Tout perdre – Chapitre 8

L’impact est violent, les flics et les Sans-Riens se mélangent dans une bataille au corps-à-corps, c’est une bataille homérique qui fait rage.

Vous prenez quelques coups, dans la tête, les côtes, les bras et parfois les jambes. Mais vous ne vous arrêtez pas, la fuite, c’est votre but. Savoir qui vous a frappé et rendre les coups signerait votre arrêt de mort.

Vous sentez l’air du dehors, il est frais, ça change de l’air vicié que vous avez respiré jusqu’ici dans le camion-cellule et le hangar.

Il fait nuit, mais les grandes lumières donnent l’impression qu’il fait encore jour. Vous continuez à avancer dans la mêlée. Votre équipe gagne du terrain, certains ont eu la même idée que vous. Ils vous dépassent, une bonne chose, car les flics se concentreront sur eux en premier et cela vous donnera plus de temps et d’opportunités pour trouver le moyen de vous enfuir.

Ça pétarade encore, des corps tombent, vous trébuchez pour vous relever immédiatement. Les yeux aux aguets. Des tours de guets, des explosions, un grillage surmonté de barbelé électrifié, ceux qui vous ont dépassé se jettent dessus, leur corps tressautent avant qu’une fumée et que les flammes les consument. Certains cochons sont projetés dessus, cochons grillés.

Puis, une explosion plus forte que les autres, la foule belligérantes vous entraîne inévitablement vers le grillage. Vous serrez les dents quand vous le touchez. Rien ne se passe. La pression de la foule pleine de rages est tellement forte que vous êtes plaqué contre cette barrière qui cède.

Vous tombez, des gens tombent sur vous, trébuchent, vous piétinent. Utilisant la force du désespoir, la liberté étant toute proche, vous forcez sur vos bras, réussissez à vous dégager et vous courrez. Encore et encore. Des corps tombent raide mort devant et à côté de vous, vous slalomez, et utilisez votre adrénaline pour la dernière ligne droite. Une forêt, cette nature qui brûlait il y a quelques années est maintenant votre refuge.

Après vous êtes profondément enfoncé dedans, vous vous arrêtez, épuisé. D’autres survivants apparaissent, certains décident de se regrouper pour continuer leur fuite, l’union fait la force. D’autres repartent seuls. Des cochons sont à vos trousses mais ils ne connaissent pas la nature comme un Sans-Rien la connaît. Vous profitez du terrain pour vous camoufler, grimper dans un arbre, sous des racines, dans des buissons. Puis, après avoir attendu la nuit, vous avancez jusqu’à retrouver un bon paquet de survivants avec la même connaissance de la survie que vous.

Et vous voici libre.

Si vous avez besoin, ou envie, je ne sais pas quel est le terme approprié, des ami(e)s qui n’ont malheureusement pas pu s’échapper et qui ont survécus vous écriront leurs histoires. Ma connaissance de l’univers carcéral du Gouvernement Unie s’arrête à cette évasion. J’ai eu la chance de réussir à m’enfuir, et je m’apprête à venger mes amis, mais je vous expliquerai cela plus tard.

Revenons à la vie dans la jungle urbaine.

Le Gouvernement Unie, qui semblait nous délaisser, envoyé parfois quelques missionnaires pour essayer de nous remettre sur le droit chemin.

Ce n’était pas un travail facile pour eux, beaucoup avaient l’audace de rentrer dans des squats ou des repères de Sans-Riens. Et ils repartaient avec un nez cassé, des ecchymoses partout sur le corps, des dents en moins, un œil au beurre noir et, s’ils avaient eu l’excellente idée de venir avec des objets de valeurs, voir des objets pour nous appâter, ils ressortaient culs nus.

Je ne sais comment ces gens ont été recrutés, et encore moins comment ils ont été convaincus de faire ce sale boulot.

À ma connaissance, jamais de Sans-Riens n’ont accepté de revenir dans les rangs grâce à ces pauvres agents.

Toujours est-il que le Gouvernement Uni n’a jamais baissé les bras et a décidé d’utiliser la technologie pour nous ramener dans ses filets.

Jaskiers

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Merci pour votre service ! – Partie 1/3

Ma sœur allongée sur son lit d’hôpital, ma mère assise à ses côtés et moi, droit comme un piquet au milieu de la chambre.

L’opération à l’estomac qu’elle doit subir se déroulera demain matin, très tôt. Les larmes coulent le long de joues des deux femmes de ma vie. Moi, je peine tellement à pleurer, à trouver les émotions, celles normales qui font de vous un être… normal.

Le chirurgien entre, un homme dans les cinquante ans, bedonnant, marchant avec les bras pliés et éloignés le long du corps, comme s’il attendait à tout moment qu’une infirmière lui enfile une blouse et des gants. Un homme dont la vie est dominée par son travail, jusque dans son corps.

Voyant l’émotion, il parle :

« – Hey bien, hey bien, pourquoi les larmes de crocodile ? Vous êtes prêtes, tout se passera bien.

  • Docteur, c’est la toute première fois qu’elle se fait opérer. Elle a peur de se réveiller en pleine opération, dit ma mère.
  • Cette peur, beaucoup de gens l’ont, mais rassure toi petite, l’anesthésiste va mettre ce qu’il faut et avec nos moniteurs, on peut voir si tu te réveilles. Mais c’est impossible, croit moi. Quand tu vas t’endormir, il faut que tu penses à quelque chose de positif. Il y a souvent des gens qui rêvent pendant l’anesthésie ! Et, vous avez de la chance car, maintenant, avec les produit que l’on utilise, les gens font de beaux rêves. Avant, certains faisaient de terribles cauchemars !
  • C’est vrai ? Demande ma sœur.
  • Oui petite ! Pense à ton chanteur ou ta chanteuse préféré, quelque chose qui te donne le sourire ! »

Les deux demoiselles essuient leurs larmes, des sourires se dessinent sur le visage.

Le docteur reprend, et à mon grand étonnement, s’adresse à moi. Par réflexe, je me redresse.

« – Et vous jeune homme ! Vous êtes le frangin.

  • Oui.
  • Pas trop l’air chamboulé vous !
  • Je le suis mais… je ne le montre pas.
  • Ah ! Ces hommes… mes pauvres dames ! »

Ma mère et ma sœur me regardent, avec, dessiné sur le visage, de légers sourires narquois. Je souris en retour.

Le docteur reprend, toujours à moi.

« – Droit comme un i, les mains derrières le dos ! Vous êtes soldat vous !

  • De retour à la vie civile.
  • Ah ! Voyez mesdames, je suis aussi mentaliste ! Si l’anesthésie ne fonctionne pas sur toi petite, je t’hypnotiserai ! »

Des éclats de rires. Le docteur est rodé, il sait comment détendre l’atmosphère. Il me tend la main. J’hésite quelques secondes, veut-il quelque chose, un objet ou veut-il me serrer la main ? J’hésite, la dernière option, à cause de la Covid, me semble peu probable. Je me retourne, regarde ce qu’il pourrait vouloir. Je ne trouve pas. Cela dure quelques secondes.

« – Serrez-moi la pince, soldat ! »

Je sors mon sourire de circonstance, gêné, je lui tends la main et la sers. Une bonne poigne, mais la mienne est forte. Il lâche le premier.

« – Vous étiez dans quelle branche ?

  • Dans l’infanterie.
  • Ah, moi j’étais chasseur alpin pendant mon service militaire ! J’étais un pur auvergnat, et ils ont dû penser que je connaissais la montagne à cause de notre volcan. Mais j’avais jamais skié de ma vie, la montagne, connaissais pas du tout !
  • Ils sont pleins d’humours, encore aujourd’hui.
  • Notre slogan, il est sur ma quille que j’ai gardé, c’était « Ne pas subir… et pourtant ! »
  • Toujours autant d’ambiguïté.
  • Ah ! Mais mes années de services ont peut-être étaient les plus belles ! J’y ai passé le permis poids lourd. Pour l’avoir, j’ai juste eu à faire le tour de la caserne avec un camion ! Et puis, j’sortais de ma petite cambrousse, j’ai vu du pays et fait des copains !
  • Ça a bien changé depuis votre époque.
  • C’est devenu si rigide que ça chez les bidasses ?
  • Je ne sais pas si je peux parler de rigidité, les choses sont juste plus réglementées. La technologie, les mœurs sociales, la société, pour l’armée, ça ne pouvait que changer.
  • On dit qu’on devrait remettre en place le service militaire ! Pour certains, ça leur ferait du bien !
  • Le passage à une armée de métier a changé beaucoup de choses. Je ne pense pas que le gouvernement ait le budget pour la remettre en place. Et puis, il n’y a plus vraiment de guerre… pas des guerres comme l’inconscient collectif le conçoit. L’éducation aussi a changé beaucoup de choses.
  • Oh, hey, ça m’a pas empêché de devenir chirurgien !
  • Je parlais pas dans ce sens. Les jeunes sont plus éduqués, donc moins prompts à voir l’armée comme quelque chose de positif.
  • L’armée c’est pas le problème, c’est une belle école de la vie. Mais la guerre, moi j’en ai pas fait, ça s’est sûr que ça doit pas être jolie.
  • Je confirme. »

Je n’aurais pas dû répondre à cette question. Comme souvent, les civiles aiment à en savoir plus quand ils apprennent que je suis, plus pour longtemps, soldat.

Jaskiers

Une opportunité rêvée – Chapitre 6

Je me réveillai dans une pièce blanche immaculée, allongé sur un petit lit.

Mes poumons me brûlaient moins, je pouvais me mouvoir plus facilement. Je découvris aussi que j’étais sous perfusion, un liquide bleu phosphorescent se déversait dans mon bras droit.

J’eus l’instinct premier de l’arracher mais considérant que mon état s’était amélioré, je pensais que c’était ce liquide qui me redonnait des forces.

La pièce n’avait aucune fenêtre, aucune horloge. Je n’avais aucun moyen de savoir l’heure. Par instinct, je mis mes mains dans mes poches à la recherche de mon portable mais ne trouva rien. Aussi étonnant que cela puisse être, jamais, au cours de cette expérience on ne me demanda de me changer. J’étais resté habillé comme j’étais entré.

La tête encore lourde, pas comme une migraine mais comme si mon cerveau pesait une tonne, je me rallongeais et dormis encore.

Je fus réveillé par le docteur.

« – Hey bien cobaye au bois dormant ! Bien dormis ?

  • Ouai…
  • Ça va mieux ?
  • Oui…
  • C’était quelque chose hein ?
  • C’était l’horreur oui…
  • Oh petit ingrat ! Tu es aux premières loges d’une révolution de la médecine !
  • Vous pouvez changer de disque un peu ! Je suis plutôt une victime de cette révolution.
  • Mais vous n’êtes pas une victime ! Arrêtez votre cinéma ! Et vous savez, vous avez signé de votre plein gré.
  • Oui, et je le regrette.
  • Ingrat !
  • D’ailleurs j’arrête, c’est fini. Payez-moi et laissez-moi filer.
  • Bien sûr que vous allez être payé ! Mais vous vous êtes engagé pour huit séances !
  • Je ne pensais pas affronter la mort.
  • La mort ? Mais quel acteur ! Quel acteur ! Vous n’avez pas affronté la mort ! Au contraire, vous étiez immortel !
  • C’est ça le truc donc, vous voulez rendre l’humain invulnérable ?
  • En gros oui ! Savez-vous combien de temps vous êtes resté la tête sous l’eau ?
  • J’en sais rien, je n’avais aucune notion du temps.
  • Estimez ! Allez !
  • Ce n’est pas un jeu ! J’arrête tout !
  • 21 minutes sous l’eau ! Presque une demi-heure sous l’eau et sans mourir ! Vous pouviez même bouger autant que vous le vouliez, enfin prenant en compte que vous étiez attaché à une planche mais jamais vous n’avez perdu conscience sous l’eau !
  • Mais après si !
  • Mais c’est à cela que vous servez cobaye !
  • Arrêtez de m’appeler cobaye. J’arrête aujourd’hui !
  • Voyons, un contrat est un contrat.
  • Hey bien je le romps ce contrat !
  • Malheureusement… cela me chagrine vraiment et je comprends votre colère, ou plutôt votre peur. Mais vous êtes obligé de remplir les clauses de votre contrat.
  • Je prendrai un avocat, je ferai tout mon possible pour arrêter ce calvaire.
  • Rien ne vous empêche d’agir comme cela mais, voyez-vous… nous sommes… riches. Riches et avec des… contacts. Contacts assez haut placés pour vous mettre des bâtons dans les roues. Voyez… vous êtes à la fac et… en quelque coup de fil, je pourrai m’arranger pour que votre année ne soit pas validée, modifié quelque résultat de partiels à votre désavantage, faire propager quelques rumeurs… pas très glorieuses à votre propos.
  • Ah bon, vous vous donnerez tant de mal que ça pour moi ?
  • Évidemment ! Vous êtes précieux pour nous cobaye !
  • Arrêtez de m’appeler cobaye maintenant !
  • Il serait tellement dommage, tellement, que quelque chose de fâcheux arrive à votre mère ou à votre sœur. D’ailleurs, comment ça se passe son entrée au lycée à cette dernière ? »

Je pâlis à ces dernières paroles. Le docteur menaçait ma famille, une menace est une chose mais une menace avec des informations précises sur un point de pression sensible, dans mon cas ma famille, c’est tout autre chose.

Même si je décidais de lutter et d’en subir les conséquences, je ne voulais en aucun cas mettre ma famille en danger.

Il me tenait. J’étais un cobaye. Son cobaye.

Jaskiers

Cette matinée très bizarre

La journée avait commencé comme n’importe quelle autre. Rien de différent, la routine d’une famille moyenne dans un HLM pourrie de l’hexagone.

Les samedis, on glande au lit, on ne fait rien, on déguste bien comme il faut une grasse matinée bien méritée. Je suis le plus jeune de la famille, mon frère a 22 ans et vit encore à la maison. Pour lui, ça n’a rien de mal à ce qu’on soit encore chez ses parents à 22 ans, ce n’est plus l’époque formidable de nos parents, mais une autre.

J’ai mon père qui travaille comme cheminot. J’ai toujours trouvé ce mot rigolo.

« – Tu fais quoi dans la vie ?

  • Cheminot ! »

Peut-être que ça me fait rire parce que ca rime avec poivrot. En faite, ces deux mots se marient plutôt bien dans la vraie vie. Quand mon père ne travail pas, il est souvent au bar du quartier à « jouer au ‘Paix Aime U’», « à dilapider de l’argent pour des ‘chies mères’ », dit maman. Je présume que des ‘chies mères’, c’est des femmes, je suis un grand garçon je sais des choses, je les comprends mais je donne l’impression que non, comme ça, je garde un certain avantage sur les autres. Mais il joue aussi aux jeux d’argent. J’ai jamais entendu papa revenir à l’appartement en criant : « Chéri les enfants j’ai gagné ! À nous les Bahamas ! ». Non lui c’est plutôt : « T’as fait quoi à manger ? – Steak frite mais c’est froid, si t’en veux, fais les réchauffer, je vais pas passer mes soirées à t’attendre. »

Souvent, après, ça gueule et sa part dans des histoires pas possibles de « baise », de « putain », de « feignasse ». Ce dernier mot , il aime le dire car ma mère ne travail pas. Quand on lui demande ce qu’elle fait dans la vie elle répond « mère au foyer ». Moi je pensais qu’elle disait « maire » au foyer au début, ce qui, en fait, a du sens. C’est elle qui commande, qui gère les comptes et on l’aime tous, chacun a notre manière, donc c’est comme si on l’avait élue avec notre cœur et notre affection, unanimement !

Enfin je reviens à ce jour où tout avait commencé comme d’habitude. Je suis le plus jeune, moi je fais pas de grasse matinée car je préfère jouer. Dormir quel gâchis de temps !

Donc je me lève, normalement, mais je sens au fin fond de moi que quelque chose est bizarre. Mais je suis parfois angoissé, ma mère dit que je suis déjà ‘nez rosé’. Je sais pas ce que ça veut dire mais je pense que c’est lié à mes angoisses.

Je sors mes céréales, le lait, ma cuillère fétiche et je bouffe. Très sucré les céréales donc je vais me brosser les dents. Vous pensez peut-être que je suis bien élevé mais c’est juste que je déteste le dentiste, donc je brosse mes dents pour éviter d’y aller.

Là, en me regardant dans le miroir au-dessus de l’évier, j’observais mon visage et y’avait quelque chose qui clochait. Parfois j’y réfléchis et je pense que en faite, les traits de mon visage… bougeaient. Oui, comme quand on regarde son reflet dans l’eau, mais c’était très léger.

Il m’en a pas fallu plus pour gerber. Mais j’ai eu le réflexe de le faire dans la baignoire ! Mais je vomissais un peu violet.

Et c’est là que tout est parti en vrille.

Mon père est sorti de sa chambre en caleçon comme un taureau ! BAM la tête la première, il saignait et il gueulait !

« Holà gros connard ! Holé ! No pasarán! »

Ah oui, le père de mon père il était espagnole, ça explique maintenant ses paroles quand j’y repense.

Et là mon frère sort en t-shirt de sa chambre, et il semble marcher comme les deux américains qui ont un jour marchés sur la Lune (papa dit que c’est un prénommé Stanley ‘Cubique’ qui a filmer ça dans un hangar sur Terre, et mis en scène par la CIA). Il me regardait, la bouche en « O » et les yeux pareils ! Et il répétait, péniblement : « Mais putain on est où ».

Et là ma mère est sortie mais moi je voyais sa peau toute verte, juste verte, rien d’autre, comme si elle avait sauté dans la peinture.

Et là mon père il s’est encore mis à gueuler : « Holà ! No pasarán ! » et il faisait semblant d’être un torero. Il pensait que ma mère était un taureau. Mais je peux vous dire qu’elle n’avait rien d’un taureau.

Elle commença à parler une autre langue, enfin une langue étrange, faite de sortes de rots, de cris brefs, rauques et faisait claquer sa langue. Et elle nous regardait comme si nous étions des fous, comme si le fait que nous ne lui répondions pas était outrageant.

Mon frère continuait à marcher sur la Lune, il me demandait avec une voix lente comment nous avions atterri ici et, immédiatement, je vis les murs de l’appartement s’écrouler, comme si ils étaient en cartons, pas en ciment ni rien juste comme ça, et leur chute révéla que nous étions effectivement sur une autre planète.

Tout était rouge, l’atmosphère, l’air, le sol, j’avais peur ! Et ma mère était là, à marcher bizarrement comme si elle était un ours et mon père se mit à courir devant elle et il fit un saut et il disparut.

Je commençais à pleurer et je demandais à maman ce qui était en train de se passer. Elle me fixa du regard et me répondit. Bizarrement, d’un coup, je comprenais sa langue et elle me demandait de parler en français. Mon frère disait qu’on était sur Mars, moi je disais qu’on était en enfer et ma mère continuait à copieusement nous engueuler car nous parlions une langue inconnue.

J’entendais des cris, c’était comme si les voix parlaient à l’envers, comme si quelqu’un vous disait bonjour et qu’en faite vous disait « roujnob ». Ça fait un effet bizarre et y en avait au moins deux ou trois et évidemment je ne comprenais rien. En plus, elles était graves ces voix et je m’imaginais qu’un monstre extraterrestre venait nous tuer avec ses amis.

Donc je pleurais encore et mon frère me disait de me calmer car si ça se trouve les voix étaient gentilles mais ma mère s’approcha de moi, mit son bras autour de mon cou et criait de lui rendre son fils. En plus, elle commençait à serrer fort son bras contre ma gorge, je me débattais comme je pouvais mais elle était forte ! Genre une force comme si elle était en pierre, c’était impressionnant ! Donc je pleurais encore plus mais je ne pouvais pas crier.

Mon frère essayait de venir à ma rescousse mais il marchait encore au ralenti, j’avais le temps de mourir étouffé au moins trois fois avant qu’il arrive.

Et ma mère, toute verte, criait encore et encore de lui rendre son fils. Je bougeais comme une anguille en espérant glisser de sa prise mais aucun espoir.

Puis j’entendis un gros « boum » et les voix inversées de tout à l’heure se rapprochèrent !

Mais je commençais à avoir la vue qui se brouillait, comme un voile noir qui se posait devant mes yeux et là, à ce moment, je vis un énorme bras violet et poilus et un autre de couleur jaune ! Ils prenaient le bras de ma mère qui était autour de mon cou pour l’enlever et ils criaient dans cet étrange langage. Je pouvais respirer et en gigotant encore je pu sortir de l’étreinte de fer de ma mère mais là, un des monstres, le jaune, m’attrapa. J’en avais marre d’être maltraité donc je lui filais des coups de poings et de pieds et la voix du monstre se faisait encore plus grave.

Un autre monstre, de couleur orange, se jeta sur mon frère. Je criais et je frappais le monstre qui me ceinturait et je vis des lumières clignoter dans l’atmosphère et encore plus de cris !

J’étais épuisé j’en avais assez et je vis une navette, c’était elle qui émettait ces lumières qui était apparu peu avant l’intervention des créatures colorées. Et je vis des astronautes en sortir et je leur criais à l’aide car c’étaient les seuls humains que je voyais, depuis le début de cet étrange mâtiné, qui n’étaient pas des monstres ou juste bizarres.

L’un s’arrêta devant moi, ses lèvres bougeaient mais aucun son n’en sortait. Puis il sortit un pistolet, l’appuya sur mon torse et plus rien.

Je me réveillais à l’hôpital, plus de planète rouge ni rien. Une infirmière entra, elle était normale et parlait normalement. Elle était toute gentille et me dit qu’elle allait avertir le docteur et d’attendre sagement. Donc j’attendis.

Un vieux docteur arriva avec ma mère, mon frère et mon père, ce dernier en béquilles.

Ils m’expliquèrent que nous avions été empoisonnés à l’oxycarboné. Il y avait eu une sorte de fuite dans notre appartement et ce gaz empoisonne et peut donner des hallucinations ! Mais les nôtres, d’hallucinations. étaient très importantes donc ça voulait dire une grosse fuite de gaz, donc ma mère elle disait qu’on allait porter plainte contre l’immeuble. Je savais pas qu’on pouvait porter plainte contre un immeuble.

On m’expliqua comment mon père avait fini en béquille. Il avait sauté du balcon car il pensait que ma mère était un taureau ! Heureusement, nous n’étions qu’au premier étage donc il ne se fit qu’une méchante blessure à la jambe droite. Là, des habitants vinrent l’aider et ils comprenaient que mon père était drogué. Ils entendaient ma mère gueuler dans l’appartement et moi pleurer. Ils ont appelés les pompiers et réussit à rentrer dans notre appartement pour séparer ma mère qui m’étranglait !

Et puis les pompiers sont arrivés et m’ont faits une piqure.

Voyez, pas typique cette matinée !

Jaskiers

Cauchemar d’enfance

Était-ce le milieu de la nuit ? Au début ? À l’aube ?

Je ne me rappelle plus, seulement, je sais que la chambre était plongée dans la pénombre.

Pourquoi étais-je réveillé ? Je ne me rappelle plus.

Pourquoi je fixais la porte de ma chambre ? Vous avez deviné, je ne me souviens plus.

Est-ce que j’étais éveillé ou encore dans les bras de Morphée ? Encore une question sans réponse.

Ce dont je me rappelle, ce sont ces mannequins de boutiques, ceux que je voyais quand je passais devant cette boutique de prêt-à-porter, boutique qui dans mes souvenirs n’était jamais ouverte. Les mannequins n’étaient jamais habillés, il semblait y avoir de la poussière sur eux, de la crasse. Ces mannequins n’étaient pas ceux que l’on trouve habituellement dans les boutiques. Ils étaient plats, grands, aucunes formes, asexuelles. On distinguait évidemment la tête, les bras, peut-être un peu de hanche, les jambes et c’est tout. Mais ils étaient plats et chacun avaient sa couleur, bleu, rouge, gris, blanc, noir, vert.

Je passais devant souvent. La boutique était dans une galerie marchande où ma mère m’emmenait pour faire les courses et je jetai toujours un coup d’œil à ces mannequins, abandonnés au regard de tout le monde.

La nuit dont je parle, ces mannequins ont ouvert la porte de ma chambre, ils étaient toujours aussi plats, leur bras et jambes bougeaient et c’était tout. Qu’ils étaient maigres ces bras et ces jambes ! Mais ils étaient sûrs de leur mouvement. Celui (ou celle…) qui avait ouvert la porte était le mannequin de couleur jaune, j’ai vu sa main et son avant-bras lentement redescendre à ses flancs après avoir ouvert la porte pour lui et ses camarades.

Ils rentrèrent tous, toutes les couleurs et s’installèrent debout, devant mon lit et ne bougèrent plus.

Attendaient-ils de moi quelque chose ? Voulaient-ils que je les habille ? Que je leur parle ?

Je n’en sais rien car j’ai crié et me suis caché sous ma couette. Le temps que ma mère arrive pour demander ce qu’il se passait et me rassurer, ils avaient disparus.

Cauchemar… Cauchemar ? J’avais environ 6 ans, je me rappelle distinctement les voir rentrer doucement, et même si leur visage n’était qu’un vulgaire ovale sans traits aucuns, j’étais persuadé qu’ils me regardaient. Maintenant encore, quand il m’arrive de repenser à cette horreur onirique, je ne m’en rappelle pas comme d’un cauchemar mais comme un vrai souvenir, comme si j’étais éveillé et que ces mannequins étaient vraiment entrées dans ma chambre. Qu’ils étaient vivants, avec une conscience. Si je me concentre, j’ai presque l’impression qu’ils m’ont parlé, pas physiquement, ils n’avaient pas de bouches mais communiquaient par télépathie.

Pourquoi étaient-ils venus ME voir, moi un enfant et pas un autre ? Que me voulaient-ils ? Que me serait-il arrivé si ma mère n’était pas venues à mon secours ?

Peut-être qu’en fin de compte, tout ceci était un rêve, enfin un cauchemar. Même si ma mère ne s’en souvient pas du tout, et pourtant, je n’étais pas le genre d’enfant à crier et à appeler à l’aide après un mauvais voyage onirique.

Après tout, pourquoi, après cette nuit, les mannequins avaient disparu de la boutique ?

Tant de questions, dans un monde qui est obsédé par les réponses. Je ne cherche pas plus loin, les choses sont parfois mieux laissées sans réponses.

Jaskiers

Rêve de chambre funéraire

C’était un rêve que j’avais fait, peut-être 1 ou 2 ans après avoir dit adieu à mon grand frère.

Mon grand frère, mon héros, a été le premier corps sans vie que j’ai vu de ma vie.

Je ne sais pas si vous avez déjà vu un corps sans vie, mais le choc est terrible. Surtout quand on a connu la personne, qu’on l’a côtoyé tous les jours depuis l’enfance. Mais je me rappelle que mon esprit n’acceptait pas les informations envoyées par mes yeux, impossible qu’un corps ne bouge plus, ne respire plus, ne vive plus.

Quelque chose s’est brisé en moi ce jour-là, je n’ai jamais vraiment pu me reconstruire. Encore moins quand j’ai dû voir le corps sans vie de mon père 10 ans après.

Mais revenant au début de l’article, je parlais d’un rêve que j’avais fait quelques années après cette vision traumatisante.

J’avais rêvé que je rentrais dans la chambre funéraire, toute la chambre était blanche, ne ressortait que le visage de mon frère, pâle, lui qui était toujours bronzé, les joues rouges et les yeux pleins de vies.

Je m’approchai de lui et son visage fermé se tourna vers moi. Je n’étais nullement effrayé, j’étais curieux. Je présumais qu’il voulait recevoir un bisou sur la joue, comme je l’avais fait en vrai. Je me rappelle encore aujourd’hui la froideur de sa peau, l’impression que j’embrassais quelque chose de synthétique. En écrivant ces lignes, me revient l’odeur, fade mais aussi forte, de la chambre funéraire. Cette odeur revient me hanter parfois. N’importe où, n’importe quand. Cette odeur me renvoie dans cette salle, directement. Elle me renvoie aussi à la chambre funéraire de mon père. Pour lui, je n’eus pas le courage de l’embrasser. Je ne voulais pas sentir encore une fois sur mes lèvres la peau sans vie d’un proche. Mais cette odeur, ce sens que nous ne pouvons pas contrôler, l’odorat, c’est peut-être la pire des choses. L’odorat et l’ouïe sont les sens que nous ne pouvons contrôler en situation de stress. Je présume cela. Je pense à ces soldats qui reviennent traumatisés de zones de conflits. Les feux d’artifices, les pétards peuvent déclencher de graves réactions de stress post-traumatique. Je présume que l’odeur aussi, peut provoquer ces choses. Ces deux sens sont des traîtres qui nous ramènent, contre notre gré, au pire moment de nos vies.

Bien sûr, les odeurs ne rappellent pas que des mauvais souvenirs, comme celles qui ramènent Proust du côté de Méséglise ou de Guermantes. Où même pourrions-nous parler du goût, de la sacro-sainte « madeleine de Proust ».

Si jamais vous n’avez jamais vécu de telles expériences, un petit exemple. Écoutez une musique que vous aviez l’habitude d’entendre ou juste d’écouter à une période difficile de votre vie et vous comprendrez. Je suis certain que cela touche tout le monde.

Mais revenons à la chambre funéraire onirique de mon frère.

Son visage tourné vers moi, je regardais fixement ses paupières quand ils s’ouvrirent d’un seul coup. Au lieu de pupilles, des roses d’un rouge vif, me fixaient.

Je ne me rappelle plus si j’avais eu peur, le temps joue des tours à la mémoire et je ne veux pas inventer. Je sais par contre que j’étais curieux, que je n’ai pas reculé. C’était étrange, terrifiant mais tout en étant beau, fascinant et hypnotique. Je me rappelle encore cette couleur rouges si intense encore aujourd’hui.

Et puis je me suis réveillé.

Jaskiers

Un coma et puis…

Fiction

Je suis réveillé depuis plus de 24 heures, d’un coma, apparemment.

Personne, seulement le personnel de l’hôpital était à mon chevet à mon réveil.

Le médecin m’a demandé si je me souvenais de ce qu’il s’était passé. Je n’ai aucune idée de comment je suis arrivé ici, pourquoi je suis sortie d’un coma et surtout comment j’y suis entré.

Quand j’ai demandé pourquoi, comment je m’étais retrouvé ici, ils me répondaient qu’ils ne pouvaient rien me dire. La police devait venir me poser des questions.

Un accident de voiture ? Une agression ? Un accident quelconque ? Personne ne voulait me dire les raisons de mon putain de coma !

La police arriva quelques heures après mon réveil, j’étais fatigué, encore alité, je le suis encore d’ailleurs.

Les policiers sont arrivés, un, grand et gros, et une jeune femme, le gros était l’archétype du flic bourru. La jeune était très fluette, maigre comme un clou.

Même pas un bonjour, directement aux questions :

« – Bon, on va faire vite, vous rappelez vous de quelque chose ?

  • Avant le coma ?
  • Évidemment ! » Répondit le gros flic en roulant des yeux.

Il ouvrit promptement son carnet, appuya sur son stylo et le donna à la jeune femme flic.

« – Reb’, tu notes d’accord ?

  • Oui chef.
  • Oui, donc avant le coma, vous rappelez vous de ce qui s’est passé ? Ce qui vous a amené dans ce lit.
  • Je ne sais même pas combien de temps j’ai passé dans le coma ! Les médecins n’ont pas voulu trop m’en dire.
  • 2 mois, répondit la flic.
  • Reb’ ! Fermes-la ! C’est moi qui parle avec le suspect !
  • Suspect ? De quoi ?
  • Justement, vous rappelez-vous de quelque chose, un détail ?
  • Je ne sais rien… je sais même pas ce que je… écoutez, je me suis réveillé, je ne me souvenais que de mon nom et prénom, mon adresse et l’année. Le reste je ne me rappelle plus de rien monsieur l’agent…
  • Tu notes Reb’ tu notes.
  • Oui oui.
  • Ecoute-moi bien le comédien, dis-moi maintenant ce qui s’est passé, et tu auras beaucoup moins de problèmes.
  • Mais je vous dis que je ne me rappelle de rien !
  • Ça t’arrangerait !
  • Mais qu’est-ce qu’il s’est passé !
  • Dite-le-nous !
  • Mais puisque je vous dis que je n’ai aucune putain d’idée…
  • Restez poli !
  • Bien dis Reb’ mais occupes toi de noter.
  • Je me réveille d’un coma de 2 mois, aucun souvenir de ma vie d’avant à part le plus important. Mon adresse, prénom et nom. Le reste je ne me souviens de rien. Vous n’avez qu’à parler au médecin.
  • Justement, il nous a dit que les souvenirs allaient sûrement revenir, tout doucement. Mais je t’ai connu moi, enfin le toi d’avant. Tu étais un sacré connard !
  • Dite m’en plus…
  • Ce serait te faire un trop beau cadeau salopard !
  • Partez, je ne suis pas en état d’arrestation n’est-ce pas ?
  • Oh non, ce serait trop beau !
  • Laissez-moi, je n’ai rien à vous dire car je ne me rappelle de rien. Notez ça agent Reb’, suspect ne se souvient de rien.
  • Je n’ai pas d’ordre à recevoir de vous !
  • Exactement ! Petit salopard, tu sais quoi, c’est Dieu, dans sa miséricorde, qui t’a enlevé tout souvenir de ta vie d’avant.
  • J’ai… putain mais vous allez me dire ce qui s’est passé pour que je finisse ici.
  • Disons… certaines personnes parleraient de Karma.
  • Oui d’accord, j’ai bien compris mais qu’est-ce que j’ai fait ?
  • Je vais respecter mon Seigneur qui, par la perte de mémoire, vous préserve d’être tourmenté par… votre ancien vous.
  • S’il vous plaît !
  • Ok Reb’, on y va !
  • Mais attendez… »

Les deux policiers partirent et je restais seul. Je m’endormis, aucun rêve.

Après des examens, IRM, scanner, les médecins confirmèrent que ma perte de mémoire pouvait se soigner facilement avec une thérapie et un traitement, et surtout beaucoup de repos.

Je ne veux plus me souvenir de ma vie d’avant.

Le gros flic a sûrement raison, si le destin a décidé cela, peut-être mieux vaut-il que je vive sans souvenirs.

Je me suis réveillé avec le journal sur la table de chevet ce matin. Je l’ai pris. Un encart était entouré au crayon fluo :

« Le principal témoin dans l’affaire des policiers « ripoux », Joseph A., victime d’un grave accident de voiture quelques jours avant sa déposition au tribunal, se serait réveillé hier, deux mois après son accident.
Des sources nous apprennent qu’il souffre d’amnésie temporaire.
Un sursis pour les « ripoux » ? Rien de plus sûr, car à en croire nos sources, la mémoire de Joseph A. pourrait revenir. Mais est-ce que sa déposition sera crédible aux yeux du jury ? Là encore, rien n’est sûr. »

Cette nuit j’ai entendu du bruit, comme quelqu’un faisant des allers-retours dans le couloir, devant ma porte. Je pensais que c’était un infirmier, quelqu’un de garde. Je pense maintenant que ce n’était pas un infirmier. « Ils » ne prendront pas le risque de laisser ce témoin gênant recouvrir la mémoire.

Et je ne peux pas m’enfuir et encore moins me défendre.

Jaskiers