Mémoires de pavés (Nouvelle)

Regroupés en masse dans cette rue historique, la plupart sont vêtus de noir, de capuches, de masques à gaz, de bandanas, de casques de protection en tout genre ; militaires, ouvriers, et même des casques de fortunes fait de casseroles. Certains portent des chaussures de sécurités, d’autre de robustes chaussures de randonnée montantes. Des genouillères, des coudières, des gants, pour les plus débrouillards, ou chanceux, des gilets pare-balles.

Aucune personne sans armes. On ne parle pas d’armes à feux, bien qu’il est très probable que certains cachent un calibre, mais d’armes blanches, couteaux, sabres et autres épées, battes de baseball, des poings américains, des barres à mine, et enfin, tout objet qui peut servir d’arme que l’on peut trouver dans une maison ou appartement.

Des parapluies étaient ouverts et déployés, brandit, bien que le ciel, légèrement nuageux, n’annonçait aucune averse. Certains brandissaient des couvercles de poubelles ou de vulgaires planches de bois mal taillées.

Evidement, il y avait les cocktails Molotov. Un vieux classique en période d’insurrection. Les bouteilles en verre d’où sortaient un bout de tissus se trouvaient dans les mains de presque chaque personne présente ce jour-là.

Pour la rue historique, qui avait connue tant de défilés militaires, de visite de dictateurs, de chefs d’États, de touristes perdus, ce défilé de milliers de civils armées n’était pas vraiment une nouveauté. Oh, oui, elle avait vu des guerres, des cadavres, pas mal de violence policière mais des citoyens armés ? Ce n’était pas la première fois même si c’était rare.

Elle n’avait, par contre, jamais vue autant de ressentiment et de colère battre ses pavés et trottoirs centenaires. Plus de respect pour les vieilles dames !

Dans les moments historiques, les pas lourds, remplis d’excitations ou de peurs, elle connaissait. Elle les aimait d’ailleurs. C’est un honneur d’être foulé par l’Histoire. Mais cette foule, c’était quelque chose d’autre. Une chose qu’elle n’était pas sûr de vouloir, ou pouvoir, supporter. C’était peut-être le signe de la fin, d’une fin. De quoi ? L’Histoire ne révèle pas ses secrets si vite, il faut parfois du temps pour comprendre vraiment ce qu’elle fait. Parfois, c’est seulement après quelques jours que tout change, que l’Histoire dévoile son jeu, qu’elle s’impose.

La rue devint encore plus inquiète quand en face des protestataires, des policiers, armées, casqués, équipés comme des soldats de science-fiction près a affronté une horde d’extraterrestres, sont apparus.

Des bottes, des pas, des centaines de milliers de pas qui vibraient se mêlaient à des cris sauvages, des insultes.

La rue aurait voulu s’effondrer pour éviter de voir la suite. Elle n’eut pas à ressasser cette pensée longtemps.

Déjà, le clan des policiers avaient lancé ses gaz lacrymogènes.

La rue fut surprise, des amies à elle lui avaient dit qu’ils y avaient des sommations avant ce genre d’action déclenchée par la police.

Elle devait se rendre à l’évidence que ce n’était pas juste une manifestation lambda.

Déjà, le clan des citoyens (enfin ‘clan’, c’est ce que déduisit la rue en ayant observé cette masse de personnes en colère) renvoyait à l’envoyeur ces sortes de cannettes de sodas fumantes.

Ce qu’elle a vu et vécu ce jour la fut son dernier jour.

Plus jamais elle n’eut à vivre à ce genre de situation. Depuis ce jour, elle a disparu et s’est promis de ne plus jamais accueillir d’être-humains sur son sol.

Jaskiers

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Hier, ce fut loin. (Nouvelle)

Mon casque me tombait sur le nez, c’était chiant, avec le mouvement et la sueur, ça m’irritait le pif. J’ai l’air d’un con avec le nez tout rouge, déjà que j’ai l’air con sans rien.

Mais c’était la nouvelle drogue, la nouvelle hype ! On aimait ça, putain !

J’me rappelle plus où était le bouton pour l’allumer, devant sûrement, parce que quand t’es partie loin dans ta tête, vaut mieux que ça soit placé pas loin. Parce que c’est bien gentil de descendre mais faut remonter… malheureusement.

Souvent, je le faisais seul, c’est un truc d’addict, enfin, à ce qu’il parait. Mais j’imagine une planque de camé du casque, des types se grimpant dessus, grattant les murs, lavant les vitres avec la langue, d’autre essayant de creuser un tunnel jusqu’à Katmandou en creusant avec leurs épaules… et tout ça avec la gueule recouvert d’un casque. Mince, les autres camés ils sont calmes quand ils se sont piqués, nous, on été juste agités, heureux hein !, mais agités… intenables. Putain, combien de casqués se sont défenestrés ? Combien se sont foutus en travers des rails de trains ou de métros ? Combien se sont jetés sous les roues d’une voiture ? Combien se sont noyés ? Attends, d’autres se sont enterrés vivants !

Je peux pas t’expliquer ce qu’était vraiment le casque. En fait, si je peux, mais je ne veux pas. Car je m’en suis sortie, mais j’y suis rentré à cause d’histoires et de sensations que je voulais, et dont j’avais besoin, de ressentir. Parce que pour dire la vérité, c’était incroyable. Chaque session c’était partir quelque part, du Japon à la ceinture d’astéroïde de Saturne, du sommet de la Tour Eiffel aux Piliers de la Création ! Tu peux pas comprendre. Impossible. T’as déjà entendu parler du LSD ? De l’ayahuasca ? Et bien imagine ça, mais puissance cent… non… rajoute quelques zéros, puissance mille l’ami(e).

Même des personnes bien rangées, on en connaît tous qui fument un peu de marijuana hein ? Voir même un peu de coke par-ci par-là… et bien ces types tombaient comme des mouches sous l’effet du casque. Riches, pauvres, blancs, noirs, pauvres, riches, sur-diplômés, cancres, pilotes de chasse ou caissiers, ça prenait tout le monde, pareil. Pas de prise de tête, enfin, si, c’était un casque quoi… et puis ça te l’amener quelque part, très loin, ta pauvre tête. Une fois posé, allumé, tout le monde était logé à la même enseigne. Tiens, c’était comme un rêve lucide mais t’es réveillé. Tu comprends ?

Au début, t’écris sur tes voyages, sur tes expériences, mais ça dure pas longtemps, car tu veux y retourner le plus vite possible. Tu tiens encore un boulot, mais tu manges plus, tu dors plus, tu veux juste être en toi-même, vivre cette vie impossible et incroyable. Plus de femme, de mari, d’enfant. Il n’y avait que ce casque, ce truc mixant technologie de pointe et drogue dure, qui comptait.

Ça te détruisait ta vie physique, mais mentalement, c’était l’extase ! Les hippies ils auraient pas rêvé mieux. Et les gens tombaient comme des dominos.

Des gens sont morts de faim, de déshydratation, crises cardiaques… d’autres sont restés dans un état catatonique jusqu’à leur mort. Je vais pas vous faire la liste, ça serait trop long.

Nous, on était défoncés, mais ceux autour, ça les tuaient de nous voir comme ça. L’addiction sa touche les proches autant que le malade. Mais tout ça a dû prendre fin, heureusement. Mais, ça sera peut-être une histoire pour autrefois.

Car la vérité, c’est que je t’écris ce texte vingt ans avant ta naissance, je suis sous mon casque. Je ne connais pas vraiment la fin, pas entièrement du moins. Mais j’essaie de trouver une issue, comme je peux.

Jaskiers

La Der-des-Der – Partie 3

Le français courrait, visait, tuait et continuait. Il ne fallait pas rester trop près des tanks, ils devenaient la cibles des obus et espérait s’éloigner des soldats équipés de lance-flammes, car une seule balle dans leur réservoir accroché à leur dos pouvait les faire exploser et réduire en cendres quiconque était à quelques mètres d’eux.

Les allemands se repliaient dans la tranchée qu’il venait tout juste de conquérir, ne leur laissant pas le temps d’organiser une défense solide et efficace. Pas de mitrailleuses, la faucheuse d’homme tant redouté dans les deux camps.

Mais les allemands n’hésitèrent pas à user de leurs canons pour essayer d’enrayer la contre-attaque, quitte à tuer leur propre camarade.

C’est ainsi que le français avait été soufflé par une marmite et s’était retrouvé assommé dans l’entonnoir créé par l’obus.

Gérald sort sa gourde, ses mains tremblantes renversent la moitié de l’eau sur son uniforme crasseux. Il en profite pour se nettoyer le visage encrassé par les horreurs que contient cette terre depuis presque trois ans maintenant.

L’eau fraîche le revigore. Il aurait aimé un peu de vin.

Un éboulis puis un bruit d’impact dans l’eau le font se retourner. Son cœur et son estomac lui semblent être sortis de son corps. L’allemand est là.

La moitié du visage de l’ennemi est recouvert de boue sèche et blanche, lui donnant un air de reptile. Le côté droit de son visage et presque propre. Les yeux bleus le fixent, la bouche est entre ouverte, son corps est paré à l’attaque.

Le français brandit son fusil devant lui, l’allemand, qui semblait prêt à attaquer reste immobile. Gérald ne sait plus s’il possède encore une balle dans son arme et ne veut pas appuyer sur la détende. Si aucune balle ne part, l’allemand se jettera sur lui pour tenter sa chance.

Ils restent là, à se regarder dans le blanc des yeux. Ils savent que le regard peut dévoiler le jeu de l’adversaire, mais ils savent aussi regarder en périphérie le corps de leur adversaire. Chaque mouvement, chaque respiration de l’autre ne passent pas inaperçus. Les nerfs sont à vif, toutes les cellules de leur corps, leur concentration, leur énergie sont utilisées pour observer l’ennemi.

La tension entre les deux adversaires est palpable. Ils n’entendent aucun obus qui siffle, aucun coup de feu, ils n’entendent que leur cœur qui bat et raisonne dans leurs tympans. L’animal est prêt à sortir de l’homme civilisé, encore une fois.

Klaus n’a pas l’avantage, il est en contrebas, le français est en garde, son fusil avec sa baïonnette dressée devant lui. Il doit laisser l’avantage d’attaquer à Gérald. Et celui qui attaque le premier est celui qui prend l’avantage.

Le français hésite, l’état du sol peut à tout moment le faire déraper. Il est mieux armé que lui mais son fusil est un poids, qui risque de l’entraîner à la chute.

L’allemand doit grimper les quelques mètres de boue pour l’atteindre, il n’a que son poignard, le français décide de rester sur ses gardes, et de jouer le bluff, comme les américains qui jouent au poker. Américains qui débarquent et s’apprête à prêter main forte aux alliés.

Mais il n’y aura aucun américain, ce duel est entre les deux jeunes hommes, qui ne savent même plus pourquoi ils combattent, et qui, au fond d’eux-mêmes, n’en ont plus envie. Mais refuser d’aller au combat, c’était être fusillé pour l’exemple. Pour vivre, il faut se battre. Et ce n’était presque plus une question de survie du plus fort. Un obus, une balle de mitrailleuse ne fait pas de distinction. Seul le corps-à-corps prouvait qui était vraiment le plus fort, physiquement du moins.

Jaskiers

La der-des-der – Partie 2

Il arrive à quatre pattes vers le corps du français. Il respire, doucement. Le dilemme cruel revient le tourmenter. Et si, disons à la prochaine attaque, ce soldat n’allait pas le tuer ou tuer un de ses frères d’armes si Klaus ne le tuait pas tout de suite ?

Le français se réveille, il tire sur les sangles de son fusil pour le placer dans ses mains, il ne voit pas l’allemand et se lève doucement pour ramper jusqu’aux bords du trou d’obus.

Klaus est pétrifié, il ne sait pas pourquoi, il a peur. Tellement peur que sa main droite tenant la dague tremble. Il laisse le français grimper, il n’a pas le droit à l’erreur.

Le français observe le no-man land. Tout est encore embrumé, mais le silence est retombé.

Gérald, le français à soif. Il ne sait pas vraiment comment il a fini dans ce trou. Peut-être le souffle d’une marmite. L’idée qu’il est peut-être blessé lui vient à l’esprit. Il regarde son torse, ses jambes, bouge ses membres. Aucune douleur ni de sang, en tout cas, pas le sien.

L’angoisse s’installe. Il ne sait pas s’il est plus proche des tranchées ennemies ou françaises. Le poilu et ses camarades s’étaient lancés dans une contre-attaque après que les allemands eussent réussis à investir leur tranchée, ou plutôt leur boyau. Ça avait été un terrible combat. D’abord, il avait aidé son camarade à la mitrailleuse fixe, mais les allemands approchants en grands nombres et de plus en plus près, il dû prendre son fusil et tiré une balle sur chaque ennemi qui approchait.

Mais les premiers allemands avaient réussis à investir leur flanc gauche et il fallait soit sortir et attaquer où attendre, tapis dans la boue que l’ennemi se risque de pénétrer dans la section de boyaux de Gérald.

L’ordre fut donné de reculer, ce qu’il fit. Les balles sifflaient à ses oreilles. Les camarades couraient et certains tombaient à côté de lui.

S’il survivait à cette guerre, il allait devoir aller parler de ses camarades tombés au champ d’honneur à leurs parents. Comme ils se l’étaient promis. Les poilus de sa section avaient ajouté cette promesse à leur malheur. À l’idée d’affronter que le camarade d’à-côté, passant de vie à trépas en une fraction de seconde s’il avait de la chance, il fallait ajouter à l’épreuve d’aller parler aux familles de la mort ‘héroïque’ de leur poilu. Enfin héroïque… c’est une manière de passer du baume sur la plaie béante des parents.

Il était arrivé à la tranchée de réserve. Toujours vivant. Survivre, tous les jours dans les tranchées était un miracle.

Il n’eut pas le temps de reprendre ses esprits car ses supérieurs sifflèrent le signal de la contre-attaque.

Il fut poussé par son capitaine au-dessus du parapet et il s’élança avec une rage terrible. Chaque attaque subite déclenchait une contre-attaque immédiate, et ce dans les deux camps. C’est pour cela que la guerre à l’Ouest ne changeait jamais rien à la ligne de front. Peu importait si on perdait une tranchée, on la regagnerait quelques minutes après, ou on en gagnerait une autre sur un autre secteur.

Mais les contre-attaques françaises ou anglaises étaient épaulées par des chars et des lance-flamme. L’empire allemand n’avait plus les ressources pour construire de tels équipements, elle n’avait d’ailleurs presque plus de nourriture pour ses soldats. C’est pourquoi Gérald attaquait avec panache, il savait que derrière lui, au moins deux chars le suivait ainsi qu’une section d’attaque spéciale armée de lance-flammes.

Les allemands furent surpris de la contre-attaque presque immédiate et restèrent pétrifiés quand ils virent les deux énormes masses que formaient les tanks avançant rapidement dans la brume.

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre Final

Johnny a cette irrépressible envie de juste jeter un coup d’œil. Non qu’il aime voir des femmes uriner, mais juste parce qu’elle lui a interdit. Il se dit qu’il devrait peut-être relire Freud lui aussi.

Deux minutes passèrent avant qu’une SupraVoiture passe, ralentisse et klaxonne.

Robyn rentra rapidement dans la voiture, Johnny fut surpris et aussi, énervé par ce que le chauffeur venait de faire. Le type dans sa voiture ne s’est pas gêné et s’est même arrêté pour avoir l’opportunité d’en voir un peu plus.

« – Non, mais il est sérieux ce connard ?

  • Ah ! Celle-là s’est la meilleure ! C’est toi qui es offusqué à ma place Johnny Boy !
  • Attends… ça te fait rien ?! Cette… enflure s’est rincé l’œil sur toi, il a même le toupet de s’arrêter pour avoir une meilleure vue du spectacle !
  • J’ai jamais dit que je n’étais pas offusqué.
  • Fais quelque chose ?
  • Quoi ? Tu veux que je sorte mon calibre et que je le vide sur sa suprabagnole ?!
  • Ouai… ouai fais ça ! Je serais toi… mais comment tu peux être si calme ?! »

Robyn fouille sous son siège, sort un Glock 9 mm, et se tourne vers Johnny.

« – Tu l’aura voulu Johnny ! »

Johnny fouille dans une poche intérieure de son manteau et sort l’exacte réplique du pistolet de Robyn.

« – Si tu le fais Robyn, je le fais avoir toi. »

La jeune femme cache son calibre derrière son dos et sort de la voiture.

« – Hey chérie ! Sors, tu veux sûrement voir plus ? »

L’homme descend de la voiture et répond :

« – J’en étais sûr ! T’es une putain, c’est ça ? Vue ta bagnole, ouai… tu dois avoir des problèmes de trésorerie ma belle. Je peux te filer un coup de main. »

Robyn sort son pistolet et tire sur la voiture. Les 12 balles de son chargeur haute-capacité éclatent les vitres, les pneus et la carrosserie de la SupraVoiture.

L’homme, au premier coup de feu, s’était jeté à terre. Il tempête :

« – Mais t’es malade espèce de sa… »

Il n’a pas le temps de finir sa phrase. Johnny est sorti d’une traite de la voiture et canarde de la même manière que son amie la voiture.

L’homme est abasourdi.

« – Finis ta phrase pendant que je recharge l’ami. »

Les mots de Johnny font paniquer l’homme qui essaie de rentrer dans sa voiture mais Robyn et John tirent presque simultanément une balle dans la portière.

« – Ca va ! Ça va je suis désolé ok ? Je… j’oublie… on oublie tout ce qu’il s’est passé d’accord ? Je vais reprendre ma route tranquille. Vraiment désolé. Je… je suis pas comme ça normalement.

  • Tu dois sûrement être pire que ça ! Je crois que ta souillé ton pantalon l’ami, ça va pas faire bonne impression au bureau ! Rétorque John.
  • Ah… ça donne un air plutôt… original je trouve moi Johnny Boy ! J’veux dire, hey, pas tous les jours que t’as l’opportunité de travailler avec un mec incontinent. Je suis sûr que ça va faire tomber les filles à ses pieds !
  • Avec l’odeur, oui ça c’est sur !
  • Écoutez, je veux pas d’ennuis. J’ai vraiment été… irrespectueux et je… c’est pas simple en ce moment pour…
  • Écoute l’ami, on n’est pas des psys. Je dirai qu’on est plus des philosophes. D’accord avec ça Robyn ?
  • Oui… oui. J’aime bien, philosophe calibré. C’est une nouvelle doctrine mon bon monsieur. On canarde puis après, et seulement après avoir vidé au moins un chargeur, on philosophie.
  • D’acc… ok. Je comprends. C’est… cool. Mais je dois vraiment y aller.
  • Tu restes pas pour le débat ? C’est le moment le plus important pourtant ! N’est-ce pas John ?
  • Évidemment !
  • J’apprécie… j’y vais. Laissez-moi partir par pitié.
  • On ne vous retient pas ! Vous être libre de circuler citoyen. »

Aux dernières paroles de la jeune femme, le voyeur rentre précipitamment dans sa voiture, son pied dérape sur le bas de caisse et il finit par terre.

« – Trop d’émotion mon bon monsieur ?

  • C’est un point de vue Johnny, moi je dirai plutôt le Karma.
  • Tu crois en ça toi ?
  • Pas toi ? »

L’homme réussit cette fois à remonter dans sa voiture et repart très rapidement.

C’est ici que nous laissons nos deux nouveaux amis. Ils remontent dans la voiture tout en débattant sur le principe du Karma.

La veille voiture démarre et s’éloigne.

Le coucher de soleil enveloppé le désert d’une couleur jaune, penchant sur l’or. Après tout, le Far-West, c’est la ruée vers l’or qui lui a donné naissance. Encore aujourd’hui, l’Homme chasse l’or, de multiples formes d’or.

(À suivre ?)

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre 4

« – Garfunkel… on dirait le nom d’un meuble IKEA non ?

  • Ne me vole pas mes blagues !
  • Tu fais quoi dans la vie Robyn ? Tu chantes vraiment ?
  • Si je te dis oui, tu me croiras ?
  • Oui. Enfin, mens si tu en as envie, mais je pense qu’entre nous, la franchise s’est imposée d’elle-même.
  • Oui, je chante.
  • Bien… genre dans les bars ? Comme Bob Dylan à ses débuts ? Tu vadrouilles dans Greenwich Village avec ta guitare et tout ça ?
  • Cette image te plaît ?
  • C’est… cliché mais tu dois admettre que c’est romantique.
  • Hey bien va pour ça. Oui, je vadrouille dans Greenwich Village, je joue dans les bars et c’est pour cette raison que je me dirige actuellement vers la Californie dans mon tacot avec un… Français bien curieux et remplis d’imagination.
  • Cette histoire que je ne te connaisse pas t’embête hein ? Ton égo a pris un coup ? Pas l’habitude je paris ? J’veux dire, je connais rien de ta carrière de musicienne, tu est… belle… Ça doit pas être souvent que ton égo en prend un coup… tu devrais lire Freud tiens. Ça te changera de l’instagramable Nietzsche.
  • Quelle condescendance !
  • Je suis Français je te rappelle.
  • Vous êtes vraiment casse-couilles.
  • Comme je te l’ai dit, ça dépend d’avec qui on discute.
  • J’avoue être une casse couille.
  • Bien. Tu veux t’arrêter au bord de la route, t’allonger sur la banquette arrière et me parler de tes problèmes avec ton père ? »

Le véhicule s’arrêta abruptement, le corps de Johnny est ramené sèchement sur le siège à cause de la ceinture.

« – Doux Jesus ! C’est quoi ton problème. Putain, mon cœur va pas faire long feu avec toi !

  • Tu veux continuer à pied ? Reprendre ton stop ?
  • C’est pour ça que tu t’es arrêtée ?
  • Non, j’ai juste envie de pisser. Pas toi ?
  • Non… attend pisser , au milieu de la route ? Au bord ? Merde, tu vas être à la vue de tout le monde !
  • Et qu’est-ce que ça peut me foutre ? Si j’ai envie de pisser, c’est pas d’ma faute ! Et surtout, venant d’un mec qui peut, et ne se gêne sûrement pas, sortir sa saucisse pour pisser sur le trottoir après une soirée de beuverie, j’en ai un peu rien à foutre.
  • J’disais ça pour toi… je connais pas beaucoup de femmes qui pisseraient en pleins milieu d’une route.
  • Et bien maintenant, tu en connais une ! Prépare-moi une clope quand je reviens. Et évite de regarder, j’arrive pas à pisser quand on me regarde.
  • Ok, moi pareil.
  • Et tu sais que les SupraVoit’ ne me verront pas à la vitesse où ils vont.
  • Je suis d’accord avec toi. Mais y’a une sorte de loi dans ce monde où dès que tu penses être à l’abri de quelque chose, bam !, cette chose se présente à ta porte.
  • Un peu comme la loi de Murphy ? Hey bien qu’ils se rincent l’œil.
  • C’est le cas de le dire.
  • Vous avez le fétichisme bizarre vous les hommes.
  • J’ai… maintenant que tu me le dis, je n’ai jamais vraiment entendu de truc tordu, de fétichisme venant d’une femme. Non pas que je connaisse toutes les femmes de la Terre, je sais que je suis un Frenchy mais quand même.
  • C’est parce que tu n’en as connu que des gentilles demoiselles, Johnny Boy. Bon, assez déblatéré, j’y vais. J’espère que t’es pas un de ces adeptes de douches dorées.
  • Moi ? La pisse c’est pas mon truc.
  • J’adore la manière dont j’apprends à te connaître.
  • De même. »

Robyn claque la portière, s’installe à côté de la SupraRoute, et s’accroupît.

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre 3

Robyn tourne son visage et fixe ses yeux verts dans les yeux marron de Johnny. Cela dure quelque secondes qui paraissent un peu trop longues pour Johnny. Il a toujours peiné à regardé les gens dans les yeux, surtout quand c’était la personne qui conduisait. Il détourna son regard inquiet vers la route.

« – T’as peur hein ?!

  • Robyn, je te connais pas, des… merde… regarde la route. Je vois pas qui tu es.
  • Dommage… pour toi j’veux dire.
  • Désolé, mais regarde la route s’il te plaît merde ! »

Robyn reposa son regard sur la route, elle avait légèrement déviée de sa trajectoire et la redressa.

« – Tu fais souvent des coups comme ça ?

  • John… j’peux t’appeler John ouai ?
  • Au point où on en est.
  • John, faut vivre dangereusement, même un petit peu, ça te permet de te remémorer la valeur de la vie.
  • Oui, j’vois c’que tu veux dire. Mais c’est mieux quand on contrôle. Là, j’ai rien demandé.
  • Faut aussi apprendre à perdre un peu le contrôle.
  • Nan, là, ça tu vois, je peux pas.
  • Control freak ?
  • Carrément, et je l’assume.
  • Tu dois avoir une triste vie Johnny Boy.
  • Au contraire. Quoique… tout est question de perspective.
  • Non Johnny, tout est question de temps.
  • T’es du genre : on a qu’une vie faut en profiter ! C’est n’importe quoi.
  • Non, je suis d’accord, cette mentalité c’est pas mon truc non plus. Juste, tu ne peux rien contrôler totalement. Et la chose la plus importante, le temps, est bien la chose la plus importante que nous pouvons manipuler à notre guise. On est… une expérience.
  • T’a fumé avant de prendre le volant ? On peut pas manipuler le temps.
  • Peut-être que oui, peut-être que non.
  • D’accord, le temps, machin machin, tout est relatif, Albert Einstein, le Boson de Higgs, la théorie des cordes, la particule de Dieu, la matière noire, le nucléaire et machin machin encore machin. Je crois que le mieux Robyn, c’est juste de ne pas se poser de question. Plus tu t’en poses, moins t’as de réponse et tu finis avec encore plus de question. Y’a des types qui finissent en hôpital psychiatrique à cause de ce genre de questionnement.
  • T’es un foutu robot ?
  • Nan… c’est quoi cette question à la mord-moi le-noeud encore.
  • Le jour où tu demanderas à un robot ou une intelligence artificielle qu’elle est le sens de la vie et que la machine te répond avec aplomb une réponse qui n’est pas : je ne sais pas… Ça sera déjà trop tard.
  • Mais qu’est-ce que ça a à voir avec ce que je viens de dire ?
  • Rien… je dis juste que tu as raison. T’es perdu, tu te poses des questions, tellement que tu t’es arrêté de t’en poser et tu continues de vivre sans savoir.
  • Ouai… mais toi tu te les poses ces questions ?
  • Tu sais, l’hôpital psychiatrique, les maladies mentales, les fous comme les appellent les gens normaux… enfin la normalité c’est une question de point de vue… je disais, les malades, les schizophrènes, les dépressifs, les mégalomanes tout ceux-là. Ils sont pas dans la norme, ont les internes et ont les soigne pour qu’ils rentrent dans le moule, qu’ils travaillent et paient leurs foutus impôts et tutti quanti… mais si on prenait le problème différemment. Les schizos, moi ils me fascinent. Des hallucinations ? Des voix ? Et si au final, ils étaient des sortes de messagers ? De quoi ? J’en sais rien Johnny Boy, mais si on prenait le temps, encore le temps tu vois, si on les écoutait, je suis sûr que trouverait quelques choses…
  • Tu pars vraiment très loin Robyn. Trop même.
  • T’es pas de mon avis ?
  • Les schizos ? Tu leur dis ça, quand ils ne sont pas en crises, ils t’enverraient te faire voir. Y’a rien de plaisant à entendre des voix et voir des choses qui n’existent pas.
  • Qui n’existent pas… selon toi !
  • Non, là, là, honnêtement je ne te suis plus.
  • Tu vois, t’a peur de te poser des questions.
  • Jamais dis le contraire Robyn. Mais dans ce cas-ci, il n’y a pas de question. C’est le cerveau qui fonctionne différemment.
  • Oui et ?
  • C’est une maladie.
  • Ou un don.
  • Ok, moi j’arrête là, je ne te suis plus.
  • Tu as peur ?
  • De quoi ?
  • De remettre en perspective ta vision des choses ?
  • Il n’y a rien à mettre en perspective. Une maladie n’est pas un don.
  • La plupart des grands génies, artistes ou scientifiques, n’était pas vraiment sain d’esprit.
  • Il y a peut-être une concordance entre talent et santé psychique mais ça s’arrête là.
  • De mon point de vue, tu as tort.
  • Et du mien, tu réfléchis sur des choses qui n’ont pas lieux d’être.
  • Si tu regarde trop longtemps l’abime…
  • L’abîme regarde aussi en toi. Ça va, Nietzsche est devenu un poncif. Le supermarché de la philosophie.
  • Une idée bien arrêtée que tu as là Johnny Boy. Tu as déjà regardé l’abîme trop longtemps ou tu as peur de la regarder ?
  • À toi de me le dire.
  • Tu l’as regardé. Mais pas trop longtemps.
  • Super. Sortir Nietzsche, c’est devenu hype. Maintenant tu vas me parler de Freud ? Tu veux savoir si je suis venu à bout de mon complexe d’Oedipe ?
  • Non ! Rien à foutre. Et puis tu as dit que tu étais un meurtrier !
  • As-tu entendu parler de Kierkegaard ?
  • On dirait le nom d’un groupe de musique Suédois.
  • Mon dieu…
  • Quoi ? C’est vrai !
  • Très américain… je parie ta bagnole que si je te montre une carte de l’Europe, tu ne saurais même pas où se situe la Suède.
  • Tu m’as eu, je connais que l’Amérique. Ma bonne vielle Amérique.
  • Ta bonne vieille Amérique ? Si tu est native américaine d’accord, sinon…
  • Le bon vieux réflexe indicateur du sentiment d’infériorité de l’Européen !
  • Sans les Français, tu boirais du thé et mangerai du pudding à l’heure qu’il est. Mais ça, aucun Américain le sait. Mais je sais ce que tu vas me répondre Robyn chérie, sans nous, je parlerai allemand et blah blah blah. Sérieusement ? Les Français ont aidé l’Amérique à naître, à prendre, à gagner son indépendance. Lafayette, ça te dis quelque chose ?
  • Les galeries Lafayette ?
  • Très drôle. En attendant, en France, les écoliers ne portent pas de sacs pare-balles pour aller à l’école.
  • Tu aimes plonger la petite américaine dans les sujets qui fâchent ? D’accord. La guerre d’Algérie ? La torture ?
  • Je pourrai dire de même pour ce que vous avez fait un Irak… Abu Ghraib ?
  • Touché.
  • Aucun de nos pays n’est innocents.
  • J’en conviens.
  • Bon, j’en étais à Kierkegaard. Ça te dit vraiment rien ?
  • Non.
  • Sache qu’il n’y a pas que Nietzsche comme philosophe. Arrête de suivre ces modes internets. Il y a beaucoup plus à découvrir, par soi-même.
  • Tu me fais la leçon ?
  • C’est un reproche ou tu veux que je te parle de Kierkegaard ?
  • Tu sais quoi, j’ai bien envie d’un peu de silence ? Je dois même avoir du Simon and Garfunkel dans ma radio.
  • Les pauvres, ils y sont depuis longtemps ? C’est pour ça qu’on ne les entend plus chanter.
  • Un peu d’humour ! »

Robyn pianote sur sa radio, les premières notes de Sounds Of Silence de Simon and Garfunkel emplissent l’habitacle.

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre 2

« – Désolé !

  • C’est moi qui suis désolé cette fois. J’ai pas encore la boîte manuelle en main. Et puis, démarrer avec un diesel, faut s’y habituer.
  • J’comprends, c’est… on voit pas beaucoup de vieilles voitures comme la vôtre.
  • Sûrement parce que c’est illégal de circuler avec sur la SupraRoute.
  • Les flics vont tellement vite qu’ils ne doivent même pas avoir le temps de vous… de te voir.
  • Ouai, sûrement pour ça que j’ai jamais été arrêté !
  • La technologie !
  • Tu parles d’un progrès oui ! Mon tacot est lent mais, hey, il arrive à destination !
  • Ça me rappelle une fable française.
  • Ah ! J’me disais bien que vous aviez un petit accent !
  • Un socialo de français… vous allez pas me laisser sur le bord de la route ?
  • Pourquoi je ferai ça ?
  • Quand je suis ramassé par des camionneurs, ça arrive souvent.
  • Quand ils apprennent que t’es français ?
  • Ouai.
  • L’Amérique, terre d’accueil.
  • Ah, tu sais, en France les gens peuvent se montrer aussi chiant que les américains quand ils rencontrent des étrangers.
  • Pas d’offenses hein, mais vous avez une réputation de merde.
  • Est-ce qu’on a vraiment une réputation de merde ou bien c’est parce que vous pensez que nous sommes des connards que vous agissez avec nous comme des connards, ce qui fait que nous passons pour des connards en réaction à votre comportement de merde avec nous ?
  • Hey, t’as peut-être pas tort.
  • Je suis français, on a jamais tort !
  • Étonnant que tu n’est pas allumé une cigarette.
  • J’allai te demander si je pouvais m’en griller une.
  • Ok, mais tu m’en passes une aussi. »

Johnny sort un paquet de cigarette de la poche de son blouson et un briquet de l’autre. Il tend son paquet vers la conductrice.

« – Allume-la moi, c’est pas évident en conduisant. »

Il sort deux cigarettes, les met à sa bouche et les allume. Il en tends une à la jeune femme.

« – Merci bien mon ami.

  • De rien… et c’est quoi ton nom ?
  • Robyn.
  • Putain, ça m’fait penser à Batman.
  • Quelle originalité, on n’me l’avait jamais sorti celle-là !
  • Désolé.
  • Arrête avec tes ‘désolé’, tu commences à me faire chier !
  • Réflexe.
  • Et toi, tu t’appelles comment ?
  • Johnny.
  • C’est pas vraiment français comme prénom.
  • Tu préférerais que je m’appelle Pierre ?
  • Louis, ou Charles, comme vos rois.
  • Charles ? C’est mon deuxième prénom !
  • Sérieux ?
  • Non. J’en ai pas. »

Un léger silence s’installe. Ces petits silences entre inconnus qui se rencontrent pour la première fois sont, certes, gênants, mais ils font partie du processus de socialisation. Enfin, c’est ce que Johnny pense actuellement, pour se rassurer.

« – La Californie ?

  • C’est ça… d’ailleurs c’est bizarre la manière dont tu fais du stop.
  • Comment ça ?
  • Quand je t’ai demandé où tu allais tu m’a répondu en me demandant où moi j’allais.
  • Je m’en fou d’où je vais.
  • T’es pas un criminel au moins ?
  • Si, un gros.
  • T’es d’la french connection ? T’a pas de la coke Chinoise importée par nos amis de la CIA par hasard ?
  • Non ! Enfin, je peux te choper ça si tu t’arrêtes chez mon pote Hunter Thompson, il doit avoir quelque chose dans le genre.
  • C’est un parano !
  • De Las Vegas !
  • Foutu tordu que ce type.
  • Sacré écrivain aussi.
  • Ça se défend.
  • Pas d’accord ?
  • C’est que j’écris moi aussi.
  • Tiens donc !
  • Des chansons.
  • Super, donc c’est ça ton boulot, pas étonnant que tu conduises un tacot pareil.
  • Sérieux, tu me connais pas ?
  • Non.
  • Regarde-moi bien ! »

Jaskiers

Johnny sur la route – Chapitre 1

Johnny tend le pousse au bord de la SupraRoute, en attendant patiemment qu’une SupraMobile carburant à l’essence de fusée daigne s’arrêter. Mais à la vitesse où ces voitures vont, il y a peu de chance qu’un chauffard le voit. En fait, il risquerait plutôt de se faire atomiser.

Une vielle voiture Ford, Johnny ne saurait dire la série, car il n’est pas connaisseur et cette voiture est tellement rouillée qu’il serait difficile à un aficionado des vielles voitures de l’identifier, ralentit a quelques pas de lui. Seul le logo sur le capot, dressé fièrement sur l’amas de rouille, indique sa marque.

Une femme dans la trentaine la conduit. Noire, les yeux verts, c’est cette jeune femme qui va prendre Johnny en stop.

La voiture s’arrête enfin un peu avant lui, la vitre côté passager s’ouvre avec un violent et long bruit de grincement qui fait mal aux dents.

« – Tu vas où comme ça ? Lui demande la jeune femme.

  • Vous allez où vous ?
  • En Californie.
  • Ça me va !
  • Super… hey bien monte. »

Johnny appuie sur la poignée de la portière mais elle ne s’ouvre pas. Il regarde la conductrice avec un air surpris.

« – Ah merde, j’oublie tout le temps, elle s’ouvre pas, faut que tu passes par la portière de derrière, enfin de derrière moi. »

Johnny fait donc le tour de la voiture. Ouvre la portière arrière qui s’ouvre en laissant s’échapper un couinement digne d’une sirène de bateau. 

« – Viens à côté de moi, j’suis pas ton chauffeur non plus ! »

Johnny ne se fait pas prier, il n’a jamais vraiment compris pourquoi les gens ne voulaient pas qu’il s’assoie à l’arrière. Ils « ne veulent pas être mon chauffeur », c’est ce qu’ils disent tous quand il monte dans une voiture. Peut-être qu’ils ont en fait peur de laisser un inconnu s’asseoir derrière eux pendant qu’ils conduisent. Ça, ça se tient. Mais pourquoi ne pas le dire franchement ? Enfin, on ne se plaint pas à quelqu’un qui vous tend la main.

Notre ami John peine à se faufiler entre les deux sièges avant, le passage est étroit. Le levier de vitesse et le frein à main sont sur son chemin.

Son blouson frotte sur tout ce qu’il l’entoure et il s’affale légèrement sur la jeune femme avant de vite se rattraper et basculer sur le siège passager avant.

« – Désolé m’dame.

  • C’est rien, ça arrive souvent. Pas évident de passer devant. Faut vraiment que je pense à faire réparer cette portière. Et ne m’appelle pas madame !
  • Ok désolé. Pour votre voiture… ah… je sais pas si ça existe encore les garagistes.
  • J’dois avoir une pote dans mes contacts qui doit pouvoir bidouiller ça… mais faudrait déjà que je me rappelle son nom… son adresse… enfin. Donc direction la Californie.
  • C’est vous le chauffeur.
  • Si vous le dites. Et arrête de me vouvoyer ! On a le même âge, enfin je pense.
  • Désolé. Tu as quel âge ?
  • On ne demande pas ça à une femme !
  • Désolé…
  • Arrête d’être désolé. Tu as que ce mot dans la bouche !
  • Des… oh et puis merde.
  • C’est ça ! Faut se lâcher un peu ! »

La voiture démarra en trombe, Johnny ne s’y attendait pas et se cogne brutalement contre la boîte à gants.

Jaskiers

Tout perdre – Chapitre Final

Peu importe leurs armes, leurs équipements de protection, tout ce que nous pouvions trouver à notre portée finissait dans leur tronche. Je me rappelle avoir ramassé une grenade lacrymogène à main nue et l’avoir glissé sous le masque de protection d’un cochon. Le flic était immobilisé par d’autres manifestants, et pressant le gaz sur son visage, les soubresauts de ses membres entravés, les cris d’encouragement des autres Sans-Riens, les vibrations, les sensations que je sentais dans ma main droite qui tenait la grenade, le ressentit de la souffrance du flic, son agoni, ça c’était, et ça reste, une expérience incroyable pour moi. Je sentais l’extrême chaleur qui se dégageait de la grenade, cette chaleur se dissipait en pleins dans le visage du cochon, la chaleur et le gaz asphyxiant, j’étais en train de tuer une personne qui en avait tué d’autres, tué des personnes comme moi. Je jubilais, je l’avoue. Ôter la vie d’un homme sous les encouragements d’autres hommes, la vengeance, le sentiment de contrôle, de pouvoir, de force, de haine qui se traduisait par mon action, ça, le meurtre d’un porc, c’est peut-être la meilleure sensation que j’ai eu de toute ma vie. Être amoureux, être aimé, faire l’amour, c’est jouissif, les endorphines envahissent votre cerveau, il l’irrigue, c’est ça le bonheur, de la chimie. Mais tuer cet autre être humain qui, de mon point de vue, le méritait, c’était encore plus plaisant que ça.

Éventuellement, le cochon arrêta de gesticuler. Sa poitrine fit un soubresaut, puis deux et plus rien.

Les bruits de la bataille s’estompaient tout autour de nous, pas un flic n’était venu à la rescousse de leur collègue. Je ne sais pas si c’était par lâcheté ou par le simple fait que la foule avait réduit à néant les forces d’intervention.

Je pensais que c’était le fait d’avoir tué un homme, l’état de choc potentiel dans lequel j’étais qui me faisait l’impression que tout, autour de moi, était silencieux. Mais non, simplement le calme après la tempête. Des corps gisaient, la plupart casqués, avec leurs armures fracassées, à nos pieds.

Il y avait évidemment les corps de Sans-Riens qui avaient perdus la vie, mais beaucoup moins que les flics.

C’était peut-être une première dans l’histoire du monde super-moderne et civilisé. Une foule de démunies avait anéanti des troupes de choc anti-émeutes.

Le silence régna pendant un court instant, puis, ayant réalisé notre victoire, nous éclatâmes de joie, le bonheur, enfin, d’avoir vengé les nôtres. Et cette victoire, elle fit le tour du monde. Notre monde super-connecté n’avait pas perdu de temps pour partager les images de notre triomphe.

C’étaient surtout les bons petits citoyens, terrorisés, effrayés et outrés qui avaient filmé et prit en photo l’événement. C’étaient eux, nos frères et sœurs ennemis, qui, sans le vouloir, sans le savoir, avaient été nos messagers.

Ceux d’entre-nous qui avaient des smartphones nous montraient comment l’Internet mondial réagissait. Au-delà des gentils citoyens respectueux et utiles, nous avions redonné espoir à tous les Sans-Riens du monde entier.

Rien de tout cela n’avait été prémédité, la Providence, ou quelque chose s’y appareillant, nous avait offert les conditions idéales pour déclencher une révolte mondiale.

À partir de ce moment, le monde civilisé, trop civilisé, ou pas assez, à vous de choisir, réalisa qu’une partie de l’humanité refusait cette nouvelle société.

Les citoyens modèles, enfin, réalisaient combien nous étions nombreux, combien nous n’avions pas peur d’affronter quiconque voulait nous priver de notre liberté. Mais, au lieu d’ouvrir une discussion sur la situation, notre situation précaire, au lieu de nous laisser la parole, de nous donner une voix, une place dans le Gouvernement Uni, les gens bien décidèrent de se barricader, de nous éviter. Réactions normales, après tout, nous avions massacré, sous les yeux du monde entier, des flics censés être l’ultime rempart contre la modernité, l’avancée technologique à outrance.

Mais ce n’est pas en nous claquant, encore une fois, la porte de la société au nez qui nous aura fait changer de comportement. Au contraire. Nous redoublâmes d’efforts, de violence, de protestations, de saccages, de pillages. Le monde était à nous.

Mais le Gouvernement Uni ne nous lâcha pas pour autant. La police, qui s’était rapidement transformée en une armée, s’opposa à nous, une guérilla s’ensuivit.

Tout le monde en eut pour son grade, qu’importe qui vous pouviez être, personne n’était à l’abri de notre hubris.

Nous pourrions parler de guerre civile, oui, c’en était une, et s’en est encore une à l’heure où j’écris ces derniers mots.

Je m’apprête à me faire exploser à côté d’un des représentants du Gouvernement Uni. Je vais partir en martyr.

Je laisserai le soin à mes camarades de vous parler de cette guerre fratricide que nous avons déclenchée sans vraiment le vouloir.

Que je tue ce représentant ou non, le monde verra que nous ne reculerons pas, qu’absolument personne n’est à l’abri.

Si des honnêtes citoyens meurent dans l’explosion, peu m’importe, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Qu’ils redoublent de violence contre nous, ou continuent à nous marginaliser, mon acte de sacrifice résonnera dans le monde entier.

Nous ne lâcherons rien. Une place à une table de négociation n’est pas, n’est plus ce que nous voulons. Nous voulons le chaos, l’anarchie. La fin.

Adieu.

FIN

Jaskiers