La Der-des-Der – Partie 3

Le français courrait, visait, tuait et continuait. Il ne fallait pas rester trop près des tanks, ils devenaient la cibles des obus et espérait s’éloigner des soldats équipés de lance-flammes, car une seule balle dans leur réservoir accroché à leur dos pouvait les faire exploser et réduire en cendres quiconque était à quelques mètres d’eux.

Les allemands se repliaient dans la tranchée qu’il venait tout juste de conquérir, ne leur laissant pas le temps d’organiser une défense solide et efficace. Pas de mitrailleuses, la faucheuse d’homme tant redouté dans les deux camps.

Mais les allemands n’hésitèrent pas à user de leurs canons pour essayer d’enrayer la contre-attaque, quitte à tuer leur propre camarade.

C’est ainsi que le français avait été soufflé par une marmite et s’était retrouvé assommé dans l’entonnoir créé par l’obus.

Gérald sort sa gourde, ses mains tremblantes renversent la moitié de l’eau sur son uniforme crasseux. Il en profite pour se nettoyer le visage encrassé par les horreurs que contient cette terre depuis presque trois ans maintenant.

L’eau fraîche le revigore. Il aurait aimé un peu de vin.

Un éboulis puis un bruit d’impact dans l’eau le font se retourner. Son cœur et son estomac lui semblent être sortis de son corps. L’allemand est là.

La moitié du visage de l’ennemi est recouvert de boue sèche et blanche, lui donnant un air de reptile. Le côté droit de son visage et presque propre. Les yeux bleus le fixent, la bouche est entre ouverte, son corps est paré à l’attaque.

Le français brandit son fusil devant lui, l’allemand, qui semblait prêt à attaquer reste immobile. Gérald ne sait plus s’il possède encore une balle dans son arme et ne veut pas appuyer sur la détende. Si aucune balle ne part, l’allemand se jettera sur lui pour tenter sa chance.

Ils restent là, à se regarder dans le blanc des yeux. Ils savent que le regard peut dévoiler le jeu de l’adversaire, mais ils savent aussi regarder en périphérie le corps de leur adversaire. Chaque mouvement, chaque respiration de l’autre ne passent pas inaperçus. Les nerfs sont à vif, toutes les cellules de leur corps, leur concentration, leur énergie sont utilisées pour observer l’ennemi.

La tension entre les deux adversaires est palpable. Ils n’entendent aucun obus qui siffle, aucun coup de feu, ils n’entendent que leur cœur qui bat et raisonne dans leurs tympans. L’animal est prêt à sortir de l’homme civilisé, encore une fois.

Klaus n’a pas l’avantage, il est en contrebas, le français est en garde, son fusil avec sa baïonnette dressée devant lui. Il doit laisser l’avantage d’attaquer à Gérald. Et celui qui attaque le premier est celui qui prend l’avantage.

Le français hésite, l’état du sol peut à tout moment le faire déraper. Il est mieux armé que lui mais son fusil est un poids, qui risque de l’entraîner à la chute.

L’allemand doit grimper les quelques mètres de boue pour l’atteindre, il n’a que son poignard, le français décide de rester sur ses gardes, et de jouer le bluff, comme les américains qui jouent au poker. Américains qui débarquent et s’apprête à prêter main forte aux alliés.

Mais il n’y aura aucun américain, ce duel est entre les deux jeunes hommes, qui ne savent même plus pourquoi ils combattent, et qui, au fond d’eux-mêmes, n’en ont plus envie. Mais refuser d’aller au combat, c’était être fusillé pour l’exemple. Pour vivre, il faut se battre. Et ce n’était presque plus une question de survie du plus fort. Un obus, une balle de mitrailleuse ne fait pas de distinction. Seul le corps-à-corps prouvait qui était vraiment le plus fort, physiquement du moins.

Jaskiers

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La der-des-der – Partie 2

Il arrive à quatre pattes vers le corps du français. Il respire, doucement. Le dilemme cruel revient le tourmenter. Et si, disons à la prochaine attaque, ce soldat n’allait pas le tuer ou tuer un de ses frères d’armes si Klaus ne le tuait pas tout de suite ?

Le français se réveille, il tire sur les sangles de son fusil pour le placer dans ses mains, il ne voit pas l’allemand et se lève doucement pour ramper jusqu’aux bords du trou d’obus.

Klaus est pétrifié, il ne sait pas pourquoi, il a peur. Tellement peur que sa main droite tenant la dague tremble. Il laisse le français grimper, il n’a pas le droit à l’erreur.

Le français observe le no-man land. Tout est encore embrumé, mais le silence est retombé.

Gérald, le français à soif. Il ne sait pas vraiment comment il a fini dans ce trou. Peut-être le souffle d’une marmite. L’idée qu’il est peut-être blessé lui vient à l’esprit. Il regarde son torse, ses jambes, bouge ses membres. Aucune douleur ni de sang, en tout cas, pas le sien.

L’angoisse s’installe. Il ne sait pas s’il est plus proche des tranchées ennemies ou françaises. Le poilu et ses camarades s’étaient lancés dans une contre-attaque après que les allemands eussent réussis à investir leur tranchée, ou plutôt leur boyau. Ça avait été un terrible combat. D’abord, il avait aidé son camarade à la mitrailleuse fixe, mais les allemands approchants en grands nombres et de plus en plus près, il dû prendre son fusil et tiré une balle sur chaque ennemi qui approchait.

Mais les premiers allemands avaient réussis à investir leur flanc gauche et il fallait soit sortir et attaquer où attendre, tapis dans la boue que l’ennemi se risque de pénétrer dans la section de boyaux de Gérald.

L’ordre fut donné de reculer, ce qu’il fit. Les balles sifflaient à ses oreilles. Les camarades couraient et certains tombaient à côté de lui.

S’il survivait à cette guerre, il allait devoir aller parler de ses camarades tombés au champ d’honneur à leurs parents. Comme ils se l’étaient promis. Les poilus de sa section avaient ajouté cette promesse à leur malheur. À l’idée d’affronter que le camarade d’à-côté, passant de vie à trépas en une fraction de seconde s’il avait de la chance, il fallait ajouter à l’épreuve d’aller parler aux familles de la mort ‘héroïque’ de leur poilu. Enfin héroïque… c’est une manière de passer du baume sur la plaie béante des parents.

Il était arrivé à la tranchée de réserve. Toujours vivant. Survivre, tous les jours dans les tranchées était un miracle.

Il n’eut pas le temps de reprendre ses esprits car ses supérieurs sifflèrent le signal de la contre-attaque.

Il fut poussé par son capitaine au-dessus du parapet et il s’élança avec une rage terrible. Chaque attaque subite déclenchait une contre-attaque immédiate, et ce dans les deux camps. C’est pour cela que la guerre à l’Ouest ne changeait jamais rien à la ligne de front. Peu importait si on perdait une tranchée, on la regagnerait quelques minutes après, ou on en gagnerait une autre sur un autre secteur.

Mais les contre-attaques françaises ou anglaises étaient épaulées par des chars et des lance-flamme. L’empire allemand n’avait plus les ressources pour construire de tels équipements, elle n’avait d’ailleurs presque plus de nourriture pour ses soldats. C’est pourquoi Gérald attaquait avec panache, il savait que derrière lui, au moins deux chars le suivait ainsi qu’une section d’attaque spéciale armée de lance-flammes.

Les allemands furent surpris de la contre-attaque presque immédiate et restèrent pétrifiés quand ils virent les deux énormes masses que formaient les tanks avançant rapidement dans la brume.

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre Final

Johnny a cette irrépressible envie de juste jeter un coup d’œil. Non qu’il aime voir des femmes uriner, mais juste parce qu’elle lui a interdit. Il se dit qu’il devrait peut-être relire Freud lui aussi.

Deux minutes passèrent avant qu’une SupraVoiture passe, ralentisse et klaxonne.

Robyn rentra rapidement dans la voiture, Johnny fut surpris et aussi, énervé par ce que le chauffeur venait de faire. Le type dans sa voiture ne s’est pas gêné et s’est même arrêté pour avoir l’opportunité d’en voir un peu plus.

« – Non, mais il est sérieux ce connard ?

  • Ah ! Celle-là s’est la meilleure ! C’est toi qui es offusqué à ma place Johnny Boy !
  • Attends… ça te fait rien ?! Cette… enflure s’est rincé l’œil sur toi, il a même le toupet de s’arrêter pour avoir une meilleure vue du spectacle !
  • J’ai jamais dit que je n’étais pas offusqué.
  • Fais quelque chose ?
  • Quoi ? Tu veux que je sorte mon calibre et que je le vide sur sa suprabagnole ?!
  • Ouai… ouai fais ça ! Je serais toi… mais comment tu peux être si calme ?! »

Robyn fouille sous son siège, sort un Glock 9 mm, et se tourne vers Johnny.

« – Tu l’aura voulu Johnny ! »

Johnny fouille dans une poche intérieure de son manteau et sort l’exacte réplique du pistolet de Robyn.

« – Si tu le fais Robyn, je le fais avoir toi. »

La jeune femme cache son calibre derrière son dos et sort de la voiture.

« – Hey chérie ! Sors, tu veux sûrement voir plus ? »

L’homme descend de la voiture et répond :

« – J’en étais sûr ! T’es une putain, c’est ça ? Vue ta bagnole, ouai… tu dois avoir des problèmes de trésorerie ma belle. Je peux te filer un coup de main. »

Robyn sort son pistolet et tire sur la voiture. Les 12 balles de son chargeur haute-capacité éclatent les vitres, les pneus et la carrosserie de la SupraVoiture.

L’homme, au premier coup de feu, s’était jeté à terre. Il tempête :

« – Mais t’es malade espèce de sa… »

Il n’a pas le temps de finir sa phrase. Johnny est sorti d’une traite de la voiture et canarde de la même manière que son amie la voiture.

L’homme est abasourdi.

« – Finis ta phrase pendant que je recharge l’ami. »

Les mots de Johnny font paniquer l’homme qui essaie de rentrer dans sa voiture mais Robyn et John tirent presque simultanément une balle dans la portière.

« – Ca va ! Ça va je suis désolé ok ? Je… j’oublie… on oublie tout ce qu’il s’est passé d’accord ? Je vais reprendre ma route tranquille. Vraiment désolé. Je… je suis pas comme ça normalement.

  • Tu dois sûrement être pire que ça ! Je crois que ta souillé ton pantalon l’ami, ça va pas faire bonne impression au bureau ! Rétorque John.
  • Ah… ça donne un air plutôt… original je trouve moi Johnny Boy ! J’veux dire, hey, pas tous les jours que t’as l’opportunité de travailler avec un mec incontinent. Je suis sûr que ça va faire tomber les filles à ses pieds !
  • Avec l’odeur, oui ça c’est sur !
  • Écoutez, je veux pas d’ennuis. J’ai vraiment été… irrespectueux et je… c’est pas simple en ce moment pour…
  • Écoute l’ami, on n’est pas des psys. Je dirai qu’on est plus des philosophes. D’accord avec ça Robyn ?
  • Oui… oui. J’aime bien, philosophe calibré. C’est une nouvelle doctrine mon bon monsieur. On canarde puis après, et seulement après avoir vidé au moins un chargeur, on philosophie.
  • D’acc… ok. Je comprends. C’est… cool. Mais je dois vraiment y aller.
  • Tu restes pas pour le débat ? C’est le moment le plus important pourtant ! N’est-ce pas John ?
  • Évidemment !
  • J’apprécie… j’y vais. Laissez-moi partir par pitié.
  • On ne vous retient pas ! Vous être libre de circuler citoyen. »

Aux dernières paroles de la jeune femme, le voyeur rentre précipitamment dans sa voiture, son pied dérape sur le bas de caisse et il finit par terre.

« – Trop d’émotion mon bon monsieur ?

  • C’est un point de vue Johnny, moi je dirai plutôt le Karma.
  • Tu crois en ça toi ?
  • Pas toi ? »

L’homme réussit cette fois à remonter dans sa voiture et repart très rapidement.

C’est ici que nous laissons nos deux nouveaux amis. Ils remontent dans la voiture tout en débattant sur le principe du Karma.

La veille voiture démarre et s’éloigne.

Le coucher de soleil enveloppé le désert d’une couleur jaune, penchant sur l’or. Après tout, le Far-West, c’est la ruée vers l’or qui lui a donné naissance. Encore aujourd’hui, l’Homme chasse l’or, de multiples formes d’or.

(À suivre ?)

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre 4

« – Garfunkel… on dirait le nom d’un meuble IKEA non ?

  • Ne me vole pas mes blagues !
  • Tu fais quoi dans la vie Robyn ? Tu chantes vraiment ?
  • Si je te dis oui, tu me croiras ?
  • Oui. Enfin, mens si tu en as envie, mais je pense qu’entre nous, la franchise s’est imposée d’elle-même.
  • Oui, je chante.
  • Bien… genre dans les bars ? Comme Bob Dylan à ses débuts ? Tu vadrouilles dans Greenwich Village avec ta guitare et tout ça ?
  • Cette image te plaît ?
  • C’est… cliché mais tu dois admettre que c’est romantique.
  • Hey bien va pour ça. Oui, je vadrouille dans Greenwich Village, je joue dans les bars et c’est pour cette raison que je me dirige actuellement vers la Californie dans mon tacot avec un… Français bien curieux et remplis d’imagination.
  • Cette histoire que je ne te connaisse pas t’embête hein ? Ton égo a pris un coup ? Pas l’habitude je paris ? J’veux dire, je connais rien de ta carrière de musicienne, tu est… belle… Ça doit pas être souvent que ton égo en prend un coup… tu devrais lire Freud tiens. Ça te changera de l’instagramable Nietzsche.
  • Quelle condescendance !
  • Je suis Français je te rappelle.
  • Vous êtes vraiment casse-couilles.
  • Comme je te l’ai dit, ça dépend d’avec qui on discute.
  • J’avoue être une casse couille.
  • Bien. Tu veux t’arrêter au bord de la route, t’allonger sur la banquette arrière et me parler de tes problèmes avec ton père ? »

Le véhicule s’arrêta abruptement, le corps de Johnny est ramené sèchement sur le siège à cause de la ceinture.

« – Doux Jesus ! C’est quoi ton problème. Putain, mon cœur va pas faire long feu avec toi !

  • Tu veux continuer à pied ? Reprendre ton stop ?
  • C’est pour ça que tu t’es arrêtée ?
  • Non, j’ai juste envie de pisser. Pas toi ?
  • Non… attend pisser , au milieu de la route ? Au bord ? Merde, tu vas être à la vue de tout le monde !
  • Et qu’est-ce que ça peut me foutre ? Si j’ai envie de pisser, c’est pas d’ma faute ! Et surtout, venant d’un mec qui peut, et ne se gêne sûrement pas, sortir sa saucisse pour pisser sur le trottoir après une soirée de beuverie, j’en ai un peu rien à foutre.
  • J’disais ça pour toi… je connais pas beaucoup de femmes qui pisseraient en pleins milieu d’une route.
  • Et bien maintenant, tu en connais une ! Prépare-moi une clope quand je reviens. Et évite de regarder, j’arrive pas à pisser quand on me regarde.
  • Ok, moi pareil.
  • Et tu sais que les SupraVoit’ ne me verront pas à la vitesse où ils vont.
  • Je suis d’accord avec toi. Mais y’a une sorte de loi dans ce monde où dès que tu penses être à l’abri de quelque chose, bam !, cette chose se présente à ta porte.
  • Un peu comme la loi de Murphy ? Hey bien qu’ils se rincent l’œil.
  • C’est le cas de le dire.
  • Vous avez le fétichisme bizarre vous les hommes.
  • J’ai… maintenant que tu me le dis, je n’ai jamais vraiment entendu de truc tordu, de fétichisme venant d’une femme. Non pas que je connaisse toutes les femmes de la Terre, je sais que je suis un Frenchy mais quand même.
  • C’est parce que tu n’en as connu que des gentilles demoiselles, Johnny Boy. Bon, assez déblatéré, j’y vais. J’espère que t’es pas un de ces adeptes de douches dorées.
  • Moi ? La pisse c’est pas mon truc.
  • J’adore la manière dont j’apprends à te connaître.
  • De même. »

Robyn claque la portière, s’installe à côté de la SupraRoute, et s’accroupît.

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre 3

Robyn tourne son visage et fixe ses yeux verts dans les yeux marron de Johnny. Cela dure quelque secondes qui paraissent un peu trop longues pour Johnny. Il a toujours peiné à regardé les gens dans les yeux, surtout quand c’était la personne qui conduisait. Il détourna son regard inquiet vers la route.

« – T’as peur hein ?!

  • Robyn, je te connais pas, des… merde… regarde la route. Je vois pas qui tu es.
  • Dommage… pour toi j’veux dire.
  • Désolé, mais regarde la route s’il te plaît merde ! »

Robyn reposa son regard sur la route, elle avait légèrement déviée de sa trajectoire et la redressa.

« – Tu fais souvent des coups comme ça ?

  • John… j’peux t’appeler John ouai ?
  • Au point où on en est.
  • John, faut vivre dangereusement, même un petit peu, ça te permet de te remémorer la valeur de la vie.
  • Oui, j’vois c’que tu veux dire. Mais c’est mieux quand on contrôle. Là, j’ai rien demandé.
  • Faut aussi apprendre à perdre un peu le contrôle.
  • Nan, là, ça tu vois, je peux pas.
  • Control freak ?
  • Carrément, et je l’assume.
  • Tu dois avoir une triste vie Johnny Boy.
  • Au contraire. Quoique… tout est question de perspective.
  • Non Johnny, tout est question de temps.
  • T’es du genre : on a qu’une vie faut en profiter ! C’est n’importe quoi.
  • Non, je suis d’accord, cette mentalité c’est pas mon truc non plus. Juste, tu ne peux rien contrôler totalement. Et la chose la plus importante, le temps, est bien la chose la plus importante que nous pouvons manipuler à notre guise. On est… une expérience.
  • T’a fumé avant de prendre le volant ? On peut pas manipuler le temps.
  • Peut-être que oui, peut-être que non.
  • D’accord, le temps, machin machin, tout est relatif, Albert Einstein, le Boson de Higgs, la théorie des cordes, la particule de Dieu, la matière noire, le nucléaire et machin machin encore machin. Je crois que le mieux Robyn, c’est juste de ne pas se poser de question. Plus tu t’en poses, moins t’as de réponse et tu finis avec encore plus de question. Y’a des types qui finissent en hôpital psychiatrique à cause de ce genre de questionnement.
  • T’es un foutu robot ?
  • Nan… c’est quoi cette question à la mord-moi le-noeud encore.
  • Le jour où tu demanderas à un robot ou une intelligence artificielle qu’elle est le sens de la vie et que la machine te répond avec aplomb une réponse qui n’est pas : je ne sais pas… Ça sera déjà trop tard.
  • Mais qu’est-ce que ça a à voir avec ce que je viens de dire ?
  • Rien… je dis juste que tu as raison. T’es perdu, tu te poses des questions, tellement que tu t’es arrêté de t’en poser et tu continues de vivre sans savoir.
  • Ouai… mais toi tu te les poses ces questions ?
  • Tu sais, l’hôpital psychiatrique, les maladies mentales, les fous comme les appellent les gens normaux… enfin la normalité c’est une question de point de vue… je disais, les malades, les schizophrènes, les dépressifs, les mégalomanes tout ceux-là. Ils sont pas dans la norme, ont les internes et ont les soigne pour qu’ils rentrent dans le moule, qu’ils travaillent et paient leurs foutus impôts et tutti quanti… mais si on prenait le problème différemment. Les schizos, moi ils me fascinent. Des hallucinations ? Des voix ? Et si au final, ils étaient des sortes de messagers ? De quoi ? J’en sais rien Johnny Boy, mais si on prenait le temps, encore le temps tu vois, si on les écoutait, je suis sûr que trouverait quelques choses…
  • Tu pars vraiment très loin Robyn. Trop même.
  • T’es pas de mon avis ?
  • Les schizos ? Tu leur dis ça, quand ils ne sont pas en crises, ils t’enverraient te faire voir. Y’a rien de plaisant à entendre des voix et voir des choses qui n’existent pas.
  • Qui n’existent pas… selon toi !
  • Non, là, là, honnêtement je ne te suis plus.
  • Tu vois, t’a peur de te poser des questions.
  • Jamais dis le contraire Robyn. Mais dans ce cas-ci, il n’y a pas de question. C’est le cerveau qui fonctionne différemment.
  • Oui et ?
  • C’est une maladie.
  • Ou un don.
  • Ok, moi j’arrête là, je ne te suis plus.
  • Tu as peur ?
  • De quoi ?
  • De remettre en perspective ta vision des choses ?
  • Il n’y a rien à mettre en perspective. Une maladie n’est pas un don.
  • La plupart des grands génies, artistes ou scientifiques, n’était pas vraiment sain d’esprit.
  • Il y a peut-être une concordance entre talent et santé psychique mais ça s’arrête là.
  • De mon point de vue, tu as tort.
  • Et du mien, tu réfléchis sur des choses qui n’ont pas lieux d’être.
  • Si tu regarde trop longtemps l’abime…
  • L’abîme regarde aussi en toi. Ça va, Nietzsche est devenu un poncif. Le supermarché de la philosophie.
  • Une idée bien arrêtée que tu as là Johnny Boy. Tu as déjà regardé l’abîme trop longtemps ou tu as peur de la regarder ?
  • À toi de me le dire.
  • Tu l’as regardé. Mais pas trop longtemps.
  • Super. Sortir Nietzsche, c’est devenu hype. Maintenant tu vas me parler de Freud ? Tu veux savoir si je suis venu à bout de mon complexe d’Oedipe ?
  • Non ! Rien à foutre. Et puis tu as dit que tu étais un meurtrier !
  • As-tu entendu parler de Kierkegaard ?
  • On dirait le nom d’un groupe de musique Suédois.
  • Mon dieu…
  • Quoi ? C’est vrai !
  • Très américain… je parie ta bagnole que si je te montre une carte de l’Europe, tu ne saurais même pas où se situe la Suède.
  • Tu m’as eu, je connais que l’Amérique. Ma bonne vielle Amérique.
  • Ta bonne vieille Amérique ? Si tu est native américaine d’accord, sinon…
  • Le bon vieux réflexe indicateur du sentiment d’infériorité de l’Européen !
  • Sans les Français, tu boirais du thé et mangerai du pudding à l’heure qu’il est. Mais ça, aucun Américain le sait. Mais je sais ce que tu vas me répondre Robyn chérie, sans nous, je parlerai allemand et blah blah blah. Sérieusement ? Les Français ont aidé l’Amérique à naître, à prendre, à gagner son indépendance. Lafayette, ça te dis quelque chose ?
  • Les galeries Lafayette ?
  • Très drôle. En attendant, en France, les écoliers ne portent pas de sacs pare-balles pour aller à l’école.
  • Tu aimes plonger la petite américaine dans les sujets qui fâchent ? D’accord. La guerre d’Algérie ? La torture ?
  • Je pourrai dire de même pour ce que vous avez fait un Irak… Abu Ghraib ?
  • Touché.
  • Aucun de nos pays n’est innocents.
  • J’en conviens.
  • Bon, j’en étais à Kierkegaard. Ça te dit vraiment rien ?
  • Non.
  • Sache qu’il n’y a pas que Nietzsche comme philosophe. Arrête de suivre ces modes internets. Il y a beaucoup plus à découvrir, par soi-même.
  • Tu me fais la leçon ?
  • C’est un reproche ou tu veux que je te parle de Kierkegaard ?
  • Tu sais quoi, j’ai bien envie d’un peu de silence ? Je dois même avoir du Simon and Garfunkel dans ma radio.
  • Les pauvres, ils y sont depuis longtemps ? C’est pour ça qu’on ne les entend plus chanter.
  • Un peu d’humour ! »

Robyn pianote sur sa radio, les premières notes de Sounds Of Silence de Simon and Garfunkel emplissent l’habitacle.

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre 2

« – Désolé !

  • C’est moi qui suis désolé cette fois. J’ai pas encore la boîte manuelle en main. Et puis, démarrer avec un diesel, faut s’y habituer.
  • J’comprends, c’est… on voit pas beaucoup de vieilles voitures comme la vôtre.
  • Sûrement parce que c’est illégal de circuler avec sur la SupraRoute.
  • Les flics vont tellement vite qu’ils ne doivent même pas avoir le temps de vous… de te voir.
  • Ouai, sûrement pour ça que j’ai jamais été arrêté !
  • La technologie !
  • Tu parles d’un progrès oui ! Mon tacot est lent mais, hey, il arrive à destination !
  • Ça me rappelle une fable française.
  • Ah ! J’me disais bien que vous aviez un petit accent !
  • Un socialo de français… vous allez pas me laisser sur le bord de la route ?
  • Pourquoi je ferai ça ?
  • Quand je suis ramassé par des camionneurs, ça arrive souvent.
  • Quand ils apprennent que t’es français ?
  • Ouai.
  • L’Amérique, terre d’accueil.
  • Ah, tu sais, en France les gens peuvent se montrer aussi chiant que les américains quand ils rencontrent des étrangers.
  • Pas d’offenses hein, mais vous avez une réputation de merde.
  • Est-ce qu’on a vraiment une réputation de merde ou bien c’est parce que vous pensez que nous sommes des connards que vous agissez avec nous comme des connards, ce qui fait que nous passons pour des connards en réaction à votre comportement de merde avec nous ?
  • Hey, t’as peut-être pas tort.
  • Je suis français, on a jamais tort !
  • Étonnant que tu n’est pas allumé une cigarette.
  • J’allai te demander si je pouvais m’en griller une.
  • Ok, mais tu m’en passes une aussi. »

Johnny sort un paquet de cigarette de la poche de son blouson et un briquet de l’autre. Il tend son paquet vers la conductrice.

« – Allume-la moi, c’est pas évident en conduisant. »

Il sort deux cigarettes, les met à sa bouche et les allume. Il en tends une à la jeune femme.

« – Merci bien mon ami.

  • De rien… et c’est quoi ton nom ?
  • Robyn.
  • Putain, ça m’fait penser à Batman.
  • Quelle originalité, on n’me l’avait jamais sorti celle-là !
  • Désolé.
  • Arrête avec tes ‘désolé’, tu commences à me faire chier !
  • Réflexe.
  • Et toi, tu t’appelles comment ?
  • Johnny.
  • C’est pas vraiment français comme prénom.
  • Tu préférerais que je m’appelle Pierre ?
  • Louis, ou Charles, comme vos rois.
  • Charles ? C’est mon deuxième prénom !
  • Sérieux ?
  • Non. J’en ai pas. »

Un léger silence s’installe. Ces petits silences entre inconnus qui se rencontrent pour la première fois sont, certes, gênants, mais ils font partie du processus de socialisation. Enfin, c’est ce que Johnny pense actuellement, pour se rassurer.

« – La Californie ?

  • C’est ça… d’ailleurs c’est bizarre la manière dont tu fais du stop.
  • Comment ça ?
  • Quand je t’ai demandé où tu allais tu m’a répondu en me demandant où moi j’allais.
  • Je m’en fou d’où je vais.
  • T’es pas un criminel au moins ?
  • Si, un gros.
  • T’es d’la french connection ? T’a pas de la coke Chinoise importée par nos amis de la CIA par hasard ?
  • Non ! Enfin, je peux te choper ça si tu t’arrêtes chez mon pote Hunter Thompson, il doit avoir quelque chose dans le genre.
  • C’est un parano !
  • De Las Vegas !
  • Foutu tordu que ce type.
  • Sacré écrivain aussi.
  • Ça se défend.
  • Pas d’accord ?
  • C’est que j’écris moi aussi.
  • Tiens donc !
  • Des chansons.
  • Super, donc c’est ça ton boulot, pas étonnant que tu conduises un tacot pareil.
  • Sérieux, tu me connais pas ?
  • Non.
  • Regarde-moi bien ! »

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre 1

Johnny tend le pousse au bord de la SupraRoute, en attendant patiemment qu’une SupraMobile carburant à l’essence de fusée daigne s’arrêter. Mais à la vitesse où ces voitures vont, il y a peu de chance qu’un chauffard le voit. En fait, il risquerait plutôt de se faire atomiser.

Une vielle voiture Ford, Johnny ne saurait dire la série, car il n’est pas connaisseur et cette voiture est tellement rouillée qu’il serait difficile à un aficionado des vielles voitures de l’identifier, ralentit a quelques pas de lui. Seul le logo sur le capot, dressé fièrement sur l’amas de rouille, indique sa marque.

Une femme dans la trentaine la conduit. Noire, les yeux verts, c’est cette jeune femme qui va prendre Johnny en stop.

La voiture s’arrête enfin un peu avant lui, la vitre côté passager s’ouvre avec un violent et long bruit de grincement qui fait mal aux dents.

« – Tu vas où comme ça ? Lui demande la jeune femme.

  • Vous allez où vous ?
  • En Californie.
  • Ça me va !
  • Super… hey bien monte. »

Johnny appuie sur la poignée de la portière mais elle ne s’ouvre pas. Il regarde la conductrice avec un air surpris.

« – Ah merde, j’oublie tout le temps, elle s’ouvre pas, faut que tu passes par la portière de derrière, enfin de derrière moi. »

Johnny fait donc le tour de la voiture. Ouvre la portière arrière qui s’ouvre en laissant s’échapper un couinement digne d’une sirène de bateau. 

« – Viens à côté de moi, j’suis pas ton chauffeur non plus ! »

Johnny ne se fait pas prier, il n’a jamais vraiment compris pourquoi les gens ne voulaient pas qu’il s’assoie à l’arrière. Ils « ne veulent pas être mon chauffeur », c’est ce qu’ils disent tous quand il monte dans une voiture. Peut-être qu’ils ont en fait peur de laisser un inconnu s’asseoir derrière eux pendant qu’ils conduisent. Ça, ça se tient. Mais pourquoi ne pas le dire franchement ? Enfin, on ne se plaint pas à quelqu’un qui vous tend la main.

Notre ami John peine à se faufiler entre les deux sièges avant, le passage est étroit. Le levier de vitesse et le frein à main sont sur son chemin.

Son blouson frotte sur tout ce qu’il l’entoure et il s’affale légèrement sur la jeune femme avant de vite se rattraper et basculer sur le siège passager avant.

« – Désolé m’dame.

  • C’est rien, ça arrive souvent. Pas évident de passer devant. Faut vraiment que je pense à faire réparer cette portière. Et ne m’appelle pas madame !
  • Ok désolé. Pour votre voiture… ah… je sais pas si ça existe encore les garagistes.
  • J’dois avoir une pote dans mes contacts qui doit pouvoir bidouiller ça… mais faudrait déjà que je me rappelle son nom… son adresse… enfin. Donc direction la Californie.
  • C’est vous le chauffeur.
  • Si vous le dites. Et arrête de me vouvoyer ! On a le même âge, enfin je pense.
  • Désolé. Tu as quel âge ?
  • On ne demande pas ça à une femme !
  • Désolé…
  • Arrête d’être désolé. Tu as que ce mot dans la bouche !
  • Des… oh et puis merde.
  • C’est ça ! Faut se lâcher un peu ! »

La voiture démarra en trombe, Johnny ne s’y attendait pas et se cogne brutalement contre la boîte à gants.

Jaskiers

Merci pour votre service ! – Partie 3/3

Quand je ne suis pas en opération, je suis un autre homme. De retour en France, quand assez de temps à coulé sous les ponts, que mon corps, mon esprit, mes nerfs, commencent à se relâcher, les souvenirs reviennent. Les traumas ouvrent les vannes émotionnelles : les cauchemars, les éternelles questions que l’on se pose sur l’être humain après avoir vue des choses qui vous donnent envie de brutaliser n’importe quelle personne suspecte qui passe près de vous, attaquent. Ou même cette pensée obsédante de se mettre un calibre sur la tempe afin d’éviter cette remise en question brutale vous assaille. Et l’on espère que ce traumatisme, avec le temps, on l’espère, guérira,

Le temps est une chimère. Il vous permet d’oublier temporairement les horreurs que vous avez vues, mais le corps, lui, n’oublie pas. Les flash-back qui apparaissent inopinément, parfois pour rien, parfois à cause d’un bruit ou d’une odeur. Tout remonte à la surface. J’ai entendu parler de vétéran qui pensait être revenu sur le champ de bataille après avoir entendu un pétard éclater, ou une portière de voiture qui claque. Ils, ou elles, pensent être de retour sur-le-champs de bataille. Accroupie, une arme invisible à la main, ils attendent des ordres qui ne viendront jamais. Il faut appeler un psychiatre ou un psychologue, avec le SAMU, pour sortir ces personnes de cette transe.

Bien sûr, et en France surtout, personne n’est au courant du défi que le retour à la vie civile implique pour un soldat. On n’en parle pas, on ne parle pas de ce qu’on a vécu. On nous le demande parfois, souvent des ami(e)s, et vous ne répondez pas. Ce n’est pas possible de comprendre, ni d’expliquer notre peine à une personne dont le seul souci semble être de savoir si la nouvelle star de la télé-réalité a appelé son fils Ethan ou Gloubiboulga. Un monde nous sépare des autres. Nous nous comprenons entre nous, et encore pas forcément à chaque fois.

Je n’ai plus ma place à l’armée, je ne sais même pas si j’ai le droit à une place chez les civils. Au final, quand j’ai signé pour devenir soldat, ce n’était pas une affaire de mois ou d’années, mais d’une vie entière.

Ce n’est pas du regret, j’ai choisi.

Comme ma sœur qui a choisi cette opération. Demain matin sera son moment sur le champ de bataille, et la suite sera un autre combat sur le long terme.

Ça ne s’arrête jamais la vie, et sans combats, pas de vie.

Jaskiers

Merci pour votre service ! – Partie 2/3

« – Au fait, vous êtes gradé ? Sous-off’ ou trou fion ?

  • Sergent.
  • Pas mal le petit gars ! Vous êtes jeune et déjà une huile !
  • Quand vous sortez de l’école avec le bac, vous pouvez entrer comme officier.
  • Ah oui mais vous avez dû faire pas mal de terrain !
  • J’ai été sur le terrain évidemment. Autant que mes camarades.
  • Et on nous parle jamais de l’armée aux infos, à part le 14 juillet. On oublie qu’on a des jeunots qui se battent !
  • Le manque d’information, c’est normal. La population n’a pas besoin d’être au courant des guerres en cours. Question d’image et avec ça, plus de latitudes grâce au silence. Les reporters de guerre au plus près des soldats, ça s’est arrêté au Vietnam. Le peuple ne doit surtout pas voir des soldats français se battre tous les jours à la télé.
  • C’est vrai qu’on sait pas vraiment où nos gars se battent ! Oui, c’est curieux.
  • Il y a aussi des femmes vous savez.
  • Ça doit amener son lot de désagrément.
  • Pas du tout. Elles se battent comme les hommes, s’entraînent pareil.
  • Non mais ça d’accord. J’voulais dire par là… des jeunes gens en pleine forme avec des jeunes femmes, bah forcément, il doit y avoir des histoires de coucheries !
  • Non.
  • Étonnant.
  • Il y a beaucoup de gradés femmes qui commandent des hommes.
  • Et ça ne pose pas de problème ?
  • Non.
  • Hey bien mon garçon, c’est sacrément étonnant de voir à quel point l’armée a changé ! »

Je pensais avoir évité la discussion sur les sujets délicats, sujets que je n’ai pas forcément envie de parler. Mais non.

« – Vous avez été où ? Afghanistan truc comme ça ?

  • Oui, entre autres.
  • Y’a quoi d’autre… vous n’avez pas que fait l’Afghanistan ?
  • Non.
  • Je vois pas d’autre conflit auquel la force participe.
  • Il y a l’opération Barkhane au Mali.
  • Qu’est-ce qu’ils foutent là-bas ? Une guerre civile ?
  • Terroristes. Et ça peut tourner à la guerre civile.
  • Évidemment maintenant… c’est le terroriste. À notre époque, on nous disait que l’ennemi c’étaient les Russes.
  • C’était encore l’époque du mur de Berlin, du rideau de fer.
  • C’était une autre époque.
  • Mais les problèmes avec les Russes ne sont jamais trop loin. Voyez l’élection de Trump.
  • Ah ! Un sacré moustique celui-là ! »

Je me demandais s’il allait encore rester là longtemps. Il était chirurgien, il avait sûrement d’autres chats à fouetter. Ou à opérer. Non, ça c’est les vétos.

« – Bon, je vous laisse ! Mesdames, pas d’inquiétude, tout va bien se passer demain matin. Il n’y a aucune raison pour que les choses tournent mal. Et vous soldat, merci pour votre service ! 

  • Merci docteur, tu verras ma chérie demain ça se passera comme prévu.
  • Au revoir docteur. »

C’étaient mes dernières paroles, un au revoir courtois, mais j’avais envie de lui dire que je me fichais pas mal de ses remerciements pour mon service.

Car j’allai quitter l’armée. Il ne me restait plus que quelques mois à finir. Je ne pouvais plus supporter la vie de soldat. Mais je savais que ce qui m’attendait, la vie civile, qui serait une nouvelle épreuve. Une qui réserve ses lots de souffrances. Mais les vétérans, en France, tout le monde s’en fichent…

Jaskiers

Merci pour votre service ! – Partie 1/3

Ma sœur allongée sur son lit d’hôpital, ma mère assise à ses côtés et moi, droit comme un piquet au milieu de la chambre.

L’opération à l’estomac qu’elle doit subir se déroulera demain matin, très tôt. Les larmes coulent le long de joues des deux femmes de ma vie. Moi, je peine tellement à pleurer, à trouver les émotions, celles normales qui font de vous un être… normal.

Le chirurgien entre, un homme dans les cinquante ans, bedonnant, marchant avec les bras pliés et éloignés le long du corps, comme s’il attendait à tout moment qu’une infirmière lui enfile une blouse et des gants. Un homme dont la vie est dominée par son travail, jusque dans son corps.

Voyant l’émotion, il parle :

« – Hey bien, hey bien, pourquoi les larmes de crocodile ? Vous êtes prêtes, tout se passera bien.

  • Docteur, c’est la toute première fois qu’elle se fait opérer. Elle a peur de se réveiller en pleine opération, dit ma mère.
  • Cette peur, beaucoup de gens l’ont, mais rassure toi petite, l’anesthésiste va mettre ce qu’il faut et avec nos moniteurs, on peut voir si tu te réveilles. Mais c’est impossible, croit moi. Quand tu vas t’endormir, il faut que tu penses à quelque chose de positif. Il y a souvent des gens qui rêvent pendant l’anesthésie ! Et, vous avez de la chance car, maintenant, avec les produit que l’on utilise, les gens font de beaux rêves. Avant, certains faisaient de terribles cauchemars !
  • C’est vrai ? Demande ma sœur.
  • Oui petite ! Pense à ton chanteur ou ta chanteuse préféré, quelque chose qui te donne le sourire ! »

Les deux demoiselles essuient leurs larmes, des sourires se dessinent sur le visage.

Le docteur reprend, et à mon grand étonnement, s’adresse à moi. Par réflexe, je me redresse.

« – Et vous jeune homme ! Vous êtes le frangin.

  • Oui.
  • Pas trop l’air chamboulé vous !
  • Je le suis mais… je ne le montre pas.
  • Ah ! Ces hommes… mes pauvres dames ! »

Ma mère et ma sœur me regardent, avec, dessiné sur le visage, de légers sourires narquois. Je souris en retour.

Le docteur reprend, toujours à moi.

« – Droit comme un i, les mains derrières le dos ! Vous êtes soldat vous !

  • De retour à la vie civile.
  • Ah ! Voyez mesdames, je suis aussi mentaliste ! Si l’anesthésie ne fonctionne pas sur toi petite, je t’hypnotiserai ! »

Des éclats de rires. Le docteur est rodé, il sait comment détendre l’atmosphère. Il me tend la main. J’hésite quelques secondes, veut-il quelque chose, un objet ou veut-il me serrer la main ? J’hésite, la dernière option, à cause de la Covid, me semble peu probable. Je me retourne, regarde ce qu’il pourrait vouloir. Je ne trouve pas. Cela dure quelques secondes.

« – Serrez-moi la pince, soldat ! »

Je sors mon sourire de circonstance, gêné, je lui tends la main et la sers. Une bonne poigne, mais la mienne est forte. Il lâche le premier.

« – Vous étiez dans quelle branche ?

  • Dans l’infanterie.
  • Ah, moi j’étais chasseur alpin pendant mon service militaire ! J’étais un pur auvergnat, et ils ont dû penser que je connaissais la montagne à cause de notre volcan. Mais j’avais jamais skié de ma vie, la montagne, connaissais pas du tout !
  • Ils sont pleins d’humours, encore aujourd’hui.
  • Notre slogan, il est sur ma quille que j’ai gardé, c’était « Ne pas subir… et pourtant ! »
  • Toujours autant d’ambiguïté.
  • Ah ! Mais mes années de services ont peut-être étaient les plus belles ! J’y ai passé le permis poids lourd. Pour l’avoir, j’ai juste eu à faire le tour de la caserne avec un camion ! Et puis, j’sortais de ma petite cambrousse, j’ai vu du pays et fait des copains !
  • Ça a bien changé depuis votre époque.
  • C’est devenu si rigide que ça chez les bidasses ?
  • Je ne sais pas si je peux parler de rigidité, les choses sont juste plus réglementées. La technologie, les mœurs sociales, la société, pour l’armée, ça ne pouvait que changer.
  • On dit qu’on devrait remettre en place le service militaire ! Pour certains, ça leur ferait du bien !
  • Le passage à une armée de métier a changé beaucoup de choses. Je ne pense pas que le gouvernement ait le budget pour la remettre en place. Et puis, il n’y a plus vraiment de guerre… pas des guerres comme l’inconscient collectif le conçoit. L’éducation aussi a changé beaucoup de choses.
  • Oh, hey, ça m’a pas empêché de devenir chirurgien !
  • Je parlais pas dans ce sens. Les jeunes sont plus éduqués, donc moins prompts à voir l’armée comme quelque chose de positif.
  • L’armée c’est pas le problème, c’est une belle école de la vie. Mais la guerre, moi j’en ai pas fait, ça s’est sûr que ça doit pas être jolie.
  • Je confirme. »

Je n’aurais pas dû répondre à cette question. Comme souvent, les civiles aiment à en savoir plus quand ils apprennent que je suis, plus pour longtemps, soldat.

Jaskiers