Johnny sur la route – Chapitre 2

« – Désolé !

  • C’est moi qui suis désolé cette fois. J’ai pas encore la boîte manuelle en main. Et puis, démarrer avec un diesel, faut s’y habituer.
  • J’comprends, c’est… on voit pas beaucoup de vieilles voitures comme la vôtre.
  • Sûrement parce que c’est illégal de circuler avec sur la SupraRoute.
  • Les flics vont tellement vite qu’ils ne doivent même pas avoir le temps de vous… de te voir.
  • Ouai, sûrement pour ça que j’ai jamais été arrêté !
  • La technologie !
  • Tu parles d’un progrès oui ! Mon tacot est lent mais, hey, il arrive à destination !
  • Ça me rappelle une fable française.
  • Ah ! J’me disais bien que vous aviez un petit accent !
  • Un socialo de français… vous allez pas me laisser sur le bord de la route ?
  • Pourquoi je ferai ça ?
  • Quand je suis ramassé par des camionneurs, ça arrive souvent.
  • Quand ils apprennent que t’es français ?
  • Ouai.
  • L’Amérique, terre d’accueil.
  • Ah, tu sais, en France les gens peuvent se montrer aussi chiant que les américains quand ils rencontrent des étrangers.
  • Pas d’offenses hein, mais vous avez une réputation de merde.
  • Est-ce qu’on a vraiment une réputation de merde ou bien c’est parce que vous pensez que nous sommes des connards que vous agissez avec nous comme des connards, ce qui fait que nous passons pour des connards en réaction à votre comportement de merde avec nous ?
  • Hey, t’as peut-être pas tort.
  • Je suis français, on a jamais tort !
  • Étonnant que tu n’est pas allumé une cigarette.
  • J’allai te demander si je pouvais m’en griller une.
  • Ok, mais tu m’en passes une aussi. »

Johnny sort un paquet de cigarette de la poche de son blouson et un briquet de l’autre. Il tend son paquet vers la conductrice.

« – Allume-la moi, c’est pas évident en conduisant. »

Il sort deux cigarettes, les met à sa bouche et les allume. Il en tends une à la jeune femme.

« – Merci bien mon ami.

  • De rien… et c’est quoi ton nom ?
  • Robyn.
  • Putain, ça m’fait penser à Batman.
  • Quelle originalité, on n’me l’avait jamais sorti celle-là !
  • Désolé.
  • Arrête avec tes ‘désolé’, tu commences à me faire chier !
  • Réflexe.
  • Et toi, tu t’appelles comment ?
  • Johnny.
  • C’est pas vraiment français comme prénom.
  • Tu préférerais que je m’appelle Pierre ?
  • Louis, ou Charles, comme vos rois.
  • Charles ? C’est mon deuxième prénom !
  • Sérieux ?
  • Non. J’en ai pas. »

Un léger silence s’installe. Ces petits silences entre inconnus qui se rencontrent pour la première fois sont, certes, gênants, mais ils font partie du processus de socialisation. Enfin, c’est ce que Johnny pense actuellement, pour se rassurer.

« – La Californie ?

  • C’est ça… d’ailleurs c’est bizarre la manière dont tu fais du stop.
  • Comment ça ?
  • Quand je t’ai demandé où tu allais tu m’a répondu en me demandant où moi j’allais.
  • Je m’en fou d’où je vais.
  • T’es pas un criminel au moins ?
  • Si, un gros.
  • T’es d’la french connection ? T’a pas de la coke Chinoise importée par nos amis de la CIA par hasard ?
  • Non ! Enfin, je peux te choper ça si tu t’arrêtes chez mon pote Hunter Thompson, il doit avoir quelque chose dans le genre.
  • C’est un parano !
  • De Las Vegas !
  • Foutu tordu que ce type.
  • Sacré écrivain aussi.
  • Ça se défend.
  • Pas d’accord ?
  • C’est que j’écris moi aussi.
  • Tiens donc !
  • Des chansons.
  • Super, donc c’est ça ton boulot, pas étonnant que tu conduises un tacot pareil.
  • Sérieux, tu me connais pas ?
  • Non.
  • Regarde-moi bien ! »

Jaskiers

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Johnny sur la route – Chapitre 1

Johnny tend le pousse au bord de la SupraRoute, en attendant patiemment qu’une SupraMobile carburant à l’essence de fusée daigne s’arrêter. Mais à la vitesse où ces voitures vont, il y a peu de chance qu’un chauffard le voit. En fait, il risquerait plutôt de se faire atomiser.

Une vielle voiture Ford, Johnny ne saurait dire la série, car il n’est pas connaisseur et cette voiture est tellement rouillée qu’il serait difficile à un aficionado des vielles voitures de l’identifier, ralentit a quelques pas de lui. Seul le logo sur le capot, dressé fièrement sur l’amas de rouille, indique sa marque.

Une femme dans la trentaine la conduit. Noire, les yeux verts, c’est cette jeune femme qui va prendre Johnny en stop.

La voiture s’arrête enfin un peu avant lui, la vitre côté passager s’ouvre avec un violent et long bruit de grincement qui fait mal aux dents.

« – Tu vas où comme ça ? Lui demande la jeune femme.

  • Vous allez où vous ?
  • En Californie.
  • Ça me va !
  • Super… hey bien monte. »

Johnny appuie sur la poignée de la portière mais elle ne s’ouvre pas. Il regarde la conductrice avec un air surpris.

« – Ah merde, j’oublie tout le temps, elle s’ouvre pas, faut que tu passes par la portière de derrière, enfin de derrière moi. »

Johnny fait donc le tour de la voiture. Ouvre la portière arrière qui s’ouvre en laissant s’échapper un couinement digne d’une sirène de bateau. 

« – Viens à côté de moi, j’suis pas ton chauffeur non plus ! »

Johnny ne se fait pas prier, il n’a jamais vraiment compris pourquoi les gens ne voulaient pas qu’il s’assoie à l’arrière. Ils « ne veulent pas être mon chauffeur », c’est ce qu’ils disent tous quand il monte dans une voiture. Peut-être qu’ils ont en fait peur de laisser un inconnu s’asseoir derrière eux pendant qu’ils conduisent. Ça, ça se tient. Mais pourquoi ne pas le dire franchement ? Enfin, on ne se plaint pas à quelqu’un qui vous tend la main.

Notre ami John peine à se faufiler entre les deux sièges avant, le passage est étroit. Le levier de vitesse et le frein à main sont sur son chemin.

Son blouson frotte sur tout ce qu’il l’entoure et il s’affale légèrement sur la jeune femme avant de vite se rattraper et basculer sur le siège passager avant.

« – Désolé m’dame.

  • C’est rien, ça arrive souvent. Pas évident de passer devant. Faut vraiment que je pense à faire réparer cette portière. Et ne m’appelle pas madame !
  • Ok désolé. Pour votre voiture… ah… je sais pas si ça existe encore les garagistes.
  • J’dois avoir une pote dans mes contacts qui doit pouvoir bidouiller ça… mais faudrait déjà que je me rappelle son nom… son adresse… enfin. Donc direction la Californie.
  • C’est vous le chauffeur.
  • Si vous le dites. Et arrête de me vouvoyer ! On a le même âge, enfin je pense.
  • Désolé. Tu as quel âge ?
  • On ne demande pas ça à une femme !
  • Désolé…
  • Arrête d’être désolé. Tu as que ce mot dans la bouche !
  • Des… oh et puis merde.
  • C’est ça ! Faut se lâcher un peu ! »

La voiture démarra en trombe, Johnny ne s’y attendait pas et se cogne brutalement contre la boîte à gants.

Jaskiers

Dante’s Dusty Roads – Chapitre 21

La route était encore déserte. Il ne croisait que quelque voiture, de temps en temps. Dante avait le pied lourd sur l’accélérateur, quitte à se faire arrêter encore une fois, il paierait son amende sur le champ et repartirait de plus belle.

Buffalo. Ce nom en jette sec !

Il était curieux de voir à quoi pouvait ressembler cette ville. Curieux, mais aussi apeuré et fatigué. Qu’allait lui réserver Buffalo ?

Un petit brin d’espérance était présent en lui. Buffalo, c’était peut-être une ville assez peuplée, et statistiquement, il pourrait tomber sur de bonnes personnes. Il devait cependant revoir sa définition de « bonne » personnes. En était-il une lui même ?

Aider cette femme, il ne l’avait fait que parce qu’il détestait l’injustice. Et parce que c’était la seule personne, jusqu’ici, avec qui il avait eu une discutions normale.

La fatigue était encore là, il arrêta sa réflexion philosophique pour débattre avec son corps sur la marche à suivre.

Fallait-il risquer prendre une chambre d’hôtel, de haut standing, tant qu’à faire, ou faire le plein de caféine et repartir à l’assaut de la route comme un Hunter S. Thompson sous acide ?

Les panneaux indiqués que Buffalo se rapprochait, il avait roulé comme un hors-la-loi, à fond. Il avait même réessayé de mettre Springsteen, mais sa voix geularde lui donnait envie de s’arrêter devant le premier bouseux pour lui lâcher toute sa rage.

Mais la rage, c’était l’apanage de ces gens, il ne voulait pas devenir comme eux. Cette seule pensée qu’il aurait pu faire ça le fit frémir, la mentalité arriérée de ces enfoirés commençait doucement à déteindre sur lui. On est le fruit de l’endroit où l’on a grandi.

On est comme marqué au fer rouge par l’environnement qui nous a vu grandir, après, il ne tient qu’à notre bon vouloir de s’ouvrir aux autres, à d’autres croyances, sans pour autant les accepter ou les comprendre totalement, mais pour, au moins, rester conscient que le monde ne s’arrêtait pas aux frontières de nos états, de nos villes, de nos banlieues, de nos rues.

L’écrivain aima cette réflexion qui venait juste de germer en lui. Ne voulant pas s’arrêter pour l’écrire dans son carnet de note, il espérait garder cette pensée en mémoire pour l’étaler dans son prochain roman.

Il vit le panneau de Buffalo, comme il s’en doutait, les habitants avaient affichés l’animal comme le symbole de leur ville. Une ville plate, sans building, sans fioriture, sans âme, ou plutôt si, l’âme banale des petites villes du Middle West américain, comme Alva, poussiéreuse et rustre qui semblait ne s’être jamais vraiment relevées du désastre du DustBowl.

Les gens étaient peut-être aigris pour cette raison, le sable s’était engouffré dans leurs âmes et leurs chaires. Des décennies de pauvreté, de souffrance, de travail pour presque rien. L’argent semblait s’être envolé avec les tempêtes de sables pour se retrouver dans les poches de millionnaires et milliardaires de la côte Ouest et Est.

Pas étonnant, me ramener ici avec une berline allemande neuve et un sourire Colgate n’allait pas m’attirer des sympathies.

À New-York si, mais ici, le temps et l’environnement était différent, l’histoire et son lot de souffrance aussi. Mais ça n’excusait pas tout. Loin de là.

Il fallait rester ouvert d’esprit et compréhensif avec l’Oklahoma. Et dès que ça commençait à tourner au vinaigre, se taire et partir.

Toujours est-il que Buffalo ne semblait pas avoir d’hôtel, et s’il en trouvait un, ce ne serait pas un Hilton. Il allait devoir côtoyer les citoyens de Buffalo et il n’en avait pas franchement envie.

Jaskiers

Dante’s Dusty Roads – Chapitre 15

Springsteen avait disparu dans le rétroviseur de Dante, Bruce, se mit à chanter.

Désolé Bruce, mais entre toi et moi, je crois que c’est fini.

Il éteignit la musique et suivit les panneaux indiquant Alva jusqu’à y arriver, après deux heures de route à une vitesse excessive.

Faire le plein de bouffe, prendre un Starbucks, fumer une clope tranquillement, si la Providence le lui permettait, et repartir en direction de Buffalo, dernière étape avant d’arriver à son ranch de Forgan. Eldorado qui lui semblait encore tellement loin, bien qu’il soit tellement près.

Alva ! Sois bienfaisante pitié ! implora l’écrivain tout haut dans l’habitacle de sa voiture. Alva sonnait pour lui comme le nom d’une déesse mineure, peut-être une néréide, de la mythologie grecque. Mais il était forcé d’admettre que la ville ne ressemblait pas à celle d’une déesse. En tout cas pas à celle d’une déesse bienveillante. Elle semblait vide, sans charme, ressemblant à tant d’autre petites villes perdues qu’il avait traversé jusqu’ici.

Il passa au drive d’un MacDonald et commanda un hamburger, des frites et un coca. Personne, pas de queue, la commande arriva rapidement.

Que Dieu bénisse l’Amérique et sa création la plus exportée, le fast food.

L’auteur se gara sur un parking, occupé par une dizaine de voitures, d’un magasin de bricolage. Au moins, si quelque chose lui arrivait, il y aurait des témoins. Des témoins ou des bourreaux potentiels…

Il dévora son Big Mac, la faim l’avait tenaillé pendant des heures sans qu’il ne s’en soit rendu compte. Les frites furent avalées aussi vite et le grand Coca-Cola expédié. Il lui fallait maintenant se trouver un starbucks, le fast-food du café.

Il ne tarda pas à trouver son bonheur, à 1 mile, peut-être moins, du MacDonald.

Que Dieu bénisse l’Amérique et le capitalisme à outrance ! Travaillez dur, soyez riches et payez vos impôts !

Il dut sortir de sa voiture pour aller commander. Il ne risquerait pas de trouver des personnes louches dans un starbucks. C’était habituellement le repaire de jeunes hommes et femmes, souvent sur leurs Macbooks hors de prix, en train d’essayer d’écrire le prochain succès d’Hollywood ou le roman, genre « Young Adult », qui les rendraient riche. En tout cas, c’était ce qu’on pouvait trouver dans un starbucks new-yorkais.

Par chance, encore, le starbuck était vide, aucun client. Dans sa surprise, il crut même qu’il était en fait fermé, qu’il était entré par effraction et que les flics allaient lui tomber sur le dos. Mais une barista penchée sur son téléphone redressa la tête et lui demanda, d’un air nonchalant, ce qu’il désirait.

« – Un Frappucino.

– Ah désolé mais nous n’en avons plus.

– Ah…

– Non je plaisante va pour un frappucino, quelque chose d’autre avec ?

– Oui, en fait, je vais en prendre deux.

– Ah ! Un pour votre dame aussi !

– Non, tout pour moi.

– Votre tête me dit quelque chose.

– Et qu’est-ce qu’elle vous dit ?

– Vous êtes l’auteur, Dante Rand !

– Exactement.

– Un auteur dans un Starbuck au milieu de nul part…

– Observatrice à ce que je vois…

– Sacrément cool votre bouquin au fait !

– Merci.

– J’l’ai pas lu.

– Ah…

– Mais j’ai vu sur Twitter que les gens aimaient bien.

– Twitter ? super !

– Paraît que vous avez vendu les droits à Hollywood pour un sacré tas de pognon.

– La rumeur court mais personne ne la rattrape.

– Vous êtes vraiment perché, un vrai écrivain.

– Je prends ça pour un compliment.

– Avec tout ce succès, vous devez bien avoir trouvé une femme ?

– Non.

– Un bel homme comme vous, talentueux et riche, qui est célibataire !

– Je suis peut-être l’exception qui confirme la règle.

– Moi, je me porte candidate.

– Ah… c’est gentil. »

La jeune femme prépara les cafés, ses yeux semblaient à la recherche de quelque chose.

« – Vous m’offririez bien un café ?

– Pardon ?

– J’avoue, je peux en boire un à l’œil, faut juste pas que mon manager me grille, mais il est en train de s’envoyer de la meth quelque part au fond d’la réserve en ce moment. Enfin, s’il fait comme d’habitude.

– Désolé mademoiselle, je dois y aller. Combien je vous dois ?

– Vraiment ? Et où allez-vous pour être si pressé ?

– Dans un endroit tenu secret.

– Ah ! Secret d’écrivain ?

– Exactement !

– Bon, eh bien, voici pour vous !

– Je paie par carte s’il vous plaît.

– Bien sûr. Allez-y. »

Rand sorti sa carte, l’apposa sur lecteur. Un message d’erreur s’afficha.

« – Oh, c’est sûrement le lecteur qui bug, je vous l’remets.


– Merci. »

Tom frotta sa carte bleue avec sa chemise blanche, juste au cas où, et reposa sa carte sur le lecteur, qui afficha toujours le même message d’erreur.

« – Hey bien ! Vous êtes déjà à sec ? Où avez-vous dépensé tout cet argent ?


– Je comprends pas, je vais essayer avec le code.


– Naturellement. Rentrez bien fort votre carte dans le lecteur. »

Rand souffla sur sa carte, l’essuya encore, espérant qu’il n’ait pas un problème avec sa banque.

Il remit la carte, fit son code. Le lecteur marqua que son paiement avait été accepté.

« – Oh ! Quel dommage !

– Ah c’est plutôt une bonne nouvelle pour moi !

– Sinon, je vous aurai bien fait payer en nature.

– J’ai pas de liquide sur moi.

– Je ne parlai pas de ce genre de nature, si vous voyez ce que je veux dire… »

Un long silence pesant s’imposa. Rand prit ses cafés, lâcha un ‘au revoir’ précipité et se hâta rapidement vers la sortie.

Jaskiers

Dante’s Dusty Roads – Chapitre 14

Le gratte-papier s’alluma une cigarette, tendit son paquet à Springsteen qui se servit.

« – Je venais de m’acheter des clopes quand il est venu m’en réclamer.
– Sacré crevard !
– Il savait qui j’étais.
– Ouai, j’lui ai envoyé un message avec mon téléphone portab’.
– Pourquoi ?
– Bah, c’pas souvent qu’on croise des Yankees comme toi.
– Et il m’a accosté pour quelle raison ?
– Euh… la terre est p’tite hein, coinci’ machin comme tu dis !
– C’est quand même étrange non ?
– Ça oui !
– Juste un message que tu lui a envoyé… il y avait quoi dans ce message ?
– Détends-toi merde ! Juste un message comme quoi une pédale de Yankee était dans les parages et qu’il se pavanait avec sa berline allemande.
– Ah…
– Bon bah, merci pour la clope…
– Non ça s’est rien, merci à toi vraiment. Le hasard fait bien les choses parfois.
– Ouai… coinci’ machin truc comme tu dis.
– Coincidence. Bon, j’ai dû te retarder, tu as sûrement de la route à faire !
– Nan…
– Non ? Tu faisais juste une balade en camion et Boum, tu tombes sur moi !
– Ecoute c’est un truc pas vraiment déclaré ce que j’livre tu vois… un truc qui est pas légal légal. »

Peter fit mine de tirer avec un fusil.

« – Des flingues ?
– Ouai mais tu gardes ça pour toi.
– Qu’est-ce… merde !
– Ouai ! La vérité c’est que j’pensais qu’t’étais un d’ces fédéraux.
– Quoi ?
– Ecoute, un type bien habillé, tout beau avec une belle berline. Quand j’ai vu ça j’ai pensé ça y’est. Quand j’t’ai questionné, tu m’as sorti une histoire que t’écrivait des livres et tout.
– Donc tu as prévenu ton petit copain Franky pour qu’il garde un œil sur moi ?
– Ouai. Et j’ai appelé le flic là.
– Attends, le flic qui m’a arrêté ?!
– Ouai, il est dans la magouille le poulet là.
– Mais il m’a reconnu ! Il a lu mon bouquin !
– Ah !
– Tu lui as pas demandé d’information quand il t’a dit qu’il m’avait chopé ?
– Bah il m’a dit que t’étais reglo mais j’le croyais pas. Les fédéraux ils peuvent te tenir un type comme ça, par les couilles !
– Merde, tu m’as suivis donc ?
– Un peu ! Mais quand j’ai vu que tu prenait la bonne direction, j’ai dis ouai, il est reglo. J’allai t’laisser tranquille tu vois. Je t’ai laissé à la dernière p’tite ville là, et c’matin j’vais pour reprendre la route et j’te retrouve là avec un pneu en moins !
– Lâche-moi maintenant d’accord ? Et regarde sur Internet mon putain de nom ! Regarde les photos merde !
– Bah internet… moi j’connais pas trop.
– Et bien fais-le quand même ! »

Rand ouvrit la portière de sa voiture.

« – Attends désolé l’ami ! T’veux pas savoir c’que je transporte vraiment et surtout à qui ? Pour ton bouquin, ça serait une bonne idée !
– J’en ai rien à foutre. Et tu devrais garder ça pour toi. Pas très réglo de déballer que tu deal des flingues à un quasi-inconnu. Je sais pas qui t’a engagé, mais il doit être aussi con que toi. »

Il claqua la porte, démarra encore une fois en trombe. Dans le rétro, le bouseux retournait dans son camion en courant. Si à la prochaine intersection, il avait le moindre doute que Peter le suivait, il s’arrêterait au premier commissariat. Avec un peu de chance, les flics ne seraient pas corrompus jusqu’à la moelle.

Jaskiers

Dante’s Dusty Roads – Chapitre 13

Springsteen sortait de sa cabine, le sourire édenté étiré jusqu’aux oreilles. Il brandissait une clé pour démonter un pneu d’une main et un cric de l’autre, les outils qui avaient manqué à Thomas.

Le camionneur se rapprochait, et avec l’outil en croix, il ressemblait à un mauvais prophète. Il criait quelque chose que les tympans de Rand refusaient d’étendre.

Dante agrippa son volant, serra sa mâchoire et poussa un cri rauque pour se donner du courage. Ou parce qu’il déraillait. Et parce qu’il allait falloir jouer délicatement avec ce monstre. Ravaler sa fierté et le laisser pavoiser, le caresser dans le sens du poil. Ne pas poser trop de questions.

« – Bah ça alors ! Le yankee mal polis !

– Salut mec.

– Putain, hey, sacrément amoché l’pneu.

– Ouai.

– Une chance que je passais par là !

– Une chance oui !

– T’sais changer une roue, Yankee ?

– Oui j’pense.

– Tu penses ?

– Mais je pense que tu as l’air bien plus doué toi.

– Ah ça, bien dit.

– Je te lâcherai un billet.

– Nan, pas d’ça chez nous Yankee ! À New-York peut-être que les gens sont pingres mais pas nous !

– Ça pour être pingres, les new-yorkais si connaissent…»

Dante sortit de sa voiture et à son grand bonheur Springsteen cala le cric sous la voilure, tourna la manivelle et le côté gauche de sa voiture se souleva.

« – Putain, vraiment pas de veine de crever ici non de Dieu ! J’t’avais dis, y’a personne par ici.


– Dis-moi Peter, est-ce que tu me suivais ?

– Te suivre ? Mais pour quoi foutre ! Tu crois que j’suis amoureux de toi ! J’suis pas un n’homo’ comme vous, les new-yorkais !

– Faut avouer que cette coïncidence est un petit peu suspecte.

– Coinci’ quoi ?

– Un hasard si tu veux.

– Ah ouai, j’oubliais qu’t’etais un feignant de gratte-papier d’mes deux.

– Tu me suivais oui ou merde ? »

Peter arrêta d’actionner le cric. Il se releva, fixant Rand avec un sourire narquois et un regard noir légèrement inquiétant.

« – Tu crois vraiment que je te suivrais en camion ? J’suis con mais pas au niveau de suivre un type discrètement avec mon énorme outils de travail.

– Ok, ça se tient.

– Ouai qu’ça se tient ! Bon je vais déboulonner ton pneu là, tu dois avoir un embout qui se met sur la croix pour déboulonner le boulon antivol. »

L’écrivain feignit de comprendre, il avait entendu le vendeur de la voiture lui parler vaguement d’un truc antivol. Il ouvrit le coffre, trouva un sachet plastique qui contenait un embout métallique.

« – C’est ça ?


– Ouai ça l’air d’et’ ça. »

Le routier prit l’embout et d’une main experte le posa sur le boulon antivol du pneu dégonflé. Il plaqua la croix dessus et força. Ses muscles des bras et du cou se tendirent, il tourna l’outil et le boulon céda.

« – Bingo !

– Banco !

– Hein, tu m’traites de « blanco » ?

– Non, BANCO, B.A.N.C.O.. Ça veut dire pareil que bingo s’tu veux.

– Ah ! J’croyais que tu m’avais dit un truc de racisme.

– Nan j’suis pas raciste.

– Pareil ! J’ai rien contre les noirs hein, mais…

– Non on va éviter de parler de ce sujet, d’accord ? Laisse-moi plutôt admirer ta technique pour changer un pneu. Peut-être que je te mettrai dans un de mes romans un de ces jours.

– Vraiment ?

– Oui, les écrivains puisent sur leurs vécus, leurs expériences et leurs souvenirs pour écrire.

– Compliqué vot’ truc, mais vas-y, tu m’appelleras l’homme qu’change un pneu plus vite que son ombre.

– Pourquoi pas ! Un peu longuet mais pourquoi pas. »

Le flatter, c’est comme ça qu’on traite avec ses types, les plaindre, ils sont contents et vous mangent dans la main !

Springsteen déboulonna les trois autres boulons avec confidence, enleva la roue qui s’avéra récalcitrante à sortir de son emplacement, alla de lui-même chercher la roue de secours dans le coffre et fit la manœuvre inverse pour la fixer.

Il n’y avait pas à dire, il savait ce qu’il faisait, il le faisait bien et rapidement. Comme au lit, pensa Rand en lui-même, excepté le ‘bien’.

« -Bah V’la, c’est finito comme disent les mexicains ! »

Je ne parle pas espagnol mais je n’ai jamais entendu de mexicain dire ‘finito’.

« – Impressionnant vraiment. Sacré technique !

– Ça c’est pas les mexicains qui feraient un si rapide boulot et gratis ! Même avec l’mur de Donald ils viennent…

– Juste une question, pourquoi t’a parlé de moi à ton pote, le type avec la barbe hirsute, celui dont la femme est morte à New-York ?

– Franky ? Franky tu l’connais ? L’est pas discret ! J’lui avait dit de la fermer ! Il va m’entendre ! Tu sais, il m’a dit qu’il avait tué sa femme pour l’assurance vie ! »

Jaskiers

Dante’s Dusty Roads – Chapitre 12

Enclenchant ses warning, il se gara sur le côté et s’affaissa sur son volant. Il n’avait même plus la force de crier, car la fatigue venait reprendre son dû. Fatigue qui se dissipa encore une fois par la colère, contre lui cette fois-ci, car c’était une nouvelle voiture, il avait bien sûr un pneu de rechange, mais aucun outil pour le changer.

Il prit son téléphone, aucun réseau n’était disponible.

Accablé, il ne bougea plus de sa position, les bras sur le volant et la tête posée sur eux. Une fois l’adrénaline dissipée, il sombra dans le sommeil.

Combien de temps avait-il dormi ?

Le soleil dardait ses premiers rayons. Mais ce n’était pas le soleil qui avait réveillé Dante Rand, le nouveau prodige de la littérature d’épouvante, mais le bruit d’un moteur puissant qui faisait vibrer tout son habitacle.

Un camion s’était garé derrière lui. Enfin, un bon samaritain. Un bon samaritain qui répondait au doux nom de Peter Springsteen.

Jaskiers

Dante’s Dusty Roads – Chapitre 11

Le soleil avait fini son travail habituel, Rand se sentait capable de rouler toute la nuit. Aucune fatigue, ou presque.

Direction Cherokee, puis Alva. Là une petite pause café et cigarette pour reprendre des forces. Et puis on continue jusqu’à Buffalo après, je ne serais qu’à une centaine de miles de Forgan. Enfin.

Il ne prit pas l’autoroute, parce qu’il n’y en avait plus. Dante roulait maintenant sur des routes poussiéreuses mais larges. Il suivait le panneau indiquant Alva. Bruce Springsteen avait terminé de chanter depuis quelque temps maintenant. Et l’écrivain avait cette crainte qu’à chaque fois qu’il réécouterait le vieux rocker, le souvenir du premier pèquenaud, Peter, qui partage le même nom de famille avec le rockeur, lui vienne à l’esprit.

Foutu connard de connard !

Profitant d’être seul, il criait les plus crues et les plus longues insultes qu’il put inventer. Il avait besoin de crier, il ressentait cette tension au milieu de son estomac et il lui semblait que crier était le seul remède pour l’évacuer.

Roulant jusqu’ici à la vitesse autorisée, il se permit d’appuyer sur l’accélérateur. Il était seul sur la route, et peut-être que la vitesse, aussi, lui permettait d’évacuer toute cette frustration engrangée jusqu’ici.

Il mordue plusieurs fois la ligne médiane, surtout dans les virages. Il se le permettait car dans la nuit, on pouvait voir les phares d’une voiture avant de voir la voiture.

L’euphorie de liberté reprit un seconde souffle.

Roulez jeunesse, ou ce qu’il me reste de jeunesse.

Le problème avec la jeunesse c’est que parfois, par manque d’expérience, on s’attire les soucis.

Après un virage serré, un bruit sourd résonna dans l’habitacle, un bruit électronique se mit à se répandre et à tambouriner dans ses tympans, il sentit une résistance dans le volant.

Il avait crevé. Et bien sûr, avec sa chance légendaire, depuis qu’il était entré dans l’état de l’Oklahoma, il se trouvait au milieu de nulle part, sur une route déserte sans aucune lumière. Pas même celles des étoiles qui restaient cachées derrière d’épais nuages, ces derniers produisant et déversant une pluie froide et fine. Le réseau cellulaire ? N’en parlons même pas.

Jaskiers

Dante’s Dusty Roads – Chapitre 10

Tout le long de la route pour Enid, il n’avait été dérangé par personne. C’était presque bizarre. Tout comme il pouvait deviner au premier regard la personnalité d’une personne par son look, il sentait quand quelque chose allé mal tourner. Pessimisme névrotique ou déformation professionnelle ? Après tout, il était écrivain d’épouvante.

Les choses doivent aller bien, juste bien… quand elles vont trop bien, il y a anguille sous roche.

Arrivé à Enid, il s’arrêta à une station essence, la jauge lorgnait dangereusement sur la réserve, il appréhendait déjà sa prochaine rencontre avec le pompiste.

Il gara sa voiture et attendit l’employée, une dame ronde au visage renfrogné s’approcha.

J’ai tiré le jackpot. Ça y est, qu’est ce qu’on me réserve maintenant ? Oh Oklahoma, tu auras ma peau !

Il baissa sa vitre, s’arma mentalement.

Inspire, expire.

« – Prenez quoi ? Dit la dame sans aucune tonalité dans la voix.

  • – Sans-plomb 95.
  • – Sans-plomb 95 pour le monsieur.
  • – Merci.
  • – Y’a pas d’soucis ici. J’vous fais le plein ?
  • – Oui, ça serait parfait, merci.
  • – Z’avez une sale tête si j’puis dire. »

Et ça commence

Il pensait que ne pas répondre était la meilleure solution pour ne plus s’attirer d’ennuis.

« – Mauvaise journée vous aussi ? » Demanda la dame.

Si vous saviez. Et j’ai le sentiment que vous allez l’empirer.

« – Z’avez perdu vot’ langue ? »

Il ne répondit toujours pas, jeta un coup d’œil au compteur de la pompe à essence, espérant qu’elle comprenne le message.

« – C’est chérot en c’moment l’essence hein ? »

Il posa son coude sur le rebord de la fenêtre et posa sa tête sur sa main, lui tournant le dos, peut-être comprendra-t-elle le message.

« – Vous les yankees, z’avez aucune éducation. Toujours pressé, de mauvaises humeur, comme ces lâches de français, ces socialistes de merde ! »

Rand, pour une raison inconnue, réalisa que les les américains, ces américains comme cette dame, pouvait s’acheter une arme à feu au supermarché du coin aussi facilement qu’acheter une bouteille d’eau. Pas étonnant que le pays semblait redevenir le Wild Wild West dernièrement, quand des personnes de ce calibre pouvait s’acheter librement des engins de mort.

« – Bon v’la, fini. 60 dollars, oubliez pas l’pourboire. »

Tom sortit les billets, rajoutant 5 dollars de pourboire. Le tendit à la femme.

« – 5 balles ? Et tu conduis une Mercedes j’te rappelle ! Radin ! »

Il ne prit même pas le temps de fermer la fenêtre et démarra.

Suffit juste de ne pas parler. Le minimum syndical, et encore ! Plus tu leur donnes de l’intention, plus il t’en consume, plus tu te consume, plus ils prennent l’avantage et plus ça risque de tourner au vinaigre. Le silence semble fonctionner, pendant un certain temps, car frustrés de ne pas avoir de réponses, ils prennent votre silence pour du mépris. Et ça non plus, ils n’aiment pas. Qui aime être méprisé après tout ?

Il fallait trouver autre chose. La compassion ?

Sûrement pas !

Jaskiers

Dante’s Dusty Roads – Chapitre 7

« -T’as une cigarette monsieur ?

  • Euh…
  • Mens pas, j’t’ai vu sortir de chez Marco.
  • Ouai, vous.. vous en voulez une ?
  • Bah si j’te demande à ton avis ! »

Rand sortit son paquet de cigarette et lui en tendit une.

« -Tu pourrais m’en donner deux ou trois autres hein, yankee, on s’fait pas chier on dirait ! Radin.

  • Oh bah… Rand bafouillait en tendant deux autres cigarettes. On fait aller.
  • Ouai. Le barbu hirsute tapota avec le plat de la main sur le toit de la voiture. Une sacrée allemande !
  • Ouai…
  • Et comment ça va New-York ? Tiens, passe ton feu s’t’e plait.

New-York ? Mais comment il sait que… peut-être que cela se voit sur ma ganache… Ah non ! Mes plaques d’immatriculation…

  • Bah ça va… New-York quoi…
  • Dans quel quartier à New-York ?
  • Hell’s Kitchen.
  • Sans déconner !
  • Non… enfin oui… enfin.
  • J’ai vécu là-bas mec !
  • Ah !
  • Ouai mon gars. Il balança le briquet au visage de Tom.
  • Vous avez vécu longtemps là-bas ?
  • Cinq ans.
  • Ah… c’était y’a longtemps ?
  • Une bonne quinzaine d’année ouai. J’y vivais avec mon ex-femme.
  • Ah… vous avez quitté la Grosse Pomme après le divorce ?
  • Divorce ? AH ! Non elle est morte donc j’me suis barré.
  • Désolé, mes condoléances.
  • Désolé de quoi ? J’ai pris la thune et puis j’me suis barré ! »

Oui, et maintenant t’es là, à quémander des clopes à des inconnus dans la rue…

« -Bon, je crois que je vais repartir sur la route, moi. Enchanté d’avoir fait votre connaissance.

  • Où ?
  • Comment ?
  • Repartir pour où ?
  • Euh… Lawton.
  • Ah…
  • Je vous souhaite le meilleur.
  • Attendez une minute. Vous vous foutriez pas un peu de not’ gueule ?
  • Pardon ?
  • Z’avez dit à Peter que vous partiez pour Forgan dans vot’ ranch réaménagé ! »

Jaskiers