
C’était un rêve que j’avais fait, peut-être 1 ou 2 ans après avoir dit adieu à mon grand frère.
Mon grand frère, mon héros, a été le premier corps sans vie que j’ai vu de ma vie.
Je ne sais pas si vous avez déjà vu un corps sans vie, mais le choc est terrible. Surtout quand on a connu la personne, qu’on l’a côtoyé tous les jours depuis l’enfance. Mais je me rappelle que mon esprit n’acceptait pas les informations envoyées par mes yeux, impossible qu’un corps ne bouge plus, ne respire plus, ne vive plus.
Quelque chose s’est brisé en moi ce jour-là, je n’ai jamais vraiment pu me reconstruire. Encore moins quand j’ai dû voir le corps sans vie de mon père 10 ans après.
Mais revenant au début de l’article, je parlais d’un rêve que j’avais fait quelques années après cette vision traumatisante.
J’avais rêvé que je rentrais dans la chambre funéraire, toute la chambre était blanche, ne ressortait que le visage de mon frère, pâle, lui qui était toujours bronzé, les joues rouges et les yeux pleins de vies.
Je m’approchai de lui et son visage fermé se tourna vers moi. Je n’étais nullement effrayé, j’étais curieux. Je présumais qu’il voulait recevoir un bisou sur la joue, comme je l’avais fait en vrai. Je me rappelle encore aujourd’hui la froideur de sa peau, l’impression que j’embrassais quelque chose de synthétique. En écrivant ces lignes, me revient l’odeur, fade mais aussi forte, de la chambre funéraire. Cette odeur revient me hanter parfois. N’importe où, n’importe quand. Cette odeur me renvoie dans cette salle, directement. Elle me renvoie aussi à la chambre funéraire de mon père. Pour lui, je n’eus pas le courage de l’embrasser. Je ne voulais pas sentir encore une fois sur mes lèvres la peau sans vie d’un proche. Mais cette odeur, ce sens que nous ne pouvons pas contrôler, l’odorat, c’est peut-être la pire des choses. L’odorat et l’ouïe sont les sens que nous ne pouvons contrôler en situation de stress. Je présume cela. Je pense à ces soldats qui reviennent traumatisés de zones de conflits. Les feux d’artifices, les pétards peuvent déclencher de graves réactions de stress post-traumatique. Je présume que l’odeur aussi, peut provoquer ces choses. Ces deux sens sont des traîtres qui nous ramènent, contre notre gré, au pire moment de nos vies.
Bien sûr, les odeurs ne rappellent pas que des mauvais souvenirs, comme celles qui ramènent Proust du côté de Méséglise ou de Guermantes. Où même pourrions-nous parler du goût, de la sacro-sainte « madeleine de Proust ».
Si jamais vous n’avez jamais vécu de telles expériences, un petit exemple. Écoutez une musique que vous aviez l’habitude d’entendre ou juste d’écouter à une période difficile de votre vie et vous comprendrez. Je suis certain que cela touche tout le monde.
Mais revenons à la chambre funéraire onirique de mon frère.
Son visage tourné vers moi, je regardais fixement ses paupières quand ils s’ouvrirent d’un seul coup. Au lieu de pupilles, des roses d’un rouge vif, me fixaient.
Je ne me rappelle plus si j’avais eu peur, le temps joue des tours à la mémoire et je ne veux pas inventer. Je sais par contre que j’étais curieux, que je n’ai pas reculé. C’était étrange, terrifiant mais tout en étant beau, fascinant et hypnotique. Je me rappelle encore cette couleur rouges si intense encore aujourd’hui.
Et puis je me suis réveillé.
Jaskiers