Exercices de survie de Jorge Semprun

En couverture, peinture de Peter Knapp : La lutte avec l’Ange.

Quatrième de couverture :

« J’étais dans la pénombre lambrissez, discrètement propice, du bar du Lutetia, quasiment désert. Mais ce n’était pas l’heure ; je veux dire, l’heure d’y être en foule, l’heure d’y être attendu ou d’y attendre quelqu’un. D’ailleurs, je n’attendais personne. J’y étais entre pour évoquer à l’aise quelques fantômes du passé. Dont le mien, probablement : jeune fantôme disponible du vieil écrivain que j’étais devenu.

J’avais tout juste le désir d’éprouver mon existence, de la mettre à l’épreuve. »

Nous sommes en 2005, Jorge Semprun se confronte à son passé et relate, comme il ne l’a encore jusque-là jamais fait, son expérience de la torture. Il nous offre un témoignage sans pathos, récit à la fois poignant et détaché, d’où se dégage une perception philosophique prégnante. Un nouvel éclairage saisissant de ce que fut ce singulier penseur.

Jorge Semprun, mon écrivain espagnol préféré, ou devrais-je l’appeler Le grand espagnol comme l’écrit Régis Debray dans son introduction.

Un homme qui parlait trois langues, l’espagnol bien sur, le français et l’allemand. Savoir qu’il a écrit ses livres en français, avec une prose que peu de personne, dont la langue maternelle est la langue de Molière, n’ont jamais eux, moi y compris. Un maestro des mots, une personnalité forte et courageuse, oublié trop souvent.

Jorge Semprun évoque, son action dans la résistance française, il avait 20 ans, il était espagnol. Trahis par un membre de la résistance française, il sera capturé par la Gestapo, torturé et emprisonné à Buchenwald.

Les livres de Semprun sont toujours une surprise, il attaque avec dextérité des sujets extrêmement difficiles avec une prose acrobatique, philosophique et poétique. Des témoignages parfois sous couvert de roman, d’un récit inventé il ne le cache pas au lecteur d’ailleurs. Je sais pertinemment, grâce à Hemingway, entre autre, qu’écrire sur l’horreur via la fiction permet de donner au lecteur un récit plus vrai et réel qu’un témoignage directe et sans fard. Semprun, lui, saupoudre ses récits de sa magie, et de son immense talent, la maîtrise des mots qui semblent danser et lui obéir au moindre geste de sa plume belle et secrètement acérée comme une dague, qu’il utilise avec parcimonie et subtilité. Sans pathos jamais, avec humour parfois.

Les livres de Semprun sont teintés de philosophie, de réflexions profondes et de poésie. Dans l’horreur même, il amène son lecteur à voir la petite fleur qui pousse au milieu d’une jungle de béton. Ce ne sont pas des récits dont vous sortez indemne, je ne parlerai pas de violence, mais plutôt d’une réflexion plus profonde, visé plein pot sur l’être humain, avec d’un côté la vérité, dure, froide et cruelle et de l’autre une lueur d’espoir.

Une partie de son récit est consacré à ses dix années de clandestinité au sein du Parti Communiste espagnol après la Seconde Guerre Mondiale durant la dictature de Franco. Courage, confiance et abnégation. Voir même provocation, du moins dans cet ouvrage.

Le livre est très court, mais vaut la peine d’être lu. Pour ne jamais oublier. Exercices de mémoires, écrits des tripes d’un survivant pour nous.

Voici quelques extraits ayant pour thème l’Homme face à la torture, entre autre :

Écrivain pourtant ? Était-ce tellement évident à l’heure lointaine que j’évoquais ? Je me trouvais plutôt, à l’époque, devant l’impossibilité radicale, l’indécence même de l’écriture.

Je savais bien que j’avais des chances toutes les chances d’être torturé, en cas d’arrestation par la Gestapo, que ce fût l’allemande ou la française. Dans nos conversations, d’ailleurs, nous craignions davantage la française que l’allemande.

[…] les méthodes habituelles de la Gestapo : matraquage, pendaison par une corde attachée aux menottes, privation de sommeil, baignoire, arrachement des ongles, électricité, in crescendo.

[…] la torture est imprévisible, imprédictible, dans ses effets, ses ravages, ses conséquences sur l’identité corporelle.

Je ne vois réellement qu’une personne, une seule […] avec qui il ne serait pas impossible, ni indécent, d’évoquer cette expérience : Stéphane Hessel.

[…] il serait absurde, même néfaste pour une juste conception de l’humanisme possible de l’homme, de considérer la résistance à la torture comme un critère moral absolu. Un homme n’est pas véritablement humain seulement parce qu’il a résisté à la torture, ce serait là une règle extraordinairement réductrice.

[…] c’est à Auxerre, dans la villa de la Gestapo, sous la torture, que j’ai vraiment pris conscience de la réalité de mon corps.

Mon expérience personnelle m’apprend que ce n’est pas la victime mais le bourreau – si celui-ci en réchappe, s’il y survit dans une existence ultérieure, même anonyme et apparemment paisible – qui ne sera plus jamais chez soi dans le monde, quoi qu’il en dise lui-même, quelque soit son faire semblant.

Le livre parle aussi de la libération de Buchenwald, de la manière dont deux américains ont retrouvés les survivants. C’est un passage marquant, écrit comme seul pouvait le faire Jorge Semprun.

Le livre est très court, comme je l’ai déjà noté, si vous avez lu ces œuvres, ce petit livre vous apportera encore un petit plus sur la vision de l’être humain, de la guerre, de la vie par Semprun. En n’oubliant pas la philosophie très personnelle du Monsieur. Oscillant entre lumière et ténèbres.

Une réflexion philosophique sur l’impensable et l’indicible, après l’enfer, et un combat continu, plume en mains. Écrire est un combat, survivre une chance, témoigner un sacerdoce. Cruel mais important. Semprun, ou avancer et se battre en écrivant.

Jaskiers

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13 réflexions sur “Exercices de survie de Jorge Semprun

  1. Jaskiers, thanks for the tip, I don’t know Semper, when I come across it, I’ll try. You took a heavy book again, maybe you’re okay, reading a book about torture when you are sick, could have a bad effect on you.
    But apparently similar books have the opposite effect on you, under pressure you get the best out of yourself.
    Good work!

    And … two things … yes, the reality of the body is different from the reality of the mind, in the case of pain. There is a limit when you get over it, suddenly nothing seems impossible, when you have overcome the greatest pain, it seems that you can do everything.
    And the second … from the book, the words « Executioner will never be home again » You know how many times I thought I’d find the man who knocked me down with car and hurt him, a lot … the words I read in your article only confirmed me in that – in the end it will find him itself, even if he doesn’t have a conscience, the thought that there is SOMETHING after death is enough for me.
    Eventually, when he dying alone and facing death, he will know fear. He will pay.

    Thanks for your words in the article, they mean a lot to me!

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    • I think this book will interest you, because it’s about what you are talking about, with the obvious nuances of course.
      I had the chance to haven’t know the pain you and Jorge talk about, but I know the body is an important aspect of our life. We need to listen to it and respect it.
      Don’t go after that men, pretty sure you are totally right. You’re very aware of yourself and courageous, he doesn’t deserve your intention.
      With love and respect as always for you Poet !

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