
Ça a bataillé sec pour ces tubes. Les premiers jours ont été violents, il y a eu des morts, des estropiés. Mais cela ne dura pas longtemps. Non pas que les Sans-Riens soient revenus à la raison et décidèrent que chacun pourrait passer une nuit pour laisser sa place à quelqu’un d’autre la nuit d’après. Non, mon instinct avait raison, le Gouvernement avait bel et bien un plan, et il avait décidé de jeter l’éthique, le respect de l’être humain une bonne fois pour toutes.
C’est pour cela que vous lisez ces lignes, je m’apprête à venger les miens, à me venger moi-même. Je n’aurai pas le temps de vous dire si la vengeance est cathartique ou inutile, mais, je vous expliquerai cela plus tard, à la fin, sûrement.
Mais qu’est-ce que ces caissons nous ont-ils fait à la fin ?
Les premiers jours où les Sans-Riens avaient passé leurs nuits dans ces tubes, rien de spécial, excepté, évidemment les batailles sanglantes, ne s’était passé. Ceux qui avaient eu l’opportunité de passer quelques nuits à l’intérieur étaient heureux, et encore plus déterminés à garder ce privilège pour leur petite personne.
Ce n’est qu’au bout de deux semaines que les choses prirent une tournure que je qualifierais de crime contre l’humanité.
Les privilégiés disparurent. Tout le monde savait qui dormait dans un caisson, ces personnes étaient devenus des chef(fe)s, des leaders, des personnes que certains admirés, à qui beaucoup léché les bottes pour, peut-être un jour, avoir la chance de passer ne serait-ce que quelques minutes dans ces engins. C’était aussi dangereux d’en être propriétaire, les démunies suivaient ces privilégiés, tentant parfois de leur trancher la carotide, de les piéger, pour prendre leur place.
Et une nuit, les caissons s’ouvrirent d’eux-mêmes sans aucune âme à l’intérieur.
Vous pourriez penser que ce n’était qu’un événement anodin, mais laissez moi vous expliquer pourquoi ça ne l’était pas.
Tout d’abord, un Sans-Rien quittant cet abri de luxe, en plein milieux de la nuit, sans que personne ne le voit, été impossible. Comme je vous l’ai expliqué, les caissons attiraient la convoitise de tout le monde. Plusieurs personnes étaient autour, quelqu’un aurait vu l’occupant sortir. Une information qui paraît anodine mais dont vous vous êtes sûrement fait la réflexion à l’instant, il y avait possibilité de faire ses besoins naturels dans le tube. Le caisson, rappelez-vous, a une hauteur de près de deux mètres et quarante centimètres. Même s’il fallait une certaine souplesse, il suffisait d’ouvrir un hublot qui cachait un bidet et faire vos besoins. Donc non, personne n’avait à sortir du tube pour quoi que ce soit.
Mais ce n’est pas là le meilleur argument pour prouver que cette situation était étrange, la meilleure, c’était que toutes les personnes qui avaient dormi cette nuit-là, dans le caisson avaient disparu.
Aucune trace de leur présence. Les propriétaires avaient aménagé à leur grès l’intérieur de leur havre. Certains, surtout les leaders de gang, avaient gravé ou tagué leurs initiales ou les symboles de leur clan à l’extérieur et à l’intérieur de leur possession.
Mais en une nuit, c’était comme si le caisson, à l’intérieur, n’avait jamais accueilli quelqu’un. Tout était propre, sans gravure ni graffiti, pas d’effets personnels. Ils s’étaient évaporés.
Jaskiers