
FICTION
C’était notre habitude, après une nuit d’amour, de nous lever et de déjeuner sur sa terrasse.
C’était un moment suspendu, enfin où j’étais suspendu. À ses lèvres. J’aimai l’entendre parler, de ses théories loufoques sur qui a tué telle célébrité ou qui a fait quoi à son travail. Je connaissais ses collègues, leurs histoires et leurs coucheries sans les avoir jamais vus. Ils auraient été surpris de savoir à quel point je connaissais autant de leurs intimes secrets. Elle ne savait pas les garder, ces secrets. Mais pour être honnête envers elle, jamais elle ne faisait de promesse qu’elle savait ne pas pouvoir tenir.
Elle était leur confidente. Et puis aussi leur amante.
C’est pendant une de ses matinées douces où je l’a regardé parler, car parfois l’homme n’écoute qu’avec ses yeux, que j’ai réalisé que j’étais tombé amoureux.
C’était ce piège dans lequel il ne fallait surtout pas tomber. On s’aimait au lit mais nous n’étions que des amis. Rien, rien de plus. C’était une règle que nous avions évoquée à demi-mot après notre première nuit ensemble. Nous ne cherchions pas une relation de couple, nous voulions nous aimer physiquement sans les entraves d’une vie de couple. Et elle ne partageait pas son lit qu’avec moi. D’autres femmes et hommes glissaient dans ce lit pour une nuit. Souvent après des fêtes.
Nous passions nos nuits en pleine semaine. Nos ébats ne se déroulaient pas alcoolisés. Je pensais qu’à cause de cette raison, j’avais obtenu sa préférence, son amour. Peut-être était par ce petit signe, ce petit code à déchiffrer qu’elle voulait me faire passer un message : Peut-être que nous deux, ça pouvait être plus que du sexe.
Je sentais, cette sensation d’être à la fois dans un grand-huit et sur un nuage à chaque fois que nous discutions sur cette terrasse, qui était, je me rappelle, tout le temps légèrement ensoleillée et sur laquelle nous recevions une douce brise matinale. C’était un moment suspendu où j’aimai la regarder parler.
Je regardai ma montre, discrètement. Je n’avais cure de rater le travail ou d’arriver en retard. Je voulais juste faire traîner ces moments. Jusqu’à l’heure de manger ou j’aurais proposé de nous manger un fast-food où une pizza. Je faisais traîner ce moment en relançant la discutions, tout le temps. J’écoutai ces dernières paroles et forçai mon cerveau à sortir une question ou une remarque pour relancer la discussion, engranger du temps. Pour la regarder encore.
Ses expressions, son immense sourire, ses yeux plissés, m’émerveillaient mais la plus belle chose c’était quand elle cherchait une approbation de ma part, avec un petit signe du menton. J’étais tenté d’être tous le temps d’accord avec elle mais je désirais me montrer… fort ? Beaucoup d’hommes et de femmes n’auraient pas hésité à dire amen à tout ses propos. Je ne voulais pas être dans ce moule, je voulais qu’elle me voit différemment. Bien qu’un peu plus âgé que moi, je partageais mes opinions sur des sujets qui parfois me dépassaient. Il me fallait me montrer mature tout en gardant un côté immature, garder ce côté amusant, naïf, qui était, je crois, ce qu’elle cherchait en moi. Avec le sexe, je voulais apporter bien d’autres choses. Trop peut-être.
Un autre jour, une matinée sur la terrasse, pendant que nous buvions notre café, regardant le saule pleureur de la voisine d’en face s’agiter doucement, comme si des petites créatures des bois menaient un rite magique sous ses branches, observant la rosée se dissiper qui faisait luire l’herbe, je décidai de me lancer.
« – Tu sais, c’est bien tout les deux.
- Oui, on est tranquille comme ça. Ça fais du bien.
- Ces petits moments suspendus comme ça…
- Ouais…
- Toi et moi et puis rien d’autre.
- T’es triste ?
- Non au contraire !
- Ces bizarres, on dirait que t’es mélancolique.
- Mélancolique ? Nan pas du tous ! Au contraire !
- T’as l’air… pensif.
- Je me dis que bientôt, il va falloir que je parte et qu’on reprenne chacun notre vie…
- Tu veux en venir où ?
- C’est juste… j’aimerai vivre ça tous les jours. Je me sens bien, j’ai l’impression d’être… combler…
- Je vois où ça va mener.
- Je pouvais pas garder ça en moi encore un jour de plus. Je suis bien ici. Avec toi. Tu sais, la vie, les emmerdes. Si je ne t’avais pas… il y a que c’est grâce à toi que… je tiens.
- C’est mignon. Mais j’ai un peu peur que… tu vois. Tu t’attaches trop.
- C’est quelque chose de mal ? Que je m’attache ?
- Tu sais que… c’est pas comme ça que ça marche entre nous.
- Est-ce que toi aussi, tu aimes être avec moi, j’veux dire, quand tu sais qu’on va être ensembles. Tu vois… parler, rigoler, le lit…
- C’est pas la même chose. Enfin un peu, mais on sais tous les deux que… tu parles de ce mettre en couple non ?
- Je veux rien brusquer, je voulais juste voir si un jour, nous deux ça pouvait aller un peu plus loin. On se connaît.
- Justement, je comprend ce que tu veux dire. On se connaît, on sait bien que tous les deux, on ne veut pas de ces relations sérieuses… on est que des amis… tu vois…
- Oui exactement. Mais c’est que je me sens tellement en symbiose. Tout à l’air tellement simple quand je sais que tu es là.
- On peut continuer comme ça, tu as peur que ça s’arrête ?
- Oui j’ai peur mais je parle que j’aimerai que ces moments… qu’on puisse les avoir plus souvent.
- C’est compliqué…
- Je comprends, j’comprends. C’est juste que… voilà. Je veux rien forcer, rien gâcher entre nous deux. C’est comme ça. C’est juste que je te vois et je me dis… ça ressemble au bonheur. Tu vois… ces histoires que je raconterai peut-être un jour, quand on me demandera le moment où j’ai été le plus heureux, je dirais que c’était ce genre de moment.
- Ça…
- Te gêne oui j’ai compris. J’aurais dû me taire, profiter de ces moments jusqu’à ce que tu en ai assez et me laisse.
- C’est pas ce que je voulais dire.
- Un petit peu, sois honnête, tu ressens pas la même chose.
- Je ressens la même chose !
- Non arrête, ça va j’ai compris.
- Tu sais que ce n’est pas possible.
- Oui, oui j’le savais mais il fallait que je te le dise. Qu’est-ce que j’attendais en guise de réponse ? Pas moins que ça. J’ai compris.
- Le couple, c’est pas pour moi. Par pour l’instant du moins.
- J’ose là question ?
- Non…
- Je la pose quand même… »
Elle resta muette. Je n’osai pas la regarder, je posai mes yeux sur le saule pleureur, j’aime cet arbre depuis, son nom, son allure de coupe de cheveux de fan de hard rock. Sous cette tignasses de branches et de feuilles affaissés, il reste fier. « Regardez, oui je ressemble à un Homme dans la défaite, tête basse, mais je suis beau, vous me contemplez. Je fleuris comme n’importe qu’elle autre arbre sauf que ma posture est différente, et c’est cette différence qui fait mon charme, qui fait qu’actuellement, j’attire votre attention. »
Mes yeux braqués sur l’arbre, j’essayais de ne pas me laisser submerger par mes pensées et mes sentiments. Je gardai une oreille tendue, à l’affût du moindre mouvement, je pense que j’aurai pu entendre les battements de ses paupières si je me concentrais suffisamment. Tout mon corps était tendu.
J’attendais quelque chose d’elle, une réponse, un mouvement, quelque chose à décoder. Puis j’ai compris, c’était exactement cela que l’on ne voulait pas entre nous deux. Exiger de l’autre des réponses, des comptes, des engagements. Ce n’était pas plaisant, nous étions deux êtres pour qui la liberté était la chose la plus importante dans notre vie. Pourtant, j’étais prêt à faire un sacrifice conséquent envers ma liberté, tout en pensant que selon ce critère, notre relation serait spéciale, tenant en compte notre besoin d’espace et d’indépendance. C’était un peu ce que nous avions déjà mais pas assez à mon goût.
« – Au final, je veux juste te voir plus. C’est tout.
- Pour le sexe ?
- Non, enfin ça compte mais c’est ce que nous faisons avant et après qui compte aussi.
- Tu es trop jeune.
- Notre différence d’âge n’est vraiment pas grande.
- Oui, mais on sent cette naïveté.
- Naïveté ? Que de vouloir être avec une personne que l’on aime plus souvent ?
- Non, c’est de croire que quelque chose de sérieux est possible entre nous. »
J’ai senti cette douleur au cœur, cette mauvaise chaleur, l’impression que vous tombez, sans perdre conscience, d’une falaise. L’esprit prend un coup et le corps suit.
« – Bon. Je crois que je vais y aller.
- Ouai… ouai.
- Une dernière chose vite fais. J’essaie pas de te convaincre. »
Je l’ai regardé, elle était pensive. Au moins, pensais-je, si elle ne me voulait que pour le sexe, elle ne serait pas si pensive.
« – Tu sais je pense que parfois le bonheur on l’a devant nous mais on ne le réalise pas.
- Sûrement, sûrement. C’est beau comme phrase. Mais je ne cherche pas le bonheur, du moins j’ai pas besoin de quelqu’un pour être heureuse. »
La messe était dite. J’ai ramassé ce qu’il me restait, pris mes clés de voiture et lui fis une bise, qu’elle me rendit doucement. Je savais que je l’avais perdu, mais qu’aussi, ma proposition et mes mots étaient rentrés dans sa tête.
Je sortis, et je me suis promis de ne pas la contacter le premier, ce serait à elle de le faire. J’ai dévoilé mon jeux, à elle de décider de la suite.
Avant ce jour, il ne se passait pas un jour sans un petit message. Elle sort du boulot, je sort du miens, tomber sur un message d’elle et ma journée n’était plus merdique. C’était comme ouvrir un livre ou continuer une bonne série télé, on reprend là où on s’était arrêtés et on oublies le monde extérieur pour rentrer dans le nôtres.
C’était un samedi matin que tout ceci s’était passés. J’étais nerveux, je pouvais craquer à tout moment et lui envoyer un sms qui ne ferait qu’empirer les choses. Il ne fallait surtout pas que je sois le premier à la contacter, je craignais de passer pour cette personne collante, cet homme qui refuse de lâcher prise.
Ce soir-là, comme presque tout les samedis soirs de cette époque, je m’apprêtais à sortir en boîte de nuit avec ma bande d’amis habituelle. Nous avions rendez-vous pour boire avant notre soirée dans le bistrot de notre village.
J’avais une furieuse envie de me détruire. Je me rappelle être rentré dans le bistrot et d’avoir crié que je payais une tournée générale.
C’était vraiment loin de ma personnalité habituelle et surtout je n’avais pas l’argent pour payer une tournée générale de 30 personnes. Et aucun d’eux n’allaient choisir de l’eau.
Mes amis accueillirent mon entrée avec inquiétude, ils étaient heureux évidemment d’avoir un verre gratuit mais je n’étais pas le genre de personne qui, sobre, rentre dans un bar pour payer une tournée générale.
Je me rappelle avoir dis que ce soir là, je me mettrai la tête a l’envers.
Je me souviens avoir bu beaucoup, beaucoup de Vodka. Et puis ma tête a tournée, j’ai crié que si je faisais un coma éthylique, de ne pas me ranimer.
Ensuite, je me suis réveillé le lendemain matin avec un terrible mal aux cheveux, un étau m’enserrant les tempes, mal aux yeux, l’estomac en vrac. J’ai vomis tous mon soûl à côté de mon lit. Et j’ai dormis, ou essayé, on ne dort pas vraiment pendant qu’on cuve, on transpire et cauchemarde.
Je n’ai jamais reçus de message d’elle, je ne lui ai rien envoyé non plus. Elle a maintenant un enfant, qu’elle élève seule. Est-elle heureuse ? Je n’en sais rien. L’enfant n’est pas de moi, Dieu merci. Je l’ai peut-être perdu, mais j’ai ma liberté, moi.
Au final, j’étais beaucoup trop mal en point pour sortir mon portefeuille et payer ma tournée, mes amis l’ont fait à ma place. Autant piètre ami qu’amant.
Jaskiers
Coucou. Elle est magnifique ton histoire. J’aime l’approche que tu en fais, avec ce regard sensible et critique à la fois. Whawww, félicitation!
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Merci !
C’est vraiment gentil de m’avoir lu et d’avoir pris le temps de me laisser un commentaire, vraiment merci beaucoup !
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J’aime l’histoire et l’image aussi ! Bravo Sébastien ! C’est un plaisir de t’accompagner tout au long de ton émancipation. Tu n’as peur de rien, tu oses, tu es épanoui. Je t’embrasse très fort.
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Merci beaucoup Filipa !
J’ai très peur de partager mes textes mais j’essaie de dépasser ça. Je suis très heureux de t’avoir à mes côtés dans cette aventure !
Je t’embrasse fort et Roméo aussi.
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Je serai toujours ici. Je vous embrasse tous les deux.
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