Une station essence se proposa à lui. Mettre son essence lui-même, demander au tenancier un coca, ou ce qui pouvait remplacer la caféine, un ou deux sandwichs et repartir. Il avait fait ses besoins sur le bord de la route, profitant d’y être seul sur cette dernière. Il fallait, avant tout, être efficient, faire vite pour arriver au ranch.
Il s’arrêta à la pompe, regretta de ne pas avoir fumé une cigarette avant, descendit et emboîta la pompe dans son véhicule. Personne ne sortait du magasin. Avec un bref coup d’œil, il pensait même qu’elle était fermée, rien ne filtrait de l’intérieur.
Tant mieux, je m’arrêterai à la première supérette du coin, je n’aurai qu’à passer devant un ou une caissière qui ne voudrait qu’une seule chose : que ma sale dégaine de Yankee aux yeux cernés déguerpisse. Ne pas faire de vague et tout ira bien.
Il faillit salir ses chaussures en retirant la pompe, il avait retenu la leçon de la dernière fois. Pas d’essence sur ses habits.
Il remonta dans sa voiture et partit en vadrouille à la recherche d’un Wallmart, d’un Target ou n’importe quel magasin pour faire ses emplettes et repartir aussitôt. La fatigue était là, mais s’il ne pouvait plus garder ses paupières ouvertes, il s’arrêterait au bord de la route pour un somme rapide. Dangereux oui, mais mieux valait risquer le danger d’un somme en solitaire sur le bord d’une route que de provoquer une rixe dans l’hôtel très bon marché de la ville.
Rien ne semblait vivant dans ce patelin, à par les bisons flânant dans les immenses champs qui entouraient la petite ville. Il semblait être rentré dans un décor de far-west moderne.
Il chercha une connexion à Internet avec son téléphone avec l’espoir de trouver une supérette pour se ravitailler avant la dernière ligne droite. Après Buffalo, direction Forgan s’en regarder en arrière. Son cerveau et son corps réclamait non seulement du repos, mais aussi, de l’écriture. Le besoin de catharsis, de poser des mots sur ce qu’il avait vécu jusqu’ici. s’imposait pour sa santé psychique. Et aussi, pour commencer son nouveau roman.
Il trouva un magasin, appelé Venture, de plain-pied, sans l’aide d’internet qu’il ne recevait toujours pas. Le magasin avait l’air d’un vieux et ancien motel. Le parking était vide.
Quand il rentra dans ce magasin, il découvrit que c’était en faite un restaurant plus qu’autre chose. L’écrivain espérait qu’il aurait la possibilité de prendre un plat à emporter, on était en Amérique après tout, aucun doute, pour de l’argent, l’Amérique vous offre tout ce que vous voulez.
Il attendit au comptoir, qui était vide, la seule présence des menus imprimés indiquait que le restaurant n’était pas abandonné. Il en prit un.
De la viande. Que de la viande. De la viande à la viande à la sauce viande avec un dessert à la viande. C’était le pays des bisons, le business principal de la ville. Après tout, la ville s’appelait Buffalo.
Une femme de quarante ans, la teinture blonde en fin de vie, des cernes et des rides marquées sur le visage et d’une maigreur inquiétante se présenta lui.
« -Vous désirez ?
– Je cherche quelque chose à emporter.
– D’accord, vous avez vu le menu ?
– Oui, mais je n’ai pas encore trouvé ce qu’il y a à emporter.
– La section sandwich se trouve à la fin. »
Rand fit défiler les pages du menu et découvrit les sandwichs, tout à la viande.
« -Vous avez besoin de conseil ? »
Il lâcha un petit rire. Il avait le choix entre sandwich à la viande de bison avec salade, tomate et moutarde, ou sandwich au bison avec de la mayonnaise.
« – Je vais prendre le sandwich complet.
– Salade, tomate et moutarde ?
– C’est ça.
– Et comme rafraîchissement ?
– Vous avez du café ?
– Oui mais malheureusement pas à emporter.
– Je vais vous prendre du coca.
– Nous n’avons que du Pepsi, cela vous va ?
– Oui merci. »
Elle se retourna pour partir dans la cuisine. Il vît par la porte entrouverte l’état lamentable des cuisines. Poussières, graisses, détritus, sangs, il ne manquait que la présence d’un rat pour combler le tableau.
Il va falloir faire fît de ces horreurs, se dit Rand à lui-même et à son estomac.
Dante pouvait entendre les bruits de couteau, celui d’un micro-onde et les voix de la serveuse et de la cuisinière.
Et si ce sang… non c’était trop, même s’il avait eu le droit à des hurluberlus, la probabilité d’ajouter à ses rencontres déstabilisantes, une meurtrière qui cuisinerait les morceaux de ses victimes humaines pour les vendre à ses clients était quasi-nul.
Quasi-nul ne veut pas dire nul, et plus rien ne me surprendrai. Je commence à perdre la tête. T’es parano Dante, arrête de penser à des conneries, si ça se trouve, c’est une déformation professionnelle, le risque quand t’es auteur de romans d’épouvantes.
La serveuse sortit de la cuisine, le gratifia d’un sourire et d’un « Ça arrive monsieur, merci de votre patience. »
Au moins était-elle polie pour une potentielle Serial-Killer cannibale… Allez Dante, arrête tes bêtises.
Il attendit encore cinq minutes. Le restaurant était désert, les menus et les couverts étaient recouverts d’une fine couche de poussière. L’air était lourd, pas extrêmement chaud, mais respirer commençait à être difficile.
Ou bien je suis en train de faire une crise d’angoisse ou bien le DustBowl a encore de l’influence sur le pays.
Les crises d’angoisses avaient été ses compagnons d’enfance et d’adolescence, jusqu’à ce que ses parents ait assez d’argent pour l’amener voir une thérapeute. Thérapeute et thérapie qui s’avérèrent être extrêmement efficaces et, à force d’exercices, réussirent à diminuer très fortement ses crises, jusqu’à ce qu’elles ne deviennent plus que des mauvais souvenirs. Il se rappelait qu’il ne fallait surtout pas oublier de bien respirer, mais l’air semblait empli de poussière. Il lui fallait aussi observer l’environnement autour de lui, mais il était tellement terne et misérable qu’il commença à paniquer.
Enfin, elle arriva, son sandwich placé dans un papier, son pepsi bien frais à la main. Il paya son dû, la carte bleue tremblante dans sa main. Il sentait les regards plein de jugement que devait poser sur lui la serveuse. Il transpirait à pleine gouttes. Tom pria intérieurement que sa carte passe, ce qu’elle fit. Il ramassa son dîner, et partit.
« – Bon appétit monsieur.
– Merci à vous aussi. »
À vous aussi ? Sérieusement ? Dante Thomas Rand ce que tu peux être idiot parfois.
En rentrant dans sa voiture, il s’imaginât la serveuse rigolant. C’était comme dire à quelqu’un « bonjour » et qu’il vous répondait « bonsoir ». Non seulement cela le faisait se sentir idiot, mais il se sentait humilié par la personne qui avait eu plus de présence d’esprit en lui indiquant que c’était le soir.
Les interactions humaines sont compliquées. Ou plutôt, je les rends compliquées.
Il sortit le sandwich de son papier, regarda la viande grossièrement apposée, respira un grand coup pour enlever la pensée qu’il mangeait peut-être de la viande humaine.
Non, c’est du bison…
Il regarda autour de lui. Tout près de lui, il y avait un champ immense avec un bison solitaire qui le regardait.
Putain, il sait. Les animaux ne sont pas idiots. Si ça se trouve, je suis en train de manger son frère. Merde.
Il reposa le sandwich, il n’avait plus faim. Il ouvrit sa cannette de soda qu’il but d’un trait.
Le soleil commençait à abandonner le ciel. L’écrivain reparti, direction Forgan. Il n’y avait pas de panneaux indiquant la ville mais il suivait ceux de Knowles.
Comme le nom de jeune fille de Beyoncé.
Cette pensée le fit sourire. Sourire qui ne resta longtemps sur le visage car la fatigue commençait déjà à fermer ses paupières. De plus, il n’avait pas mangé.
Après quelque miles, une dizaine peut-être, il s’arrêta sur le bas côté de la route, une petite place labourée par les pneus des paysans du coin, qui devaient passer par là pour rentrer dans leurs champs, s’occuper de leurs bêtes, de leurs bisons chéris.
Il fuma une cigarette, la nuit était tombée, les lumières du tableau de bord étaient éteintes. Silence. Il écrasa son mégot dans un étui en ferraille qu’il avait trouvé dans sa boîte à gant, étui qui semblait sortir de nulle part. Il abaissa son siège, vérifia si les portes étaient fermées et ferma les yeux.
Le dernier repos du juste avant l’arrivée.
Jaskiers