La loterie nucléaire – Chapitre 7

Sabine, assise sur un banc du quai avec son mari, regardait le train de Thomas partir. Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.

« – J’espère que c’est lui qui va se prendre une bombe !

  • Benjamin, arrête ! Aucune bombe ne va tomber sur ce train, ni sur le mien. Enlève-toi cette idée de la tête.
  • C’est comme ça que tu supportes tout ça toi aussi ?
  • De quoi tu parles chérie ?
  • Tu fais l’autruche, tu refuses de penser que ça peut t’arriver, ça n’arrive qu’aux autres.
  • Arrête un peu ! Réfléchis, on pourrait en recevoir une, ici, maintenant ! Pourquoi lâcher une bombe sur un train en partance pour la campagne ? Ce serait plus logique qu’ils nous en balancent une sur la gare !
  • J’avoue que tu n’as pas tort sur le coup…
  • Évidemment. Mais il ne faut pas penser à ça, on a une vie à vivre, tous les tro… deux !
  • Si on en reçoit une dans les secondes qui suivent, au moins, on mourra ensemble.
  • Assez ! Assez, tu vas mal Benjamin ! Je vais rester.
  • Non, non ! Va dire au revoir à ta grand-mère ! Ne laisse pas cette époque de fou te priver de ce moment… même si c’est pas un moment très joyeux. Mais assister à l’enterrement d’un proche, c’est humain, normal. Tu dois y aller.
  • Si tu me promets de travailler sur ton anxiété.
  • Je vais me mettre à picoler comme tous mes collègues.
  • Arrête tes conneries ! Non, dès que je reviens, je demanderai le numéro d’un thérapeute à une amie qui avait le même genre de problème que toi.
  • Mais quel problème ? Est-ce un problème d’avoir peur de perdre ma femme ?
  • Non, mais c’est un problème de voir la mort partout !
  • Mais c’est l’époque qui veut ça ! J’y peux rien ! On baigne constamment dans la peur !
  • C’est exactement ce que veut l’ennemi !
  • Arrête de parler d’ennemi ! C’est pas les voisins d’à côté le problème ! C’est ceux qui se font de l’argent sur tout ça ! Suis l’argent ma chérie, il mène toujours à la vérité !
  • Je crois que tu as vraiment besoin d’aide… je peux rester, je suis ta femme et j’ai fait le voeux devant le Seigneur d’être à tes côtés dans les bons comme dans les mauvais moments.
  • Et moi je suis ton mari, je refuse de t’empêcher d’aller dire adieu à ta grand-mère. Je réfléchirai à ta proposition d’accord ?
  • Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde.
  • Je ne te promets rien, on ne peut rien promettre à cette…
  • Époque, oui, change de disque un peu ! »

Benjamin ne répondit pas, il venait tout juste de réaliser à quel point il avait été immature. Sa femme allait à l’enterrement de sa grand-mère, elle avait des jours difficiles moralement en perspective et lui avait complètement oublié la peine de sa femme.

Il approcha son visage du sien pour l’embrasser tendrement.

« – Désolé, je suis vraiment un con parfois. Mais c’est cette… non désolé j’arrête.

  • Très bien. Écoute, mon train arrive. Tu es sûr que tout ira bien ?
  • Oui ma chérie, j’en suis sûr. »

Elle regardait son mari, elle le trouvait beau, il y avait quelque chose dans sa manière de se mouvoir qui la rendait folle de lui. Sabine n’en voulait pas à son mari, elle avait vite appris à pardonner. On n’avait plus le temps d’en vouloir à son âme-sœur, le temps était un luxe, encore plus à cette époque.

Le train s’approcha lentement, s’arrêta et ouvrit ses portes automatiques. Quelques âmes en sortirent. Aucuns sourires, ils avaient tous l’air fatigué, abattus, démoralisés. C’était surtout des ouvriers, des cols bleus, ceux qui trimaient pour un salaire de misère, la guerre n’était pas la bonne époque pour épargner, ce n’était pas une bonne époque pour ceux en bas de l’échelle sociale. Même en temps de paix. Les riches devenant toujours plus riches, les pauvres plus pauvres, qu’importe l’époque, la politique, la paix ou la guerre.

Benjamin sentait encore une fois la colère monter en lui. Il venait de trouver, sortie de nulle part, quelque chose en lui qui pouvait amener les gens à la révolte. Mais il avait promis, c’était des enfantillages, aucun homme seul ne peut faire lever un peuple, surtout pas lui, employé de bureau bien payé à ne presque rien faire de la journée. Il laissa sa place de révolutionnaire à quelqu’un d’autre. Surtout que sa femme, qu’il trouvait magnifique avec ses jambes qui semblait ne jamais finir, s’approchait pour le baiser d’adieu.

Il s’embrassèrent longuement, amoureusement. Les derniers ouvriers sortirent, jetèrent un regard triste sur les mariés et continuèrent leur route.

Jaskiers

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La loterie nucléaire – chapitre 6

Sabine s’approchait de son mari et le tirait par la chemise.

« – Benjamin, calme toi merde ! On as pas besoin de ça, arrête ça tout de suite !

  • Laisse-moi ! J’aime pas qu’on parle dans mon dos, et j’aime encore moins que ceux qui le font n’aient pas le courage d’assumer ! Venez !
  • Arrête, tu vas attirer la sécurité avec tes conneries !
  • Sécurité ? Sécurité de quoi ? Rien que des planqués ! Qu’ils viennent et je leur dirai leurs quatre vérités !
  • Si tu continues, c’est moi qui vais les appeler !
  • Tiens donc !
  • Benjamin arrête ! »

Sabine avait lâché ses derniers mots avec autorité, comme une mère rappelant son fils difficile à l’ordre. Et Benjamin se retourna vers sa femme, passa son bras autour de ses épaules et l’emmena sur un banc. Il suffisait de parler à son mari comme une mère parlerait à son enfant pour le ramener à la raison. Complexe d’oedipe ou, là encore, l’explication se cache t’elle dans les recoins les plus reculés de notre instinct ?

Après ce moment de tension, retournons vers Thomas, qui avait enfin trouvé une place assise. Il avait assisté, mais pas entendu, l’altercation du couple avec les voyageurs sur le quai d’à côté, par la vitre contre laquelle il avait posé sa tête, l’alcool pesant sur le cerveau, sur les muscles et, trop imbibé, le corps miné a besoin de soutien.

« – L’amour, à cette époque ? Des projets ? Des enfants ? Une maison ? Les crédits ? Les disputes ? Les violences verbales et physiques ? Les enfants qui tournent mal ? Le divorce ? Les avocats ? Les coups bas ? Qui en sortira avec le plus d’argent ? La bataille pour la garde des gamins ? Une famille recomposée ? Non ! Peu pour moi, je cède ma place ! Jamais ! À cette époque croire en l’amour ? C’est niais. Croyez en une mort certaine, ça, tout le monde y passe, riche ou pauvre, idiot ou génie (les deux sont d’ailleurs parfois en une même personne, le génie de la connerie, et la connerie du génie), gros ou maigre, chômeur et travailleur, enfin… la liste pourrait continuer indéfiniment. Tiens… je me demande si ceux qui balancent les bombes arrivent à dormir et à se regarder dans la glace le matin. Ils sont sûrement chargés de drogues, ou ça ne m’étonnerais pas qu’ils soient manipulés jusqu’à croire qu’il joue à un jeu-vidéo. Je divague… J’ai envie de vomir mes tripes… Plus je vieillis, plus je picole et moins je tiens l’alcool… s’est pas normal ça. Sûrement un cancer, un truc au foie ou à l’estomac. Tiens, je devrai me mettre à fumer, histoire de viser le cancer du poumon ou de la gorge. J’aurai une chance de me voir mourir, de passer de l’autre côté, au lieu que ma vie finisse en un clin d’œil. Si on réfléchit bien, fumer et boire, c’est un peu comme un suicide lent. Ceux qui sautent d’une falaise ou se font sauter le caisson, eux, ils utilisent la manière rapide. Mais ils sont jugés, vilipendés, l’église ne veut pas célébrer leurs funérailles. Par contre, ceux qui, comme moi, se tuent à petit feu, on ne leur dit rien. C’est un suicide, plus long qu’une bastos dans la caboche mais, au final, c’est pareil. Quel monde étrange. Attends, n’est-ce pas du suicide de sortir de chez soi à notre époque ? Attends, pire, rester chez soi, c’est du suicide aussi ! Une bonbonne atomique ça te fait t’évaporer de la surface de la planète que tu sois dedans ou dehors. Non, le mieux c’est un bunker souterrain ! Mais c’est interdit, enfin je crois… J’évite de trop réfléchir. Ça demande des matériaux nécessaires à l’effort de guerre, ainsi que de la main d’œuvre et tout et tout… Plutôt qu’ils ne veulent pas provoquer la panique en disant que les abris anti-atomiques sont nécessaires… et, en filigrane, ils veulent surtout être sûrs que l’on crève. Ma pauvre petite dame, ne retiens pas la rage de ton bonhomme, laisse le déverser sa bile, ils ne nous restent pas longtemps à vivre, vivons pleinement, et surtout goulûment ! »

Comme à son habitude, Thomas avait pensé tout haut. Chaque passager dans son wagon étaient passés dans celui de devant ou de derrière après avoir entendu sa rente.

« – Je pari qu’il y en a un qui va baver aux autorités ! Je ne sais pas si les prisons sont ciblées par les bombardements… en fait, je n’ai jamais entendu parler d’une bombe ayant atterri sur un pénitencier… C’est peut-être une bonne planque ! Ça et bosser pour le gouvernement. Étrange époque, mais on s’y fait, l’être humain s’habitue à tout ! Et je dirais presque que je l’aime, cette période sombre… »

Le train de Thomas enclenche sa marche en avant, doucement, il quitte la gare. Il enlève sa tête de la vitre, les vibrations que provoque le contact de son cerveau éméché avec la vitre du wagon ne faisaient pas bon ménage avec son état. L’ingénieur ne peut s’empêcher de vomir sur le dos du siège en face de lui. Dégouté par l’odeur de son propre vomi, mais se sentant déjà mieux, il déambula dans le wagon à la recherche d’un siège plus confortable. Il le trouva, s’affala dessus et allongea ses jambes sur le siège de devant. Si un contrôleur passait, il aurait été bon pour une bonne réprimande. Mais pour ça, le valeureux contrôleur aurait dû le réveiller. Et le sommeil d’un homme qui cuve est profond. Parfois le sommeil se transforme en coma.

Jaskiers

La loterie nucléaire – Chapitre 2

Benjamin avait beau jouer le dur, faire mine de ne pas être inquiet, elle voyait dans ses traits l’inquiétude. Plus que les traits, l’attitude, les coups d’œil vifs vers le ciel d’un bleu azur vif, les crispations brèves des lèvres, les mains moites dévoilaient la tension nerveuse de son mari.

« – Benny, tout se passera bien, arrête de t’inquiéter.

  • Je peux pas m’en empêcher… désolé. Ça aurait été plus simple si j’avais pu t’accompagner.
  • Tu n’as jamais vu ma grand-mère et puis, ton boulot passe avant. C’est un peu rustre de la dire mais tu le sais, on ne peut pas se permettre un jour de congé tous les deux en même temps.
  • Oui, je sais. Mais c’est comme ça, tu serais sûrement pareil à ma place non ?
  • Oui, mais regarde, les risques sont minimes !
  • C’est toujours quand on s’y attend le moins que le malheur nous tombe sur la tronche.
  • J’ai marié un éternel pessimiste !
  • Et moi une éternelle optimiste !
  • Les opposés s’attirent… enfin je crois que c’est comme ça qu’on le dit.
  • Et un philosophe en plus !
  • Et une comique en plus ! »

Pendant ce temps-là, dans la même gare mais sur un autre quai, Thomas, ingénieur, célibataire et alcoolique invétéré attendait son train pour Bradpost. Une certaine mission de vérification des armements, ou quelque chose comme cela, il ne se rappelle plus vraiment ce que disait le courrier qu’il avait reçu du ministère de la guerre hier matin. Il avait ouvert l’enveloppe avec une gueule de bois terrible, qu’il atténua avec deux bons verres de whisky. Tout ce qu’il avait retenu, c’était qu’il était attendu à l’Ouest, dans une base arrière. Un militaire gradé l’attendrait sur le quai pour l’emmener au site en question.

Thomas n’était pas un militaire, juste un ingénieur civil dans l’aéronautique qui avait atteint doucement mais sûrement la cinquantaine. D’ailleurs, c’était peut-être pour cela qu’il buvait tant. Il regrettait cette jeunesse et cette vie passée trop vite, pourrie par la guerre mais remplie d’histoires de cuite et de soirées délirante dans la capitales. La même chose lui était arrivée à quarante ans. La fameuse crise de la quarantaine, celle qui vous fait regarder en arrière plutôt qu’en avant. Qui vous montre les choses que vous avez manqué et que vous avez raté. Le futur ? Dans le cas de Thomas, il le voyait sombre. Cette guerre stupide, dont tout le monde semblait avoir oublié la raison pour laquelle elle avait commencé, continuait, elle semblait sans fin.

La planète suffoquait, en temps de paix, elle était déjà très mal en point, mais, avec les retombées radioactives, il n’y avait maintenant plus de retour en arrière possible, aucune possibilité de minimiser les dégâts. Tout le monde suffoquait, la faune et la flore dépérissaient à un rythme terrifiant.

D’ailleurs, depuis quelques années, le gouvernement avait commencé à fournir gratuitement des masques à gaz à tous les citoyens. Aucune obligation de le porter, après tout, aux infos, on signalait que le pays de Thomas gagnait, c’est que les attaques ennemis étaient moins puissantes et moins destructives que celle de ses leaders. Mais Thomas avait beau avoir les idées embrouillées, il a compris là que c’était le début de la fin. Les masques à gaz pouvaient être fournis avec des petites bonbonnes d’oxygène. C’étaient aussi des masques à oxygen. Cela se passe de mot. Respirer l’air pur était devenu dangereux, mais tout le monde s’en fichaient. Si le gouvernement avait décrété que les masques et bonbonnes n’étaient pas obligatoires, c’était pour une raison, celle évoquée plus haut ; on gagnait.

Jaskiers

Humain avant tout | Brother In Arms

https://youtube.com/watch?v=9ykZc5E6UEE

These mist covered mountains
Are a home now for me
But my home is the lowlands
And always will be
Someday you’ll return to
Your valleys and your farms
And you’ll no longer burn to be
Brothers in arms

Through these fields of destruction
Baptisms of fire
I’ve witnessed your suffering
As the battle raged high
And though they did hurt me so bad
In the fear and alarm
You did not desert me
My brothers in arms

There’s so many different worlds
So many different suns
And we have just one world
But we live in different ones

Now the sun’s gone to hell and
The moon’s riding high
Let me bid you farewell
Every man has to die
But it’s written in the starlight
And every line in your palm
We’re fools to make war
On our brothers in arms

Source:lesoir.be

Jaskiers

Qui de l’Homme ou de l’animal… | Zombie

https://youtube.com/watch?v=6Ejga4kJUts

Another head hangs lowly
Child is slowly taken
And the violence, caused such silence
Who are we mistaken?

But you see, it’s not me
It’s not my family
In your head, in your head, they are fighting
With their tanks, and their bombs
And their bombs, and their guns
In your head, in your head they are crying

In your head, in your head
Zombie, zombie, zombie-ie-ie
What’s in your head, in your head
Zombie, zombie, zombie-ie-ie, oh

Do, do, do, do
Do, do, do, do
Do, do, do, do
Do, do, do, do

Another mother’s breaking
Heart is taking over
When the violence causes silence
We must be mistaken

It’s the same old theme
Since nineteen-sixteen
In your head, in your head, they’re still fighting
With their tanks, and their bombs
And their bombs, and their guns
In your head, in your head, they are dying

In your head, in your head
Zombie, zombie, zombie-ie-ie
What’s in your head, in your head
Zombie, zombie, zombie-ie-ie
Oh oh oh oh oh oh oh, ay, oh, ya ya

Source:slate.fr

Jaskiers