Mémoires de pavés (Nouvelle)

Regroupés en masse dans cette rue historique, la plupart sont vêtus de noir, de capuches, de masques à gaz, de bandanas, de casques de protection en tout genre ; militaires, ouvriers, et même des casques de fortunes fait de casseroles. Certains portent des chaussures de sécurités, d’autre de robustes chaussures de randonnée montantes. Des genouillères, des coudières, des gants, pour les plus débrouillards, ou chanceux, des gilets pare-balles.

Aucune personne sans armes. On ne parle pas d’armes à feux, bien qu’il est très probable que certains cachent un calibre, mais d’armes blanches, couteaux, sabres et autres épées, battes de baseball, des poings américains, des barres à mine, et enfin, tout objet qui peut servir d’arme que l’on peut trouver dans une maison ou appartement.

Des parapluies étaient ouverts et déployés, brandit, bien que le ciel, légèrement nuageux, n’annonçait aucune averse. Certains brandissaient des couvercles de poubelles ou de vulgaires planches de bois mal taillées.

Evidement, il y avait les cocktails Molotov. Un vieux classique en période d’insurrection. Les bouteilles en verre d’où sortaient un bout de tissus se trouvaient dans les mains de presque chaque personne présente ce jour-là.

Pour la rue historique, qui avait connue tant de défilés militaires, de visite de dictateurs, de chefs d’États, de touristes perdus, ce défilé de milliers de civils armées n’était pas vraiment une nouveauté. Oh, oui, elle avait vu des guerres, des cadavres, pas mal de violence policière mais des citoyens armés ? Ce n’était pas la première fois même si c’était rare.

Elle n’avait, par contre, jamais vue autant de ressentiment et de colère battre ses pavés et trottoirs centenaires. Plus de respect pour les vieilles dames !

Dans les moments historiques, les pas lourds, remplis d’excitations ou de peurs, elle connaissait. Elle les aimait d’ailleurs. C’est un honneur d’être foulé par l’Histoire. Mais cette foule, c’était quelque chose d’autre. Une chose qu’elle n’était pas sûr de vouloir, ou pouvoir, supporter. C’était peut-être le signe de la fin, d’une fin. De quoi ? L’Histoire ne révèle pas ses secrets si vite, il faut parfois du temps pour comprendre vraiment ce qu’elle fait. Parfois, c’est seulement après quelques jours que tout change, que l’Histoire dévoile son jeu, qu’elle s’impose.

La rue devint encore plus inquiète quand en face des protestataires, des policiers, armées, casqués, équipés comme des soldats de science-fiction près a affronté une horde d’extraterrestres, sont apparus.

Des bottes, des pas, des centaines de milliers de pas qui vibraient se mêlaient à des cris sauvages, des insultes.

La rue aurait voulu s’effondrer pour éviter de voir la suite. Elle n’eut pas à ressasser cette pensée longtemps.

Déjà, le clan des policiers avaient lancé ses gaz lacrymogènes.

La rue fut surprise, des amies à elle lui avaient dit qu’ils y avaient des sommations avant ce genre d’action déclenchée par la police.

Elle devait se rendre à l’évidence que ce n’était pas juste une manifestation lambda.

Déjà, le clan des citoyens (enfin ‘clan’, c’est ce que déduisit la rue en ayant observé cette masse de personnes en colère) renvoyait à l’envoyeur ces sortes de cannettes de sodas fumantes.

Ce qu’elle a vu et vécu ce jour la fut son dernier jour.

Plus jamais elle n’eut à vivre à ce genre de situation. Depuis ce jour, elle a disparu et s’est promis de ne plus jamais accueillir d’être-humains sur son sol.

Jaskiers

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La loterie nucléaire – chapitre 6

Sabine s’approchait de son mari et le tirait par la chemise.

« – Benjamin, calme toi merde ! On as pas besoin de ça, arrête ça tout de suite !

  • Laisse-moi ! J’aime pas qu’on parle dans mon dos, et j’aime encore moins que ceux qui le font n’aient pas le courage d’assumer ! Venez !
  • Arrête, tu vas attirer la sécurité avec tes conneries !
  • Sécurité ? Sécurité de quoi ? Rien que des planqués ! Qu’ils viennent et je leur dirai leurs quatre vérités !
  • Si tu continues, c’est moi qui vais les appeler !
  • Tiens donc !
  • Benjamin arrête ! »

Sabine avait lâché ses derniers mots avec autorité, comme une mère rappelant son fils difficile à l’ordre. Et Benjamin se retourna vers sa femme, passa son bras autour de ses épaules et l’emmena sur un banc. Il suffisait de parler à son mari comme une mère parlerait à son enfant pour le ramener à la raison. Complexe d’oedipe ou, là encore, l’explication se cache t’elle dans les recoins les plus reculés de notre instinct ?

Après ce moment de tension, retournons vers Thomas, qui avait enfin trouvé une place assise. Il avait assisté, mais pas entendu, l’altercation du couple avec les voyageurs sur le quai d’à côté, par la vitre contre laquelle il avait posé sa tête, l’alcool pesant sur le cerveau, sur les muscles et, trop imbibé, le corps miné a besoin de soutien.

« – L’amour, à cette époque ? Des projets ? Des enfants ? Une maison ? Les crédits ? Les disputes ? Les violences verbales et physiques ? Les enfants qui tournent mal ? Le divorce ? Les avocats ? Les coups bas ? Qui en sortira avec le plus d’argent ? La bataille pour la garde des gamins ? Une famille recomposée ? Non ! Peu pour moi, je cède ma place ! Jamais ! À cette époque croire en l’amour ? C’est niais. Croyez en une mort certaine, ça, tout le monde y passe, riche ou pauvre, idiot ou génie (les deux sont d’ailleurs parfois en une même personne, le génie de la connerie, et la connerie du génie), gros ou maigre, chômeur et travailleur, enfin… la liste pourrait continuer indéfiniment. Tiens… je me demande si ceux qui balancent les bombes arrivent à dormir et à se regarder dans la glace le matin. Ils sont sûrement chargés de drogues, ou ça ne m’étonnerais pas qu’ils soient manipulés jusqu’à croire qu’il joue à un jeu-vidéo. Je divague… J’ai envie de vomir mes tripes… Plus je vieillis, plus je picole et moins je tiens l’alcool… s’est pas normal ça. Sûrement un cancer, un truc au foie ou à l’estomac. Tiens, je devrai me mettre à fumer, histoire de viser le cancer du poumon ou de la gorge. J’aurai une chance de me voir mourir, de passer de l’autre côté, au lieu que ma vie finisse en un clin d’œil. Si on réfléchit bien, fumer et boire, c’est un peu comme un suicide lent. Ceux qui sautent d’une falaise ou se font sauter le caisson, eux, ils utilisent la manière rapide. Mais ils sont jugés, vilipendés, l’église ne veut pas célébrer leurs funérailles. Par contre, ceux qui, comme moi, se tuent à petit feu, on ne leur dit rien. C’est un suicide, plus long qu’une bastos dans la caboche mais, au final, c’est pareil. Quel monde étrange. Attends, n’est-ce pas du suicide de sortir de chez soi à notre époque ? Attends, pire, rester chez soi, c’est du suicide aussi ! Une bonbonne atomique ça te fait t’évaporer de la surface de la planète que tu sois dedans ou dehors. Non, le mieux c’est un bunker souterrain ! Mais c’est interdit, enfin je crois… J’évite de trop réfléchir. Ça demande des matériaux nécessaires à l’effort de guerre, ainsi que de la main d’œuvre et tout et tout… Plutôt qu’ils ne veulent pas provoquer la panique en disant que les abris anti-atomiques sont nécessaires… et, en filigrane, ils veulent surtout être sûrs que l’on crève. Ma pauvre petite dame, ne retiens pas la rage de ton bonhomme, laisse le déverser sa bile, ils ne nous restent pas longtemps à vivre, vivons pleinement, et surtout goulûment ! »

Comme à son habitude, Thomas avait pensé tout haut. Chaque passager dans son wagon étaient passés dans celui de devant ou de derrière après avoir entendu sa rente.

« – Je pari qu’il y en a un qui va baver aux autorités ! Je ne sais pas si les prisons sont ciblées par les bombardements… en fait, je n’ai jamais entendu parler d’une bombe ayant atterri sur un pénitencier… C’est peut-être une bonne planque ! Ça et bosser pour le gouvernement. Étrange époque, mais on s’y fait, l’être humain s’habitue à tout ! Et je dirais presque que je l’aime, cette période sombre… »

Le train de Thomas enclenche sa marche en avant, doucement, il quitte la gare. Il enlève sa tête de la vitre, les vibrations que provoque le contact de son cerveau éméché avec la vitre du wagon ne faisaient pas bon ménage avec son état. L’ingénieur ne peut s’empêcher de vomir sur le dos du siège en face de lui. Dégouté par l’odeur de son propre vomi, mais se sentant déjà mieux, il déambula dans le wagon à la recherche d’un siège plus confortable. Il le trouva, s’affala dessus et allongea ses jambes sur le siège de devant. Si un contrôleur passait, il aurait été bon pour une bonne réprimande. Mais pour ça, le valeureux contrôleur aurait dû le réveiller. Et le sommeil d’un homme qui cuve est profond. Parfois le sommeil se transforme en coma.

Jaskiers

La loterie nucléaire – Chapitre 4

Les nerfs souffraient dans les deux pays. L’alcoolisme gagnait les populations. Si ce n’était pas l’alcool, on se faisait prescrire des anxiolytiques, des antidépresseurs et le tour était joué. L’abrutissement psychique semblait un des remèdes les plus efficaces pour les civils pour supporter la guerre moderne.

L’ingénieur alcoolique savait qu’il partait pour travailler sur un chantier militaire. La lettre ne le précisait pas mais les conditions évoquées ne lui laissent guère de doute, la clause de non-disclosure et le « chantier » situé dans la zone ouest.

« – Qu’importe ce qu’ils veulent de moi, je ne ferai pas mon boulot, du moins, par correctement. Je vais salement saboter l’ouvrage, tirer au flanc, rien à foutre de leurs sbires, on sait comment tout cela va terminer… »

Mais cette affirmation, Thomas la regrettait d’emblée. Non, personne ne savait exactement comment cela finirait. Enfin si, ceux en costard cravate. Eux savaient, eux avaient planifié. Il n’était même pas étonnant que les deux côtés furent en fait de très bon amis derrière le théâtre de guerre. Il n’y avait peut-être même pas de côté, ils s’enrichissaient à souhait, sans vergogne ni regret, tout en étant portés aux nues par leur peuple respectif.

« – Et puis, si je crève dans ce train, personne ne me regrettera. »

En effet, Thomas n’avait pas de femme, ni de mari. Pas peine d’avoir essayé pourtant mais l’alcool faisant son effet, il évitait de trop creuser sur ce côté de sa vie. Un échec.

Pas d’enfant non plus. Grand Dieux ! Qui oserait mettre au monde un enfant dans ces conditions ?

Qui ? Beaucoup en fait. De n’importe quel branche de métier, de situations diverses et variées, d’âges également. On trouvait toujours à mettre au monde un enfant même si les conditions de vie étaient exécrables. Peut-être était-ce dû à l’instinct. Perpétuer l’existence (et la subsistance mais Thomas arrête sa pensée là) de la race humaine.

Au sommet de la chaîne alimentaire, au summum de la connerie vivante. Numéro un pour s’entretuer et entraîner les autres espèces dans leur chute. En fait, même sur une planète aux conditions de vie incroyables, réunissant tout ce qui était primordial (et plus ? Trop peut-être ?) pour la vie, l’Homme semblait exceller à entraîner cette immense sphère dans sa chute. Parce que l’être humain a un ego. S’il échoue, tout le monde doit échouer, c’est comme ça. La loi du plus fort. Ou du plus idiot, du plus égocentrique, voir tout ça à la fois.

Le train de Thomas arrivait en gare. L’ingénieur prenait souvent son temps avant d’entrer dans le train, pendant que des passagers descendaient que d’autres montaient, il attendait presque le moment du départ pour admirer la machine qui allait le transporter à une vitesse impressionnante. Le génie humain, quand il est dirigé pour le bien de tous, est une bonne chose. Enfin, tout est relatif…

« – Tout n’est pas à jeter chez l’être humain, il faut chercher, mais on trouve parfois les bons côtés de notre espèce, les bonnes personnes. »

Thomas pensait tout haut, il avait cette habitude depuis tout gamin de laisser s’exprimer sa pensée à haute voix. C’était pour cela que les passagers le regardaient curieusement, le temps d’un instant. Certains s’arrêtaient parfois parce qu’ils pensaient qu’il leur parlait directement. Mais souvent, ils accéléraient le pas quand ils sentaient l’alcool émanent des pores de la peau de l’ingénieur, quand ils voyaient sa démarche titubante. Comme si être saoul était contagieux, comme si, jamais de leur vie ils n’avaient vu quelqu’un alcoolisé. Certains semblaient presque outrés, mais l’ingénieur se fichait du regard des autres depuis longtemps.

Il monta dans le train.

Sabine vit arriver le sien, et elle se demandait si elle devait annoncer la grande nouvelle à son mari.

Non, pas tout de suite. Ce n’est pas le genre d’annonce que l’on fait à la veille d’un enterrement. Quoique…

Benjamin ne desserrait pas la mâchoire, elle était crispée. Son mari était tendu. Quel serait sa réaction ? Quand serait le bon moment pour l’annoncer ?

Jaskiers