
Quand je ne suis pas en opération, je suis un autre homme. De retour en France, quand assez de temps à coulé sous les ponts, que mon corps, mon esprit, mes nerfs, commencent à se relâcher, les souvenirs reviennent. Les traumas ouvrent les vannes émotionnelles : les cauchemars, les éternelles questions que l’on se pose sur l’être humain après avoir vue des choses qui vous donnent envie de brutaliser n’importe quelle personne suspecte qui passe près de vous, attaquent. Ou même cette pensée obsédante de se mettre un calibre sur la tempe afin d’éviter cette remise en question brutale vous assaille. Et l’on espère que ce traumatisme, avec le temps, on l’espère, guérira,
Le temps est une chimère. Il vous permet d’oublier temporairement les horreurs que vous avez vues, mais le corps, lui, n’oublie pas. Les flash-back qui apparaissent inopinément, parfois pour rien, parfois à cause d’un bruit ou d’une odeur. Tout remonte à la surface. J’ai entendu parler de vétéran qui pensait être revenu sur le champ de bataille après avoir entendu un pétard éclater, ou une portière de voiture qui claque. Ils, ou elles, pensent être de retour sur-le-champs de bataille. Accroupie, une arme invisible à la main, ils attendent des ordres qui ne viendront jamais. Il faut appeler un psychiatre ou un psychologue, avec le SAMU, pour sortir ces personnes de cette transe.
Bien sûr, et en France surtout, personne n’est au courant du défi que le retour à la vie civile implique pour un soldat. On n’en parle pas, on ne parle pas de ce qu’on a vécu. On nous le demande parfois, souvent des ami(e)s, et vous ne répondez pas. Ce n’est pas possible de comprendre, ni d’expliquer notre peine à une personne dont le seul souci semble être de savoir si la nouvelle star de la télé-réalité a appelé son fils Ethan ou Gloubiboulga. Un monde nous sépare des autres. Nous nous comprenons entre nous, et encore pas forcément à chaque fois.
Je n’ai plus ma place à l’armée, je ne sais même pas si j’ai le droit à une place chez les civils. Au final, quand j’ai signé pour devenir soldat, ce n’était pas une affaire de mois ou d’années, mais d’une vie entière.
Ce n’est pas du regret, j’ai choisi.
Comme ma sœur qui a choisi cette opération. Demain matin sera son moment sur le champ de bataille, et la suite sera un autre combat sur le long terme.
Ça ne s’arrête jamais la vie, et sans combats, pas de vie.
Jaskiers