vous l’interdît !
- Mais… dites-moi moi ce que tout cela signifie !
- Écoutez, ignorez-le.
- C’est ce…
- Écoutez, j’ai… un changement d’agenda, je dois… aller… faire quelque chose. Rentrez chez vous et surtout restez-y… enfin je veux dire n’y allait pas… enfin. Allez, du balai laissez-moi. Vous êtes en repos aujourd’hui.
- Mais…
- Pas de question, allez ! »
Eva rentra chez elle, jetant des coups d’oeil à chaque coin de rue, à chaque fenêtre. En rentrant chez elle, elle découvrit une nouvelle enveloppe. Non timbrée, sans adresse. Elle hésita à l’ouvrir mais quelque chose la poussa à satisfaire sa curiosité, surtout depuis que sa tyrannique patronne semblait connaître cette inconnu.
En plus d’une autre coupure de billets, la jeune femme sortie une lettre de l’enveloppe.
« Ma chère Eva ;
Votre tour est venu de prendre la relève ! Je vous invite à me rejoindre au 75 street Corner vers 21 h. Entrez dans le vieux pub appelé « Le Trèfle », demandez au barman un « cocktail de jus de citron vert bien épicé ». Il vous demandera de le suivre. Suivez-le sans crainte. Il vous mènera jusqu’à moi. Là, vous aurait les réponses à vos questions.
Je comprends que vous ayez peur. Je ne peux que vous rassurer et vous dire que tout se passera bien. Je ne vous veux aucun mal. Au contraire, je pense vous aider pour votre carrière et votre futur.
Venez seule surtout.
Je vous offre une opportunité. Nous aurons amplement l’occasion d’en discuter.
Ayez confiance et n’écoutez pas votre patronne, Madame Wintord. Je ne vous veux aucun mal.
Sincèrement.
Votre ‘predateur’. »
Eva posa la lettre après l’avoir relue trois fois.
Étonnamment, elle n’avait plus peur, en faite, elle l’aurait été si sa patronne n’avait pas été si alarmé par cette situation. Jamais elle ne l’avait vue si angoissée, stressée, à deux doigts de perdre contrôle. Venant d’une femme qui depuis trois ans n’avait jamais exprimée autant de peur qu’aujourd’hui, quelque chose en elle l’a poussé à avoir le fin mot de cette histoire.
Elle attendit seule 20h30. L’attente avait été presque insupportable, la jeune femme n’avait prévenu personne.
La jeune femme s’habilla confortablement, pas de talons, pas de robe. Parce qu’il lui faudrait peut-être être à l’aise en cas de pépin et pouvoir détaler rapidement.
Elle fit le chemin à pied, la nuit était tombée. Les rues restaient animées. Les gens faisaient la fête ou flânaient. Eva était, dans ses ruelles, la seule personne pressée.
Elle trouva le pub du « Trèfle », un petit bar dont l’entrée était sous la chaussée de la route, chose habituelle dans cette grande, vielle, mais moderne ville.
La jeune femme entra et se sentie dépaysée par le décor, très champêtre, typiquement irlandais, du pub.
Les quelques clients la regardèrent puis se détournèrent vivement. Eva se dirigea vers le barman, petit homme enrobé, les cheveux clairs, des yeux bleus perçants et fatigués, qui l’accueillit en lui demandant ce qu’elle désirait.
Eva paniqua quelque seconde, ne se rappelant plus ce qu’elle devait lui dire. Elle balbutia quelques mots avant de se ressaisir.
« Je voudrais un cocktail de citron vert bien épicé. »
À ces mots, le barman la regarda droit dans les yeux, la surprise s’afficha sur son visage le temps d’une seconde, puis, posant son torchon, il lui demanda à voix basse de le suivre.
L’irlandais l’emmena dans ce qui semblait être une terrasse, ils la traversèrent pour descendre un escalier. Arrivé devant une porte en bois massif, le barman sortit son trousseau et ouvrit la porte qui grinça bruyamment.
« – Veuillez entrer. »
Eva hésita, mais devant le regard sévère de l’irlandais, elle se sentit gênée de le déranger et de le faire attendre. Elle passa le seuil de la porte qui se referma violemment derrière elle, la serrure faisant retentir sa sinistre musique. Pas de retour possible.
Plongé dans les ténèbres, la lumière s’alluma brusquement. Eva vit où elle se trouvait, comme un immense parking souterrain dont on ne voyait pas la fin. Les murs étaient peints d’un gris métallisé et propres. La modernité détonnait comparée au pub très rustique.
Des immenses pilonnes en deux rangées, espacés régulièrement occupaient l’espace. Et une chaise avec une personne assise en plein milieu.
« – Donc tu es venue ! »
La voix raisonnée, c’était celle d’un homme.
« – Avance ma chère Eva avance. N’aie pas peur. C’est normal de l’être, mais ai confiance ! »
La voix était douce, aucune méchanceté ne semblait s’y loger, dans le ton et la manière de parler de l’homme.
Eva s’approcha lentement.
« – Je doutais que tu viendrais, vraiment. Mais je suis heureux. Cela me réconforte. J’ai encore fait le bon choix.
- Quel bon choix ?
- Approches ! On ne va pas se parler à dix mètres l’un de l’autre. Je te dois des explications. »
Eva accéléra le pas pour se retrouver enfin en face de l’homme, car enfin, elle eu la réponse à une de ses questions, c’était un homme, assez âgé d’ailleurs. Toujours habillé pareil. Il lui tendit la main.
« – Enfin, laisse-moi me présenter. Arthur Rockdweller.
- Arthur Rock…
- As-tu entendu parler de moi ?
- Vous êtes le milliardaire qui possède…
- Oui, enfin je ne suis pas qu’un milliardaire. Je suis heureux que tu connaisses mon nom !
- Peu de personne dans cette ville ne vous connaît pas.
- Sûrement… sûrement. À ma chère Eva ! Enfin ! Le temps est venu…
- Que me voulez-vous à la fin ? Je commence à être… fatiguée de toute cette histoire.
- Assieds-toi si tu le désires.
- Non…
- Si tu as envie pendant que je te parle n’hésite pas.
- Ok…
- Je vais mettre un terme à tout cela. Commençons par le commencement !
- Ça serait… logique…
- J’aime votre caractère !
- Merci… je présume.
- Votre patronne. Anna Windtord vous a-t-elle parlée de moi ?
- Elle m’a dit de ne pas me…
- Oui, elle t’a ordonné de ne jamais me rencontrer. Je le sais, je m’en doute. Aimes-tu ta patronne Eva ?
- Évidemment…
- Mensonge ! Elle est tyrannique !
- Oui…
- Je ne pensais pas qu’elle finirait comme ça quand elle était à ta place…
- Comment ?
- Nous en venons au dénouement. Vois-tu, Anna était comme toi, passionnée de mode, intelligente, travailleuse, douée. Je l’ai invité ici, au même endroit, il y a de ça environ 30 ans. J’étais déjà milliardaire, je contrôlais, et contrôle encore d’ailleurs, presque tous les journaux de la ville, j’avais et je possède encore les lieux mondains, fréquentés par tout le gratin huppé de cette ville et même du monde. Bars, restaurants, buildings d’affaires en tout genre, concessionnaire, magasins de luxe et tutti quanti. Mais pour ces derniers, il me manquait quelqu’un de confiance qui m’aiderait à m’installer durablement dans le milieu, me donnant de la crédibilité, que je pourrais… contrôler, sans jamais entraver le talent. Il y a de cela plusieurs décennies, j’ai jeté mon dévolu sur Anna. J’ai testé sa patience et sa personnalité tout comme je l’ai fait pour vous. J’aime m’engager personnellement envers les personnes que je recrute. Elle a tenu deux semaines. Deux semaines où je l’ai suivis partout jusqu’à ce qu’elle appelle la police. Évidemment, j’ai quelques contacts avec eux et je n’eus jamais de problème. J’aime m’amuser, j’ai trouvé qu’être suivie pendant deux semaines avant de craquer était un signe de… courage, d’abnégation, de compréhension. Je l’ai invité, ici même, il y a trente ans pour lui proposer l’argent et les locaux nécessaires pour devenir la prochaine grande créatrice de mode. Elle a acceptée. Tout s’est déroulé comme je le souhaitais jusqu’à ces dernières années. Je dirais il y a dix ans. Elle a pris beaucoup trop de liberté à mon goût, se comportant ignominieusement avec ses subalternes, imbue d’elle-même, s’amusant à torturer ses employés. Elle est devenue mutli-millionaire et pensait que le monde était à elle. Elle a oublié qui lui avait mis le pied à l’étrier. Qui l’avait aidé à commencer. Moi ! Je ne demandais rien à Eva, juste qu’elle continue à faire ce qu’elle sait faire de mieux, et de garder la tête froide, rester concentrée et passionnée. J’ai… plus ou moins attachés mon nom à son succès dans les soirées mondaines et très privées de mon cercle. Sauf que son comportement me fait honte maintenant. Depuis plus de dix ans, je cherchais quelqu’un de sa trempe pour la remplacer… disons… la concurrencer. Et je t’ai trouvé toi. Évidemment, elle avait flairé ton talent, pire, elle a essayé de te dompter, de te manipuler, de gâcher ton temps, de t’humilier. Mais j’ai décidé de te tester. Tu es resté beaucoup plus longtemps à me laisser te suivre. Pas de police non, mais un barista a essayé de me régler mon compte. Je ne t’en veux pas, c’étaient les règles du jeu. Et… vraiment… tu es une femme que j’admire. Comme Anna avait pu l’être et même mieux. Voici donc pourquoi tu es là. Je te propose autant d’argent que tu as besoin, des locaux et je veux que tu construises ton empire. Bien sûr, comme Anna, tu le dirigeras comme tu le voudras mais en tâchant de garder un comportement irréprochable. Ne gâche pas ton talent et ton travail à faire le mal autour de toi. Restes dignes et humbles. Donc… je te le propose maintenant. Veux-tu de mon argent, de mon influence, pour lancer ta carrière ? Je ne te demanderai strictement rien, excepté de faire aussi bien que tu le peux, de dépasser la maison de création d’Anna, et de demeurer digne. Et de ne pas oublier que… d’une manière ou d’une autre, nous serons liés, chaque chose que tu feras affectera ma réputation. Et vice-versa évidemment. Acceptes-tu ? »
Eva, abasourdie par ce long monologue, ne put trouver les mots pour répondre.
« – Tu peux réfléchir quelque minutes si tu le désires…
- Je pense que je devrais réfléchir quelque jours…
- Quelques jours Eva ? Vraiment ? Nous n’avons pas le temps, le temps sera la ressource la plus importante pour toi.
- J’ai l’impression de…
- Signer un pacte avec le diable ? Je m’en doutais. Écoute, tu n’as rien à signer. Si tu voulais un jour commencer ta propre maison de création, tu aurais à signer avec une banque, qui eux… ne te louperaient pas. Je te propose l’argent, l’influence, et aucune contrepartie sauf de mettre tout ton talent à profit de ta maison.
- C’est… une caméra cachée ?
- Vraiment ? Tu crois que je n’ai que cela à faire ?
- Non mais c’est tellement… hallucinant.
- Cette ville est hallucinante ! C’est la faute à cette ville ! »
Anna ferma les yeux et pensa à ce que sa mère lui dirait, écouter son instinct. Et son instinct lui disait qu’il fallait saisir cette opportunité. Jamais plus elle n’en aurait une autre comme celle-ci.
« – Oui…
- Oui quoi ? Eva ça veux dire que tu es d’accord ?
- Allons-y !
- C’est ça ! Exactement ce que je désirais entendre ! »
À ce moment, Eva sentit sa vie changer. Elle serra la main de son bienfaiteur puis une personne arriva, sa secrétaire, puis un homme, son attaché de presse et une jeune femme aussi jeune qu’elle, son assistante. Elle sortit par une porte différente de celle par où elle était entrée. Une limousine l’attendait qui l’amena au pieds d’un gratte-ciel. Après être passée par des couloirs et un ascenseur, elle découvrit un espace immense organisé en bureaux, salle de réunions et tous les outils pour mener à bien une maison de création de mode.
Elle avait l’impression de connaître ces lieux avant de découvrir que ses locaux étaient situés en face de la maison de création d’Anna.
« – La folie de cette ville et de son argent… Potentia, Quinta… non… Domina. Agnès… notre maison, notre marque s’appellera : Domina. »
Jaskiers