La loterie nucléaire – Chapitre 8

Sabine se demandait si c’était le bon moment pour annoncer la grande nouvelle à son homme. Mais non, tout bien réfléchi, ce n’était pas le bon moment. Annoncer cette surprise puis partir, ce serait tout gâcher. Et Benjamin était trop stressé pour encaisser positivement cette nouvelle. Quoique… cela aurait put lui faire un électrochoc, guérir son mal-être, sa haine de la société et de la guerre… mais non, à son retour, quand tout serait calme, ce serait le moment idéal pour l’annoncer.

Encore un long baiser, peu de mots échangés, il semblait que tous les deux étaient à court de mots.

Un bref ‘Je t’aime’ émit par chacun, des mains enlacés qui se séparent, la porte automatique du wagon de Sabine se referma.

Le train émit quelques sons mécaniques, martiaux, puis commença à démarrer.

Les deux amoureux se regardèrent par la vitre, ils ne se quittaient pas des yeux. Benjamin lui envoya un dernier geste d’amour, sa femme lui répondit de même. Le train prit de la vitesse, l’angle dans lequel il s’engagea empêcha les deux tourtereaux de se voir.

« – Ca y est. Elle est partie. »

Sabrina perdit de vue son homme, elle espérait qu’il l’avait vue lui envoyer un baiser, mais l’angle était déjà trop étroit pour voir le dernier geste d’amour de sa femme.

Une larme coulait sur la joue gauche de Sabrina, une lame coulait sur la joue droite de Benjamin, chacun étant persuadé que l’autre pleurait à chaudes larmes.

« – Ce n’est qu’une question d’un week-end… un week-end. » Pensait Benjamin qui quittait lentement, comme abattue et abasourdie, le quai et la gare.

Il se dirigeait en direction de sa voiture, quand l’alarme d’alerte nucléaire lâcha son cri strident et aigu.

Jaskiers

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La loterie nucléaire – Chapitre 7

Sabine, assise sur un banc du quai avec son mari, regardait le train de Thomas partir. Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse à l’horizon.

« – J’espère que c’est lui qui va se prendre une bombe !

  • Benjamin, arrête ! Aucune bombe ne va tomber sur ce train, ni sur le mien. Enlève-toi cette idée de la tête.
  • C’est comme ça que tu supportes tout ça toi aussi ?
  • De quoi tu parles chérie ?
  • Tu fais l’autruche, tu refuses de penser que ça peut t’arriver, ça n’arrive qu’aux autres.
  • Arrête un peu ! Réfléchis, on pourrait en recevoir une, ici, maintenant ! Pourquoi lâcher une bombe sur un train en partance pour la campagne ? Ce serait plus logique qu’ils nous en balancent une sur la gare !
  • J’avoue que tu n’as pas tort sur le coup…
  • Évidemment. Mais il ne faut pas penser à ça, on a une vie à vivre, tous les tro… deux !
  • Si on en reçoit une dans les secondes qui suivent, au moins, on mourra ensemble.
  • Assez ! Assez, tu vas mal Benjamin ! Je vais rester.
  • Non, non ! Va dire au revoir à ta grand-mère ! Ne laisse pas cette époque de fou te priver de ce moment… même si c’est pas un moment très joyeux. Mais assister à l’enterrement d’un proche, c’est humain, normal. Tu dois y aller.
  • Si tu me promets de travailler sur ton anxiété.
  • Je vais me mettre à picoler comme tous mes collègues.
  • Arrête tes conneries ! Non, dès que je reviens, je demanderai le numéro d’un thérapeute à une amie qui avait le même genre de problème que toi.
  • Mais quel problème ? Est-ce un problème d’avoir peur de perdre ma femme ?
  • Non, mais c’est un problème de voir la mort partout !
  • Mais c’est l’époque qui veut ça ! J’y peux rien ! On baigne constamment dans la peur !
  • C’est exactement ce que veut l’ennemi !
  • Arrête de parler d’ennemi ! C’est pas les voisins d’à côté le problème ! C’est ceux qui se font de l’argent sur tout ça ! Suis l’argent ma chérie, il mène toujours à la vérité !
  • Je crois que tu as vraiment besoin d’aide… je peux rester, je suis ta femme et j’ai fait le voeux devant le Seigneur d’être à tes côtés dans les bons comme dans les mauvais moments.
  • Et moi je suis ton mari, je refuse de t’empêcher d’aller dire adieu à ta grand-mère. Je réfléchirai à ta proposition d’accord ?
  • Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde.
  • Je ne te promets rien, on ne peut rien promettre à cette…
  • Époque, oui, change de disque un peu ! »

Benjamin ne répondit pas, il venait tout juste de réaliser à quel point il avait été immature. Sa femme allait à l’enterrement de sa grand-mère, elle avait des jours difficiles moralement en perspective et lui avait complètement oublié la peine de sa femme.

Il approcha son visage du sien pour l’embrasser tendrement.

« – Désolé, je suis vraiment un con parfois. Mais c’est cette… non désolé j’arrête.

  • Très bien. Écoute, mon train arrive. Tu es sûr que tout ira bien ?
  • Oui ma chérie, j’en suis sûr. »

Elle regardait son mari, elle le trouvait beau, il y avait quelque chose dans sa manière de se mouvoir qui la rendait folle de lui. Sabine n’en voulait pas à son mari, elle avait vite appris à pardonner. On n’avait plus le temps d’en vouloir à son âme-sœur, le temps était un luxe, encore plus à cette époque.

Le train s’approcha lentement, s’arrêta et ouvrit ses portes automatiques. Quelques âmes en sortirent. Aucuns sourires, ils avaient tous l’air fatigué, abattus, démoralisés. C’était surtout des ouvriers, des cols bleus, ceux qui trimaient pour un salaire de misère, la guerre n’était pas la bonne époque pour épargner, ce n’était pas une bonne époque pour ceux en bas de l’échelle sociale. Même en temps de paix. Les riches devenant toujours plus riches, les pauvres plus pauvres, qu’importe l’époque, la politique, la paix ou la guerre.

Benjamin sentait encore une fois la colère monter en lui. Il venait de trouver, sortie de nulle part, quelque chose en lui qui pouvait amener les gens à la révolte. Mais il avait promis, c’était des enfantillages, aucun homme seul ne peut faire lever un peuple, surtout pas lui, employé de bureau bien payé à ne presque rien faire de la journée. Il laissa sa place de révolutionnaire à quelqu’un d’autre. Surtout que sa femme, qu’il trouvait magnifique avec ses jambes qui semblait ne jamais finir, s’approchait pour le baiser d’adieu.

Il s’embrassèrent longuement, amoureusement. Les derniers ouvriers sortirent, jetèrent un regard triste sur les mariés et continuèrent leur route.

Jaskiers

La loterie nucléaire – Chapitre 5

« – Bon, tu veux attendre le départ ou on se laisse tout de suite ?

  • C’est toi qui vois ma chérie.
  • Non, moi je m’en fou. T’es sûr que ça va aller ?
  • Oui, il faut bien que tu ailles dire au revoir à ta grand-mère. Je ne veux surtout pas te priver de ça à cause de ma paranoïa.
  • Tu sais, ça fait quelque temps que je te trouve sur les nerfs. Ne le prends pas mal, mais si tu allais voir un professionnel ? Il y en a bien un à ton boulot ?
  • Tu veux dire un psy ? Un psychiatre ?
  • Oui, peu importe. Si tu as besoin de parler, d’évacuer, de parler de la situation. Si c’est un psychiatre, il pourra te prescrire quelque chose pour te relaxer un peu.
  • Et puis quoi encore ! Non, je ne suis pas fou, j’ai pas besoin d’un psy.
  • C’est un peu pousser que de dire ça Benjamin. À t’entendre il n’y a que les fous qui vont chez un psy. Je veux juste t’aider. Parfois, il suffit de faire le premier pas.
  • Arrête, j’ai pas besoin de ça. Je t’ai toi !
  • Il y a peut-être certaines choses que tu ne peux pas me dire, c’est normal. Il faut te décharger un peu.
  • Non. Écoute, je pense que c’est normal d’être un peu à cran quand ta vie risque de s’arrêter d’un coup, comme ça, parce que certains ont décidé qu’il fallait faire la guerre avec le voisin.
  • Ne parle pas comme ça en public !
  • Mais qu’on m’entende ! Je les emmerde, et bien profondément avec ça !
  • Tu vas nous faire avoir des ennuis Benjamin !
  • Comme si vivre avec la crainte qu’une bombe atomique nous annihile n’était pas assez ! Mais qu’ils viennent, qu’ils viennent ! »

La poignée de voyageurs sur le quai regardaient Benjamin d’un air outré et s’écartaient du couple. Certains échangeaient des regards inquiets et d’autres parlaient à voix basses, ce qui énerva le jeune marié qui décida, inconsciemment, de lâcher ses nerfs sur les diseurs de messes basses.

« – Y a-t-il un problème, messieurs dames. que vous parliez dans votre barbe ? Vous êtes du gouvernement peut-être ? Ou bien vous connaissez quelqu’un qui y travaille ? Voir l’ami du cousin du frère de vos beaux-frères peut-être ? Comme j’ai peur ! Venez me dire en face, montrez un peu de courage pour ce beau pays !

  • Ben’ arrête… »

Les mots de supplications chuchotés par sa femme tombaient dans l’oreille d’un sourd. Benjamin s’approcha du groupe de passagers qui, il lui semblait, étaient ceux qui venaient, il y a quelques instants, de parler à voix basse.

« – Me voilà ! C’est moi qui viens à vous ! Dites-moi ce que vous avez sur le coeur ? Est-ce que je l’ai blessé ? Une bombe atomique ça tue, et si ça ne tue pas, ça vous laisse sur le carreau comme une loque humaine ! Un légume ! Mais les mots, prononcés par votre serviteur, ils semblent avoir blessé votre petit cœur sensible ! Toi, jeune homme, viens ! Je t’ai entendu, dis-moi en face ce que tu as osé dire tout bas. »

D’instinct, le petit groupe de passager auquel s’adresse Benjamin s’agglutina, se resserra. Réflexe reptilien, réflexe ancestral ; faire groupe contre l’ennemi.

« – Appelez le berger, les moutons sont rassemblés ! »

Benjamin marcha d’un pas décidé vers le groupe, les épaules relevées, là aussi, un réflexe animal montrant qu’il était prêt à se battre, à lâcher quelques coups de poings, à se préparer à en recevoir.

Jaskiers

La loterie nucléaire – Chapitre 1

Benjamin, main dans la main avec sa femme sur le quai de la gare de Baptist ne peut s’empêcher de penser au danger, certes minimum mais bien présent, d’une catastrophe nucléaire.

Cette sensation n’est pas chose nouvelle, c’est la guerre et on se bat à coup de petites bombes nucléaires. Moins de dégâts que les grosses, mais balancées sur les civils autant que chez les militaires avec une précision insolente. Une guerre aussi psychologique que physique.

Je te balance une bombe sur un quartier résidentiel, tu me réponds avec une petite bien placée sur une caserne. C’est le jeu de cette nouvelle guerre.

Ce n’est pas une guerre comme nous en avons connu. Jamais nous ne voyons de soldats, ami ou ennemi, jamais de coups de feu, pas de civils mobilisés, pas de champs de bataille.

Si ce n’était que les minis bombes nucléaires, les masques à gaz et les agents de dénucléarisation habillés de leur parka jaunes, ce serait une guerre diplomatique, une guerre de gens en costard. Les gens en costards sont bien là, ils décident qui va être la prochaine victime. Tacticiens mais aussi businessmans, la guerre, la mort, les morts, la misère, ça rapporte… quand on sait où placer son argent et que votre répertoire comporte quelques personnes bien placées.

Sabrina ne s’inquiétait pas, ou du moins ne le montrait pas. Elle partait voir sa grand-mère mourante. Dans des cas comme cela, la mort d’un proche occupe plus votre esprit que la perspective de votre propre mort. Et puis, qu’elles étaient les chances qu’une bombe éclate sur son train à elle ? Sur des milliers qui traversent le pays tous les jours. Il était peu probable, selon elle, qu’un costard cravate trouve utile d’exploser un train d’une poignée de touristes allant en direction de l’ouest. L’ouest, le côté du pays le moins exposé au bombardement, c’était à l’est que le plus de bombe étaient lâchés. Peut-être parce que les deux pays y partageaient une frontière de ce côté-là.

Et ça n’arrive qu’au autre, de mourir dans ces conflits, pas à nous, pas à elle. Du moins, c’est comment l’esprit réfléchit pour éviter de vivre dans une peur perpétuelle. Exactement la même chose quand nous prenons la route. Si l’on pense à l’accident ou à la mort à chaque fois que l’on prend la route, ou dans le cas de Sabrina le train, nous ne vivrons plus. Ça n’arrive qu’aux autres la mort. Ce genre de mort en tout cas. Car sa grand-mère, dévorée par la vieillesse et une pneumonie tenace, elle, allait bien mourir. Ça arrive un proche qui meurt de maladie. Mais d’un accident ? Non !

Elle regarde du coin de l’œil son mari, ils se sont mariés il y a de cela trois mois après deux ans de vie commune. Deux ans de vie commune, c’est pas mal, la troisième sera une année charnière pour leur relation. Enfin, c’est ce qu’elle croit. Et on ne meurt pas qu’en on est jeune marié avec plein de projets d’avenir n’est-ce pas ?

Jaskiers